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[EURO 2016] Foot et vin : la tentation du ballon

(Illustration Michel Tolmer)

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

10.06.2016

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En ce jour de coup d’envoi de l’Euro 2016 en France, nous nous intéressons aux professionnels du football qui se sont « reconvertis » dans le monde du vin. Cavistes, investisseurs, vignerons ou simples amateurs, ils ont dépassé le cadre de la passion. Ce sujet a été publié dans « Terre de Vins » n°29, à l’occasion de la Coupe du Monde 2014.

« De façon générale, on ne peut pas dire que l’univers du sport et celui du vin aient beaucoup de points communs. Si un sportif se passionne pour le vin, cela viendra plutôt d’une démarche individuelle, ou sera lié à son histoire personnelle, mais ce sera rarement impulsé par son parcours professionnel ». Jean-Louis Triaud sait de quoi il parle. Le président des Girondins de Bordeaux, qui se présente lui-même comme « un professionnel du vin et un amateur de foot », fréquente depuis assez longtemps les deux milieux pour savoir tout ce qui les sépare… et ce qui, parfois, peut les réunir. « Comparer le monde du football au monde du vin, c’est comme le comparer au monde des montres de luxe ou des voitures de collection. A priori, cela n’a rien à voir. Mais, les footballeurs ayant souvent des revenus importants, s’ils ont un goût avéré pour le vin, ils peuvent se faire plaisir. Et il existe quelques joueurs qui sont de vrais amateurs, voire des connaisseurs », poursuit le co-propriétaire des châteaux Saint-Pierre et Gloria dans le Médoc (AOC Saint-Julien). « L’avantage à Bordeaux, c’est que pour beaucoup, la réputation de la ville est associée au vin, ou au football. Donc dans le cadre du club, nous utilisons souvent le vin en termes d’image (grands événements, cadeaux officiels…) Mais de façon élitiste, pas grand public ».

La tentation du merchandising

Loi Evin oblige : communiquer autour du vin en France est toujours un exercice périlleux. Il l’est doublement lorsqu’il s’agit de sport – comme la maison de champagne Taittinger, partenaire officiel de la Coupe du Monde FIFA 2014, a pu en faire l’expérience. Un club comme les Girondins de Bordeaux a néanmoins développé des produits dérivés autour du vin : des accessoires – coffret avec tire-bouchon, stop-goutte, thermomètre – mais aussi un vin, baptisé « Prolongation », un bordeaux supérieur mis en bouteille par le groupe Castel. Une palette bien timide si l’on compare avec le merchandising mis en place par un mastodonte comme le FC Barcelone. Le club catalan, qui décline absolument tout aux couleurs « blaugranas », du cendrier au panier pour chien, a aussi son propre vin, issu d’un juteux partenariat avec les Bodegas Altanza, dans la Rioja (ah non, pas en Catalogne… la fierté régionaliste se dilue parfois dans les impératifs du business). Un produit qui remporte un franc succès auprès des millions de supporters du club à travers le monde, particulièrement en Asie.
A côté d’une grosse machine comme le Barça, l’initiative de Gilles Leclerc, viticulteur dans le Gard (Domaine Carmélisa), se révèle agréablement rafraîchissante. Cet ancien défenseur central, qui a tapé le cuir pendant 19 saisons sur les terrains de première et deuxième division, a repris le domaine viticole familial (35 hectares en appellation Côtes du Rhône Villages) après avoir raccroché les crampons, il y a une dizaine d’années. Il signe notamment une « Cuvée verte » en hommage à son équipe de cœur, l’AS Saint-Etienne, pour laquelle il a joué pendant deux saisons. De nombreux supporters stéphanois viennent lui rendre visite à la propriété, pour évoquer des souvenirs sportifs autour d’une bonne bouteille. « C’est finalement ce qui me lie le plus, aujourd’hui, au monde du foot. Je viens d’une famille de vignerons, je suis parti jeune pour devenir pro, mais dès l’âge de 20-22 ans, je savais qu’après le foot, je reviendrais dans les vignes. Au fil de mon parcours, j’ai eu la chance de jouer à Strasbourg, à Bastia, et de rencontrer d’excellents vignerons dans ces régions. En reprenant le domaine familial, j’ai voulu apporter ma propre patte : mes parents fournissaient tout leur raisin à la coopérative. J’ai créé le nom du domaine, j’ai sélectionné les meilleures parcelles pour mettre mon vin en bouteille, dans les trois couleurs. Être vigneron, c’est un apprentissage permanent, face auquel on se retrouve assez seul. Certes, il faut savoir bien s’entourer, mais cela n’a rien à voir avec l’univers du foot et son brouhaha ».

Des « valeurs » partagées ?

A contrario, Laurent Cisneros, propriétaire du château de Rouillac en Pessac-Léognan, dresse des parallèles plutôt intéressants entre les deux mondes. Cet ancien avant-centre, qui a évolué en Ligue 2 et en National jusqu’à l’âge de 27 ans (il a notamment fréquenté, lors de son passage à Cannes, un certain Zinedine Zidane), estime que le sport de haut niveau, par sa logique de compétition, d’exigence, de préparation, a joué un rôle crucial dans sa « construction personnelle, en tant qu’homme et en tant que chef d’entreprise ». Lui qui a racheté Rouillac en 2010, après avoir revendu l’entreprise familiale de systèmes de chauffage, voit au moins trois points communs entre le foot et le vin : « d’abord, la performance. Il faut toujours chercher à se dépasser, à se remettre en question. Ensuite, le respect des cycles : à la vigne, chaque année, on reprend tout à zéro, l’environnement change, il faut être humble, savoir s’adapter ; c’est la même chose dans le football, où chaque nouvelle saison remet tout à plat. Enfin, la force de l’équipe. L’émotion collective d’une après-vendange est un moment très fort, au même titre qu’une victoire sur le terrain. Ce que le football m’a également appris, c’est à recruter les hommes en fonction de leur complémentarité. Car si individuellement on peut être brillant, collectivement, on peut être redoutable ». Déplorant que le football soit trop souvent dénigré en France, Laurent Cisneros défend un sport qui « a aussi de vraies valeurs : de vestiaire, de collectif, de dépassement de soi, de confiance en soi, d’intégration, de culture de l’effort. » Détail amusant : parmi les premiers invités qui ont foulé avec lui la terre du château de Rouillac, figurent l’ancien joueur des Girondins Eric Péan, et l’ancien intendant de l’équipe de France, Henri Emile.

Esprit de camaraderie

La camaraderie entre « footeux » autour d’une bonne bouteille ? Une image qui semble relever d’une époque révolue, à l’heure où les jeunes champions se font plutôt épingler pour leurs virées en boîte de nuit en galante compagnie. « Les joueurs ne sont pas buveurs en général, souligne Guy Roux, l’entraîneur légendaire de l’AJ Auxerre. Certains se laissent aller à une vodka-orange quand ils sortent, mais cela ne va guère plus loin. Le plus grand amateur de vin que j’aie rencontré dans ce milieu, c’est Sabri Lamouchi, un authentique connaisseur ! Il y a aussi Jean-Marc Ferreri, dont la sœur est mariée avec un vigneron de Santenay ».

Franck Leboeuf se rappelle, quant à lui, quelques bonnes bouteilles ouvertes avec des camarades de l’équipe de France 1998, « en particulier ceux qui ont joué à Bordeaux, comme Bixente Lizarazu ou Christophe Dugarry. Vous savez, il y a beaucoup d’idées reçues qui circulent sur les sportifs : jamais d’alcool, jamais de sexe avant les matches… Si on écoutait tout ça, on ne ferait rien ! Certes, quand on est footballeur, il faut faire très attention à son hygiène de vie. Mais un verre de vin rouge de temps en temps, c’est même bon pour la vascularisation. Il faut en revanche éviter le blanc, dont l’acidité est à proscrire pour l’organisme du sportif ». Depuis qu’il a mis fin à sa carrière de joueur, Franck Leboeuf avoue une passion grandissante pour les subtilités, les secrets du vin, et surtout sa place unique dans la culture française. Mais il n’envisage pas pour autant une reconversion dans cet univers, à la différence de personnalités telles que Jean Tigana (La Dona Tigana en Provence), Johan Micoud (Château La Connivence à Pomerol) ou encore Thierry Tusseau, ancien joueur des Girondins qui a créé sa propre société d’achat de vins et champagnes. Passer des crampons au tire-bouchon, c’est un pas qui n’est pas si simple à franchir. Bien que, comme le rappelle Gilles Leclerc, « dans les deux cas, on travaille sur un rectangle vert »…

Cet article est extrait du sujet Tribu « Foot et Vin » publié dans « Terre de Vins » n°29 (mai-juin 2014). Suivez ce lien pour commander le numéro ou vous abonner.