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Les champagnes sont-ils des vins de terroir ?

Auteur

Joëlle
W. Boisson

Date

24.11.2015

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Le terroir est-il monoparcellaire ? S’efface-t-il dans l’assemblage champenois ? Marques et terroirs suivent-ils le même chemin ? Une récente conférence bouscule les idées reçues.

Les champagnes sont-ils des vins de terroir ? La question mérite d’être posée alors que le mot fait florès sur les étiquettes, les argumentaires de vente, et dans les magazines. Plus symptomatique encore, une étude de l’école supérieure de commerce de Reims (Néoma) a passé au crible 6500 commentaires de dégustation de 5 magazines pendant un an. Les résultats sont éloquents : cité dans 5% des fiches de dégustation, le terme terroir est toujours associé à des notes et des prix de vins supérieurs !

Pour en avoir le cœur net, l’Union des œnologues de Champagne a fait travailler 12 experts, géographes, géomorphologues, chercheurs, juristes, historiens sur les liens entre le terroir et le champagne.

Premier apprentissage : même s’il est utilisé dans les situations les plus diverses, le mot terroir a une définition scientifique. Dix ans de débats ont été nécessaires au sein de l’Office International de la Vigne et du Vin (OIV), pour mettre au diapason tous les pays viticoles. Sans entrer dans le détail d’une longue définition scientifique, on retiendra qu’un terroir est toujours en lien avec une zone géographique, et qu’il se définit non seulement par tous les paramètres du milieu physique et biologique, mais aussi par « la communauté humaine qui a construit, au cours de son histoire, un savoir collectif de production ». En clair, l’action de l’homme, son savoir-faire, ses traditions. En Champagne, cela démarre du choix des cépages ou du mode de taille jusqu’aux techniques d’assemblage. Nous y voilà. C’est bien l’homme qui crée un terroir dans un espace défini, et non la nature immuable qui s’impose à lui selon un mythe rousseauiste.

Deuxième apprentissage : le terroir est question d’échelle. Si la Champagne est fréquemment surnommée « Le terroir crayeux » – une caractéristique observée sur une bonne part de ses 34 000 ha – il s’agit là d’un méga-terroir qu’il est possible de structurer de manière pertinente en sous-ensembles : l’étude d’une vallée ou d’un versant, d’une portion de coteau, voire même d’une parcelle. Cette segmentation fine en méso et micro-terroirs prend particulièrement son sens dans ce vignoble situé à la limite nord de la culture de la vigne : une orientation un peu plus au sud, quelques mètres d’altitude supplémentaires, la proximité protectrice d’un bois, peuvent jouer un rôle fondamental sur les raisins. Donc, oui, la Champagne est un terroir de précision !

Troisième réflexion : l’assemblage de crus et d’années fait partie du mode traditionnel d’élaboration des champagnes. Il ne va pas à l’encontre du terroir champenois. Au contraire, il y participe. Le remettre en cause au prétexte qu’il brouillerait l’expression du terroir reviendrait au même que de décrier l’assemblage de 13 cépages à Châteauneuf ou même l’élevage bourguignon (assemblage de fûts d’âges, de bois et de chauffes très différents). Au contraire, à partir d’une certaine échelle – et un vin de terroir n’est pas un vin de garage – l’assemblage intelligent apparaît comme un des moyens les plus pertinents pour exprimer le trait commun d’un terroir, au-delà d’une morcellisation du vignoble, et au-delà d’une importante variabilité climatique d’un millésime à l’autre.

Quatrième réflexion : on peut pratiquer le terroir sans forcément le revendiquer sur l’étiquette. La Champagne est un vignoble de marques. Marques de vignerons. Marques de maisons. Y compris pour ces derniers, le style des vins est le reflet direct des approvisionnements : Henriot et les chardonnays du Mesnil et d’Avize ; Piper-Heidsieck et les pinots noirs de l’Aube ; Bollinger et ceux du pays d’Aÿ ; Besserat de Bellefon et les meuniers de la Marne rive gauche. « L’ADN » de chaque marque est donc lié à son terroir d’approvisionnement au travers de contrats de raisins qui lient une marque et ses vignerons-fournisseurs parfois depuis plusieurs générations.

La gestion du terroir est le quotidien des chefs de caves. Pourtant, peu de champagnes ont fait le choix de communiquer sur ce paramètre. « C’est grave docteur ? », lance Hervé Lalau, rédacteur en chef de la revue belge In Vino Veritas. Eh bien non ! Pour le journaliste, la marque est la clef d’entrée et la caution de qualité qu’attend le consommateur. Il ne faut pas le noyer sous des informations qu’il ne demande pas. D’où son interrogation, « Le terroir est-il soluble dans le champagne ? », à laquelle on répondra par une pirouette : autant de champagnes, autant de « solutions ». Affaire liquidée !