Dimanche 17 Novembre 2024
Auteur
Date
15.02.2019
Partager
Au château Bauduc où palettes et cartons sont prêts à partir, Gavin Quinney a anticipé de six semaines sa mise en bouteille pour que tout son vin soit livré en Grande-Bretagne avant la date fatidique du 29 mars, au cas où il n’y aurait aucun accord sur le Brexit.
A la tête de 25 hectares dans la campagne de l’Entre-deux-mers, ce Britannique entend ne prendre aucun risque même si « comme tout le monde » il rejoint l’état d’esprit actuel : « wait and see » (attendons de voir).
Au bord des vignes dénudées par l’hiver, deux camions viennent de quitter son vignoble de Créon, à 25 km de Bordeaux, chargés de rouge 2016 ainsi que de blanc et rosé 2018. En tout, 40.000 bouteilles vont partir d’ici fin mars dans des entrepôts britanniques, soit six mois de stock afin de fournir notamment les restaurants. « On essaye d’envoyer le plus de vin possible en Angleterre », souligne ce vigneron qui encourage également ses milliers de clients outre-Manche à passer commande ou à venir chercher leur vin à Calais.
« Les conditions de transport du vin dans le cas d’un non-accord après le 29 mars pourraient se révéler très difficiles. Il y a un vrai risque, c’est moitié-moitié, c’est fifty-fifty », un coup de poker qu’il n’est pas prêt à jouer. Il craint notamment un allongement des délais pour livrer le vin et la paperasserie, mais surtout la concurrence de l’Australie par exemple, qui le contraindrait à chercher d’autres marchés.
Car M. Quinney écoule directement son vin en Grande-Bretagne, soit 60% de sa production, sans passer par le puissant négoce qui vend une bouteille sur deux dans le bordelais.
Risque de perte de marchés
Pour les principaux négociants de la place de Bordeaux, l’heure est à l’attente. Des palettes de vin sont prêtes à partir mais aucun envoi massif de bouteilles vers la Grande-Bretagne n’a été réalisé dans le Bordelais.
« Je n’ai pas constitué de stock en Angleterre, mais les vins sont prêts à partir dans des entrepôts pour avoir six mois d’avance et éviter les ruptures de stocks de nos clients », indique le négociant bordelais Benoît Calvet, qui se donne jusqu’à début mars pour éventuellement envoyer plusieurs centaines de palettes.
Présent dans ce pays depuis les années 70, son principal marché, il se dit « attentif mais pas inquiet » : « les Anglais sont pragmatiques, pas émotifs et les rois du business. Je suis confiant, ils vont trouver une solution ! Ça va coincer un peu au départ mais au niveau des affaires, l’Angleterre restera une plate-forme incontournable du commerce ».
L’interprofession le confirme : les principaux négociants de Bordeaux n’ont pas « déporté de stock en Grande-Bretagne », son quatrième marché en valeur, tout en notant une bonne activité depuis fin 2018.
Au cours des 12 derniers mois, les exportations à l’étranger ont baissé de 12% en volume en raison de la faible récolte 2017, mais en Grande-Bretagne, 180.000 hectolitres ont été expédiés, soit une hausse de 1%. C’est « certainement lié à une anticipation d’achat pour se prémunir d’un blocage ou des difficultés à importer des vins », selon le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB).
Mais d’autres raisons que l’incertitude liée au Brexit peuvent expliquer cet intérêt des Anglais, comme l’achat de bons millésimes ou encore leurs liens historiques avec Bordeaux qui remonte au XIIe siècle et Aliénor d’Aquitaine, selon des professionnels.
Jusqu’à présent, le marché anglais s’est maintenu à Bordeaux mais un « Brexit trop dur » pourrait changer la donne et laisser le champ libre à l’Australie, l’Afrique du Sud, le Chili ou encore l’Argentine, selon négociants et experts.
« L’effet sur la monnaie est plus important que la sortie de l’Angleterre. S’il n’y a pas d’accord, il est certain que la livre sera dépréciée et nos vins seront moins compétitifs », souligne Jérémy Cukierman, directeur de la Kedge Wine and Spirits Academy à Bordeaux, avant de nuancer : « Ce qui est rare et prestigieux, il y aura toujours des gens pour les acheter. Le haut du marché sera moins impacté que le reste ».
Par Alexandra LESIEUR pour AFP
Articles liés