Samedi 21 Décembre 2024
Photo © Frédérix Guy.
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25.09.2015
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C’est le grand jour. Après plusieurs années d’attente, Le Pressoir d’Argent, restaurant gastronomique du Grand Hôtel de Bordeaux & Spa, rouvre ses portes en grande pompe ce vendredi 25 septembre. Avec, pour orchestrer sa renaissance, un chef de réputation internationale, le Britannique – et très médiatique – Gordon Ramsay. Entretien.
Gordon Ramsay, au fil de votre carrière vous avez attaché votre nom à une trentaine de restaurants à travers le monde. Aujourd’hui, pourquoi Bordeaux ? Pourquoi le Pressoir d’Argent ?
Je suis avant tout un chef imprégné de cuisine française. J’avais 21-22 ans quand je suis arrivé en France, j’ai travaillé au côté de Guy Savoy, Joël Robuchon – des expériences extraordinaires. Le fait d’avoir ouvert en 2008 mon restaurant au Trianon Palace à Versailles (deux étoiles au Guide Michelin, NDLR) m’a encore plus ancré dans cette tradition gastronomique française. Puis il y a cinq ans, je suis venu ici, à Bordeaux, j’ai voyagé jusqu’à San Sebastian, au Pays Basque espagnol… cette grande région m’a beaucoup séduit. Il se trouve que Michel Ohayon, le propriétaire du Trianon Palace, est aussi le propriétaire du Grand Hôtel de Bordeaux. Il m’a proposé de reprendre les cuisines du Pressoir d’Argent. Le challenge m’a tout de suite tenté.
Vous arrivez à Bordeaux au moment où d’autres grands chefs s’installent eux aussi dans la capitale girondine…
Oui, le paysage gastronomique bordelais bouge beaucoup, actuellement. C’est un peu « The Place To Be ». Joël Robuchon en début d’année à la Grande Maison, mon ami Philippe Etchebest qui a ouvert son restaurant de l’autre côté de la Place de la Comédie il y a quelques jours, d’autres grands noms annoncés… Cela crée de l’émulation, une saine compétition, et j’adore ça. Après Londres, New York, Paris et d’autres capitales mondiales, Bordeaux représente une nouvelle étape pour moi à 48 ans. Nous sommes dans un quartier magnifique, dans une région avec des produits splendides. Il y a de la pression mais c’est très excitant.
Justement, parlons produits. Votre menu dégustation (145 € ou 165 €) marie un ancrage régional (bordelais, girondin, aquitain) avec des influences de Grande-Bretagne (chevreuil d’Écosse) ou d’ailleurs, comment concevez-vous la cuisine du Pressoir d’Argent ?
Je vous rassure, vous ne verrez pas de fish’n’chips au menu ! (rires) Le monde a tendance à se rétrécir, donc nous avons le devoir d’être de plus en plus disciplinés sur la provenance, la traçabilité et la qualité des produits. Nous avons voulu respecter l’identité de la cuisine bordelaise, en nous concentrant sur les produits. Ne pas signer une cuisine lourde, riche, démonstrative, mais sur la finesse. Si vous fermez les yeux, vous devez pouvoir identifier l’intégrité de chaque ingrédient. Je serais stupide de vouloir faire ici de la cuisine internationale, il nous faut valoriser les huîtres du Bassin d’Arcachon, le bœuf de Bazas, la truffe du Périgord, le caviar d’Aquitaine… Il faut respecter ces produits, sans faire le malin, et tout cela avec une unité de style – obtenue grâce à la grande cohérence de travail au sein de toutes nos équipes.
Quelle est votre ambition avec le Pressoir d’Argent ? Vous visez les étoiles ?
A Paris, nous avons décroché deux étoiles au bout de neuf mois, c’était un rêve, personne ne s’y attendait. Ici, nous savons que nous allons être scrutés de près. Je n’ai pas envie de spéculer sur un nombre d’étoiles, mais nous mettons la barre très haut. Nous savons ce que nous pouvons accomplir, il y a dans l’équipe des gens de grand talent, avides d’accomplir de grandes choses. Il faut que tout se mette en place, un pas après l’autre. Certes, l’avis des critiques est important, mais l’avis des clients est encore plus important, car ils paient l’addition. On a une nouvelle équipe, un nouveau coach, un nouveau stade, maintenant on veut gagner. Ce ne sera pas jugé en trois mois mais en douze. Pour les étoiles, reposez-moi la question dans un an.
Vous êtes constamment amené à superviser vos différents restaurants à travers le monde. Comment allez-vous travailler précisément avec l’équipe du Pressoir d’Argent ?
Si vous pensez que je suis assez stupide pour divulguer mes secrets sur ma façon de travailler avec mes équipes… Je peux juste vous dire que le niveau de communication est très élevé, nous avons des réunions à Londres ou Paris très fréquemment, nous échangeons tous les jours, nous partageons nos idées en permanence. Bordeaux n’est qu’à une heure de Londres, c’est très rapide d’aller d’une ville à l’autre. Et je m’appuie pleinement sur le chef Guilad Peled, qui travaille avec moi depuis 2007 et va diriger les cuisines ici (photo en fin d’article).
Parlons de la place du vin dans votre cuisine, comment l’approchez-vous ?
C’est une combinaison toujours délicate. On estime que 25 à 30% des clients d’un restaurant vont vouloir un vin différent pour chaque plat, 50% vont prendre une bouteille pour l’entrée et une pour le plat principal. Pour ma part, je ne suis pas du genre à prendre quatre différents vins « sympas » pendant le repas, je préfère un seul vin éblouissant qui va m’accompagner sur toute la durée. Cela dépend vraiment de ce que veut le client. Nous devons nous adapter à ses attentes, et le fait d’avoir un restaurant avec 40 couverts maximum nous permet d’être à son écoute, de le guider, de le satisfaire, qu’il veuille faire tout un repas au champagne ou ouvrir un grand vin de Bordeaux.
Les vins de Bordeaux, puisque vous en parlez… Que représentent-ils pour vous ?
Ils sont uniques, bien sûr. Il y a ici, dans ce vignoble et cette ville, dans ces caves, une histoire qui commande le respect, et nous avons fait en sorte de mettre Bordeaux à sa juste place dans notre carte des vins. Même si nous comptons aussi de superbes références de Bourgogne, de Champagne, de la vallée du Rhône… Je suis très chanceux que le propriétaire de l’établissement soit un grand amateur de cuisine et de vin, et qui au même titre que la cuisine ou la décoration, sait l’importance d’une belle carte des vins dans un grand restaurant.
La carte des vins du Pressoir d’Argent compte plus de 500 références, parmi lesquelles… quatre références de « English Sparkling ». C’est une idée à vous ?
Vous savez… Pourquoi y a-t-il autant de chefs français en Grande-Bretagne ? Nous avons parmi les meilleurs produits du monde. Le gibier, le saumon, les saint-jacques… et pourquoi pas le vin pétillant ? Je pense que les clients pourraient être surpris.
Quelle est votre première grande émotion associée au vin ?
A 25 ans, alors que j’étais à Paris, j’ai eu la chance de passer plusieurs jours en Italie, dans la région d’Alba, au moment des vendanges. C’était magique, de pouvoir assister dans cette région magnifique à la naissance d’un millésime. C’était ma première vraie rencontre avec l’art de faire le vin. J’ai enchaîné quelque temps après, alors que j’étais encore à Paris, avec des escapades en Champagne : j’ai visité une douzaine de grandes maisons, rencontré des sommeliers de grand talent, j’en ai gardé de superbes souvenirs.
Et votre plus belle émotion liée au vin ?
Je pense que ce sont des vins de mon année de naissance, 1966. Latour, Petrus, j’ai eu la chance de déguster de très grands vins de ce millésime d’exception, qui est également cher à mon cœur car c’est l’année où l’Angleterre a gagné la Coupe du Monde de football. Nous ne l’avons jamais regagnée depuis, mais « on sait jamais » (en français dans le texte, NDLR).
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