Lundi 23 Décembre 2024
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01.10.2012
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Examinée la semaine dernière à Bruxelles, la demande américaine d’utiliser le terme « châteaux » est toujours en suspens. Mais malgré la grogne des producteurs français, la messe semble presque dite sur ce sujet délicat, touchant l’identité de la viticulture française.
Le terme « château » est un des plus valorisants de toute la planète vin. Apposé sur une étiquette, il incarne pour l’amateur la garantie d’une bouteille de qualité, produite en petite quantité, sur un terroir précis. Avec tout ce que l’on peut imaginer autour (éventuelles vieilles pierres, savoir-faire, etc.). Encore aujourd’hui, lors de la création de magasins de vins en Chine, il y a souvent ce mot (en français dans le texte) sur l’enseigne. Rarement un vocable viticole aura autant fait rêver.
Alors, quand l’information a filtré que Bruxelles envisageait d’autoriser les producteurs américains à mettre « château » sur leurs bouteilles destinées aux marchés de l’Union européenne, le sang des producteurs français – et surtout bordelais – n’a fait qu’un tour.
Il faut dire que cette notoriété est surtout due au travail des vignerons et négociants girondins. Apparu dans la seconde moitié du XIXe siècle, le terme y a rapidement désigné un domaine de qualité. Le succès commercial et la mondialisation des marchés au XXème siècle ont fait le reste. Dans un océan de vin, l’origine « château » est un phare auquel se fier.
Ver dans le fruit dès 2005
Aujourd’hui, en Gironde, ce terme porteur figure sur 7 bouteilles sur 10. C’est également le cas ailleurs en France, en particulier dans le Sud-Ouest (Bergerac, Cahors…) mais dans des proportions moindres. En Italie, au Luxembourg et même au Chili, des propriétés l’utilisent aussi historiquement. Désormais, ce serait impossible car on ne peut créer ex nihilo un château : le terme est sanctuarisé et protégé au niveau européen depuis plus de vingt ans. L’objectif est toujours le même : éviter la banalisation. C’est également le cas pour 300 autres mentions dites « traditionnelles », dont l’usage est ultra-réglementé. On y trouve par exemple « clos », « noble », « sur lie », « tawny », « vintage » ou « solera ».
La demande américaine – examinée mardi dernier à Bruxelles avec une réponse restant en suspens – est tout sauf une surprise. « Tromperie du consommateur », « détournement de notoriété », « distorsion de concurrence », « captation d’héritage »… Derrière les protestations des professionnels et de certains élus – la Bourgogne monte aussi au créneau car « clos » est concerné – se trouve en fait un accord signé en 2005 entre les États-Unis et l’Union européenne (UE). Le ver y était déjà dans le fruit. Après des années de brouille, puis de négociations serrées, cet accord normalisait à tous les niveaux (réglementations, pratiques œnologiques…) les échanges viticoles entre ces deux poids lourds.
Côté business, les Européens se sont réjouis de pouvoir continuer à bien exporter leurs bouteilles aux États-Unis, marché parmi les plus dynamiques du monde. Et les résultats sont là : il suffit de voir les chiffres du champagne, du cognac ou des grands bordeaux. En 2011, les exportations de vin de l’Union européenne vers les États-Unis totalisaient 2, 2 milliards d’euros !
« Capitulation »
Côté américain, c’était aussi le sourire. Ce pays pouvait continuer à usurper des AOC protégées en Europe : on y produit en effet depuis longtemps du « champagne », « chianti » ou autre « madère » avec du raisin local. Des termes devenus des génériques. Sur l’autel des affaires, le Vieux Continent a renoncé à ce combat. Par la même occasion, « château » et « clos » faisaient partie d’une liste plus large de termes que les producteurs d’outre-Atlantique pouvaient utiliser pour leurs exportations chez nous. Il est vrai que, dans ce sens-là, le business est bien moins important que dans l’autre (de l’Union européenne vers les États-Unis).
Cette dernière autorisation, octroyée pour trois ans, a été suspendue par Bruxelles en 2009. La demande de Washington, qui cause tant d’émois, n’est finalement que le retour à ce qui existait déjà… La porte fut grande ouverte en 2005, année de l’acte fondateur que certains ont appelé « capitulation » ; l’affaire actuelle n’en est qu’un soubresaut. En attendant peut-être d’autres répliques. D’autant que, pour monter au créneau, la France est isolée parmi les 27 États membres et que la Commission semble favorable à ce nouveau feu vert.
D’ailleurs, la messe est presque dite : personne ne se bat plus vraiment pour empêcher les Américains de reprendre ce droit et le combat s’est déplacé sur le terrain technique. « On voudrait que « château » corresponde aussi aux États-Unis à une vraie qualité, avec une garantie d’origine, comme chez nous. Qu’il n’y soit pas une marque commerciale, avec de gros volumes », souligne Georges Haushalter, président de l’interprofession bordelaise.
La mécanique des affaires est lancée et, aussi emblématique soit-il, le mot « château » n’est qu’un grain de sable émotionnel. Mais il arrive que les plus petits d’entre eux grippent les plus grandes machines.
César Compadre
Photo © CIVB / Philippe Roy
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