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Justice et pesticides : Bordeaux à la barre

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

16.11.2016

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La récente mise en examen de deux châteaux pour des épandages dans une commune du nord-Gironde en 2014 constitue une première à Bordeaux. Cette procédure est-elle cas « pour l’exemple », ou ouvre-t-elle la voie à d’éventuelles autres attaques en justice ?

Rappel des faits : en mai 2014, une vingtaine d’enfants et une enseignante d’une école primaire de Villeneuve-de-Blaye avaient été pris de malaises, ou s’étaient plaints de picotements aux yeux, de maux de gorges, à la suite de l’épandage de fongicides sur des vignes proches. Une enquête administrative avait établi que les produits utilisés ce jour-là par deux propriétés en appellation Cötes-de-Bourg (Château Escalette et Château Castel La Rose, l’un certifié bio, l’autre conventionnel) étaient autorisés, régulièrement utilisés en viticulture, mais suggérait que l’épandage « à proximité de l’école s’est déroulé dans des conditions inappropriées sans qu’aient été prises toutes les précautions pour le voisinage ». En conséquent, les deux domaines ont été mis en examen le 17 octobre pour « usage inapproprié de produits phytopharmaceutiques », dans le cadre d’une information judiciaire ouverte fin 2015 par le Parquet de Libourne : deux associations de défense de l’environnement, la Sepanso et Génération Futures, se sont constitué partie civile.

« La partie émergée de l’iceberg »

Pour Daniel Delestre, président de la Sepanso Gironde, « c’est l’aboutissement d’une démarche complexe, entamée il y a deux ans, qui a connu beaucoup de chapitres. Nous n’avons pas voulu nous constituer partie civile pour attaquer la viticulture – nous savons l’importance qu’elle tient en Gironde. Nous ne sommes pas des shérifs, mais voulons faire avancer les consciences. Et à cet égard, cette affaire est très symbolique. Il s’agit d’une école, une vingtaine d’élèves ont été touchés… il est impossible de ne pas marquer le coup pour dénoncer un problème de pratiques, qui ont encore cours et qui concernent les riverains comme les salariés de la viticulture, en conventionnel comme en bio. Les produits bio sont certainement moins toxiques à court et moyen terme, il n’en demeure pas moins qu’il y a eu un grand dysfonctionnement dans l’usage des produits, et la justice doit faire la lumière là-dessus ». La Sepanso, fédération d’associations de défense de l’environnement, réunit selon Daniel Delestre 300 adhérents directs et 2500 adhérents indirects, et « il apparait, au vu d’autres témoignages similaires que nous récoltons, que cette affaire de 2014 ne soit que la partie émergée de l’iceberg. Il est donc important que cela fasse caisse de résonance. L’opinion publique bouge à toute vitesse, nous nous devons de suivre le mouvement et briser l’omerta pour que de nouvelles méthodologies soient respectées ». Quant à savoir si cette mise en examen ouvre la boite de Pandore, « je ne le souhaite pas », précise Daniel Delestre. « Encore une fois il ne s’agit pas de faire le procès de la viticulture, d’autant que les travailleurs de la vigne sont les premiers exposés. Mais il y a un vrai souci de connaissance de la toxicité de ces produits et de respect des règles d’épandage ».

« La filière a su bien réagir »

Du côté de l’interprofession des vins de Bordeaux, il n’y a pas vraiment de crainte que d’autres associations s’engouffrent dans la brèche pour multiplier les procédures. « Nous sommes attentifs mais nous ne sommes pas inquiets », explique Allan Sichel, président du CIVB. « L’irruption de cette affaire il y a deux ans a conduit toute la filière et les pouvoirs publics à s’emparer du sujet. Depuis, il y a eu différents arrêtés préfectoraux qui ont encadré de façon plus précise les règles d’épandage, en particulier autour des sites sensibles (enfants, personnes âgées, vulnérables ou malades). Cette mise en examen ne change pas quoi que ce soite ». Allan Sichel, qui a fait de la sortie des pesticides l’une des priorités de son mandat, se félicite que « la justice fasse son travail, pour notre part cette affaire a permis d’accélérer les prises de conscience. Rappelons que ce dont on parle ici, ce sont les modalités d’épandage et non les produits utilisés, qui sont homologués (en bio comme en conventionnel). Ces produits ont des modalités d’application, qui doivent être respectées, et nous nous devons d’être très exigeants pour que la règlementation soit suivie. Et l’on constate, dans les ODG, dans les propriétés, dans les mairies, avec les riverains, de vrais efforts pour échanger de manière constructive et trouver des solutions (matériels de pulvérisation, augmentation de la présence des haies, notifications, respect des horaires, etc.) »

Dans un même esprit de concertation et de pragmatisme, Allan Sichel a salué le fait que le Premier ministre Manuel Valls ait récemment annoncé que le texte de l’arrêté phytos reprendrait celui de 2006 « à quelques ajustements près », notamment pour la protection des sites sensibles (maison de retraites, écoles, crèches…) inspirés par les arrêtés préfectoraux qui ont été promulgués ces derniers mois : « l’arrêté phytos de 2006 avait été abandonné un point de technicité. Le fond reste valable. Je suis satisfait qu’on ne cède ni à la démagogie, ni au populisme : notre rôle est d’accompagner les attentes sociétales mais de façon pragmatique, en concertation avec les professionnels. Il faut que cela s’applique aussi au niveau européen, et cela ne nous empêche en aucun cas de poursuivre nos réflexions pour les évolutions futures ».