Dimanche 22 Décembre 2024
(photo JB Nadeau)
Auteur
Date
03.11.2018
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Comme chaque année, l’institution gastronomique parisienne, doublement étoilée au Michelin, a ouvert sa carte des vins à une personnalité. Yann Queffélec en a extrait 5 vins que le chef David Bizet magnifie dans un superbe menu.
Tout amateur de littérature, livre après livre, apprend à connaître un auteur. A en découvrir les forces, les faiblesses. Plus rarement les passions. C’est cette marche en avant que propose jusqu’au 21 décembre prochain le Taillevent. Pour cet opus 2018 des « 5 de … », c’est en effet vers le romancier, prix Goncourt en 1985 pour les Noces Barbares, que les frères Gardinier ont choisi de laisser livre ouvert, ou plutôt carte des vins ouverte. Un plaisir dans lequel s’est totalement investi ce chroniqueur récurrent de Terre de Vins, grand amateur de la dive bouteille. Grisant au vu des milliers de références de l’une des plus belles caves de Paris, l’exercice peut toutefois s’avouer complexe. Le choix est engageant. Il témoigne d’une sensibilité, d’une histoire, de convictions parfois. La sélection de Yann Queffélec est à ce titre passionnante car elle emporte l’amateur dans un voyage au long cours, surprenant. A l’instar des échappées marines qui façonnent et animent celui dont le patronyme seul est un élan évident vers l’océan. De Sancerre à Bordeaux, le plaisir se retrouve à chaque gorgée. Mais l’histoire n’est pas lisse, elle n’aurait pas pu l’être. De l’harmonie à la confrontation, la partition livrée par le chef David Bizet s’est construite en accord avec l’écrivain.
Le vin chevillé au corps
La page blanche qui était offerte à Yann Queffélec a rapidement été adoptée pour écrire une nouvelle page. Une page faite de souvenirs et d’émotions. Mais aussi de rencontres. Le Sancerre « Le chêne marchand » 2016 de Lucien Crochet en est la parfaite expression. Il y a quelques années, une dégustation mémorable en compagnie de Jean-Luc Petitrenaud au domaine, des agapes, une immense joie on l’imagine, ont forgé une amitié avec ce vigneron. Une entrée en matière franche, une invitation au partage. Comme pour tous les autres plats, David Bizet s’en est inspiré pour proposer un chemin progressif pour les papilles. Il associe donc ce sauvignon ligérien à l’harmonie touchante au « poireau en croûte de sel truffé mimosa de cèpes, essence sauvage poivrée ». L’onctuosité du plat vient se frotter à la vivacité douce du Sancerre. Un duo qui allonge les saveurs. Le palais ainsi préparé se dirige vers la « pomme de terre et Culatello à la crème de truffe blanche ». Du « fort en goût » donc associé de manière surprenante à la délicatesse même. Celle du Chambolle-Musigny 1er cru « les feusselottes » 2012 de Cécile Tremblay. Nez envoûtant des grands pinots noirs, texture au-delà de l’aérien mais une grande énergie évoluant sur le poivre. C’est elle qui dompte et se joue brillamment de ce plat généreux, à la manière d’un risotto. Le vin fait le plat, lui évitant l’écueil de la lourdeur. Un vin symbolique car Yann Queffélec le buvait avec son épouse à bord du Concorde qui eut un incident technique et dû atterrir d’urgence. Une touche d’émotion vers la mer, sa puissance iodée. Passage obligatoire pour un Breton. Un « rouget barbet, concentré torréfié, butternut, foie gras » dont la sauce au vin créé un pont vers ce Château Figeac 2012 à la texture aussi fine que celle du poisson. Un clin d’œil au livre « la dégustation » de l’auteur. Reste alors le lièvre à la royale. Un plat d’épicurien mis en écho avec le château La Conseillante 2010, celui-là même par lequel Yann Queffélec a découvert le vin, enfant, quand son grand-père le servait aux repas de famille. La finale s’inscrit comme un point d’orgue. Un dernier hommage à la tante Jeanne qui raffolait des vins doux naturels. Un Rivesaltes forcément, son préféré, servi en salle en dame Jeanne (bonbonne de verre) et associé à un « chocolat crémeux au thé noir, riz soufflé caramélisé et mûres sauvages ». Le voyage s’achève avec l’impression d’être entré, un peu, dans l’univers « queffelequien ». Le porte-monnaie s’est allégé (375€ le menu et les vins, 230€ sans les vins). L’âme s’est enrichie. Et les sens sont alors tous disposés à maintenir leur éveil par la lecture d’une œuvre. Osmose ? Les affamés ? A vous de choisir.
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