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[ENTRETIEN] Franck Coste, PDG de Champagne Chanoine Frères

Auteur

Joëlle
W. Boisson

Date

15.01.2019

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Fin 2018, Franck Coste a pris la tête de la société Chanoine Frères. Il chapeaute désormais deux marques-phares du groupe Lanson-BCC commercialisées en grandes et moyennes surfaces françaises : Champagne Chanoine et Champagne Tsarine. Deux positionnements très distincts mais une même ambition.

Il aime à citer cette phrase du poète René Char : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront ». Franck Coste est un pro-actif, plus du genre à relever les défis qu’à nager dans le sens du courant. Ce compétiteur sportif (il faisait partie dans sa jeunesse de l’équipe de France de ski avec Franck Picard) arrive chez Chanoine avec la volonté d’atteindre les sommets. Diplômé de commerce et de marketing dans un contexte très international, ce Franco-Allemand a géré pendant près de 10 ans différents marchés internationaux de la Seita (Europe du nord, Afrique Noire, Moyen-Orient) puis participé au rapprochement-fusion qui a créé le N°1 mondial Altadis. En 2009, changement d’univers, il intègre le groupe agricole et agro-industriel Champagne Céréales puis pilote en 2012 sa fusion en Vivescia, donnant naissance à un leader européen. Il en occupait le poste de directeur général adjoint jusqu’à son arrivée chez Chanoine Frères – Lanson BCC.

Vous avez un temps géré l’activité cigare d’Altadis en Europe. Il y a-t-il des points communs sensoriels avec le monde du champagne ?
Absolument ! Il y a un protocole de dégustation, on parle de vue, d’odorat, de toucher, de tirage, d’arômes, d’acidité, de longueur en bouche, etc. Dans les années 2000, j’ai fait une formation à la dégustation à Bordeaux. Nous avons développé des accords avec des champagnes. Dans l’élaboration d’un grand cigare havane interviennent la proportion et l’origine des tabacs, ainsi que leur maturation, qui est une forme de fermentation lente. Le rôle du Jefe de liga dans l’élaboration d’un puro est aussi important que celui d’un chef de caves en Champagne.
Ces deux filières sont aussi toutes deux dans le collimateur des politiques de santé publique…
Depuis des millénaires, dans toutes les populations humaines, certains hommes ont pyrolysé des végétaux et absorbé la fumée ; ont fermenté des fruits ou des grains et absorbé l’alcool. On n’explique pas pourquoi. Cela fait partie de l’être humain. Tout ceci est encadré par des lois, qui nous permettent de communiquer sur une consommation exceptionnelle et non une consommation régulière. La dégustation du champagne est proche de celle du cigare, dans le sens qu’elle est contrôlée, exceptionnelle, liée au plaisir, et modérée.

Depuis 2009, vous êtes en Champagne. Mais vous étiez dans les grandes cultures, vous basculez dans la viticulture. Quels parallèles faites-vous entre ces deux mondes agricoles qui partagent le même territoire ?
Dans tous ces métiers de production, l’amont doit faire sa transformation durable. Lorsque j’étais chez Vivescia, j’avais développé la marque Respect’in de blé durable, avec une diminution de l’engrais et des phytos de 30 à 40 %, un développement d’engrais verts inter-rangs, etc. Ces évolutions sont inéluctables et il faut absolument les anticiper car elles vont devenir soit une norme, soit un pré-requis, et non pas comme certains l’on cru longtemps, un élément supplémentaire éventuel de valorisation. La Champagne doit absolument aller vers une viticulture plus durable car c’est le sens de l’histoire.
Le deuxième enjeu est celui de la commercialisation. Avec 300-310 millions de cols, la Champagne pèse quelques pourcents à peine des effervescents et n’a pas de possibilités de croissance volumétrique. Pour autant, les coûts des matières et notamment le raisin sont en constante augmentation. Le marché se polarise autour de deux axes : d’un côté le haut de gamme, où la notoriété, le contenu d’image et la communication permettent de monter en gamme et d’apporter sans cesse plus de valeur. De l’autre côté, les champagnes autour de 15 € qui n’ont pas les moyens de répertorier les coûts et où l’avenir se pose en termes complexes, notamment sur le marché français où les deux tiers des bouteilles sont vendues en grandes surfaces.

Justement, venons-y. Chanoine Frères est une des branches du groupe Lanson-BCC spécialisée sur la grande distribution. Vous venez d’en prendre la direction générale. Quel est le périmètre de cette activité et les marques que vous gérez ?
Nous avons pour politique de ne jamais publier de chiffres de production. Chanoine Frères chapeaute deux marques. La gamme classique Champagne Chanoine présente en grande distribution [NDLR : volumes fluctuant entre 0,9 et 1,2 millions de cols, selon les baromètres annuels publiés par le magazine Rayon Boissons] et la gamme de prestige Tsarine [NDLR : 500 000 cols] également disponible dans les circuits traditionnels, aussi bien en France qu’à l’export, où nous réalisons un quart de nos ventes.

Tsarine est un cas assez unique, un flaconnage et des codes résolument différents faisant référence au rayonnement du champagne sous la dynastie des Tsars de Russie. Comment expliquez-vous son positionnement, son succès, et quelles sont ses ambitions ?
Il y a une forme d’évidence dans le mix marketing de Tsarine. On achète d’abord avec les yeux. Le flacon, l’étiquette interpellent et donnent envie. Puis on prend la bouteille en main et on est conforté, « ce n’est pas du faux ». Enfin, à la dégustation, tous nos tests le prouvent : Tsarine est un beau champagne, qui plaît pour son équilibre. A l’avenir, Isabelle Tellier, chef de cave, a décidé d’augmenter légèrement sa durée de vieillissement. Même si on reste sur un vin frais, on confortera ainsi la profondeur et la longueur en bouche.
Nous ambitionnons de réelles perspectives de développement, notamment à l’international et dans le circuit traditionnel. Je crois notamment que Tsarine a capacité à se développer dans le créneau « seven-to-one », qui correspond à un univers de décompression après le travail, monde que je connais bien par le cigare.
Tsarine enregistre une croissance ininterrompue et nous projetons un doublement d’ici 5 ans. La marque est au prix recommandé de 24,90 €. Elle devrait s’enrichir au fil du temps de références supplémentaires (extra brut, blanc de blancs) sous la barre des 30 €.



Et Chanoine ? Il est difficile d’avoir une stratégie marketing sur une marque vendue à 80 % en promotion et principalement sur des opérations de gratuité ?

Les chiffres de promotion sont moins importants que ce que vous évoquez et Chanoine est une marque bel et bien présente en rayon avec une DN de 87 [NDLR : diffusion dans 87 % des points de vente].
Ceci étant, cette marque a longtemps été délaissée alors qu’elle a une histoire fantastique. C’est la deuxième plus ancienne maison de champagne, créée en 1730. Les frères Chanoine fournissaient la célèbre dynastie des tsars Romanov, ils étaient servis à la table de Catherine II ! La maison a une richesse exceptionnelle à raconter. Nous avons fait travailler une historienne et il nous faut à présent mettre en forme ce contenu.
La loi Egalim, qui prendra effets en 2019, a pour principale mesure l’encadrement des promotions en valeur et en volume avec la distribution. Comment limiter les impacts négatifs pour Chanoine ?
Le Champagne Chanoine que vous connaissez est la référence que nous appellons « 1730 » [NDLR : étiquette ovale jaune]. Mais depuis plus d’un an, bien avant la loi Egalim, nous avons développé et introduit la « Réserve privée » [NDLR : étiquette rectangulaire grise] avec une plus forte proportion de pinot, plus de corps et de mâche.
« Réserve Privée » se positionne comme un champagne de tradition et de plaisir simple, qui n’est pas pour autant un plaisir de tous les jours car 19,90 € n’est pas une somme de tous les jours pour un vin. C’est le positionnement sur lequel Chanoine a bâti sa réputation. En 2019, nous allons laisser cohabiter les deux étiquettes et développer « Réserve Privée » sur le fond de rayon.