Mercredi 27 Novembre 2024
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14.01.2019
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Jean-Michel Deiss, l’un des fervents défenseurs de l’identité viticole alsacienne, transmet son vignoble à son fils Mathieu. Une succession dans la continuité de la philosophie de la maison.
L’un quitte sans vraiment partir, l’autre s’installe doucement dans les pas du premier. Jean-Michel Deiss, à la tête du Domaine Marcel Deiss depuis plus de quarante ans, cède la place à son fils Mathieu. A priori, rien de bien original dans la transmission de cette maison située à Bergheim (68), au cœur du vignoble alsacien.
Si ce n’est l’originalité des protagonistes : qualifié de « trublion du vignoble », Jean-Michel transmet plus qu’une quarantaine d’hectares à Mathieu. Il lui lègue aussi une philosophie du travail de la terre, de la vigne et du vin.
Faire fi du cépage
Cultivées en biodynamie et en complantation pour faire ressortir la personnalité de chaque terroir, les vignes du domaine sont couvées de bienveillance, les fruits vendangés mûrs et désirables. Dixit Jean-Michel, « le grand vin est la verbalisation d’une émotion et d’une énergie libre venue d’un terroir… Plutôt que l’expression d’un cépage à la norme gustative creuse ». Si ça ne tenait qu’à lui, le cépage ne devrait même plus figurer sur les étiquettes des vins d’Alsace. Comme autrefois, la mention du village, des premiers et grands crus, y suffirait. La page ‘vin de cépage’ du site internet de la maison affiche d’ailleurs que « cette catégorie est indisponible ».
La remplace une gamme baptisée « de terroir » pour des vins qui évoquent d’abord la nature d’un lieu, cristallin, sédimentaire ou volcanique. Aucun ne porte la mention de l’un des sept cépages alsaciens. D’ailleurs pour Jean-Michel, il y en a 13 si l’on compte les diverses variétés de muscat ou de pinot. Cette palette assemblée à l’infini fait l’originalité des vins de la maison.
Préserver la marque du terroir
« Pour moi, le grand vin sera naturaliste, peut-être même avec des défauts, tant les jeunes consommateurs deviennent suspicieux devant la perfection émanant de la technologie », se projette Jean-Michel.
Loin de la productivité et de l’outrance aromatique, viser l’expression d’un lieu et sa bienveillance alimentaire, voilà le credo des Deiss. « Là réside l’honnêteté d’un vin et la dignité des vignerons qui le produisent. Si l’on veut préserver la marque d’un terroir, pousser un pied à produire trois kilos de raisins n’a pas de sens : je ne veux pas voir mourir nos vignes de tristesse ! »
Le vin du rêveur
La transmission du domaine va de pair avec celle de ces idées. Tout en respectant les différences de sensibilité qui peuvent exister entre Jean-Michel et Mathieu. A l’aube de la trentaine, le jeune vigneron, ingénieur agronome diplômé de l’école de Purpan à Toulouse, est arrivé sur le domaine en 2007. Pour lui, « la complantation est l’un des piliers historiques du vignoble alsacien. Mise en place progressivement sur les quelque 220 parcelles du domaine depuis 1985, elle en est l’âme. Ce mode de culture a aussi un réel sens agronomique, surtout avec le changement climatique. »
Résultat : les vins de la maison ont une signature gustative propre, une complexité et une profondeur de goût à part. Des qualités que l’on retrouve aussi dans les flacons du Vignoble du rêveur, ce laboratoire de six hectares hérités de sa mère dans les environs de Benwihr (68). Là, Mathieu peut innover, prendre des risques et progresser vers encore plus de naturalité.
L’avenir poussera plus loin cette philosophie. Chez les Deiss, « on ne demande qu’à servir d’exemple à ceux qui pensent qu’un vigneron est d’abord le gardien d’une civilisation et le serviteur d’un paysage ». Pour mettre en pratique le propos, Jean-Michel et Mathieu espèrent l’avenir viticole de l’Alsace forgé par l’excellence d’un produit bien fait. Selon eux, le seul moyen de se distinguer de la concurrence.
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