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Le retzina, 3500 ans plus tard

Stelios Kechris, vigneron à Thessalonique.

Auteur

Laure
Goy

Date

05.11.2016

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Les vins grecs ont le vent en poupe à l’export. Parmi eux, une curiosité : le « retzina », ce vin blanc avec ajout de résine de pin, à l’aromatique plus que singulière, souffrant encore d’une image peu flatteuse, mais remis au goût du jour par quelques domaines convaincus de son potentiel. Nous avons eu l’occasion de découvrir le travail d’un domaine référent en matière de retzina, le domaine Kechris, qui a souhaité organiser la première verticale internationale de ce genre. Résultats bluffants.

C’est une histoire vieille de trois millénaires. En Grèce ancienne, on faisait et transportait déjà le vin. Il était alors de tradition de fermer et étanchéifier les amphores avec de la résine de pin, le protégeant en partie de l’oxydation. La terre cuite étant poreuse, la résine pénétrait dans le vin, et lui transmettait une partie de son goût : le « retzina » était né. Une tradition qui aurait pu se perdre avec les avancées techniques viticoles modernes (utilisation de l’inox et du bois), mais que les viticulteurs grecs ont choisi de faire perdurer, autour d’Athènes dans la région Attique, et sur d’autres terres de vignes (Macédoine, îles de la mer Égée, etc.) Le retzina va même, dans les années 1960, connaître une forme de célébrité, avec l’explosion du tourisme en Grèce, il se fait servir aux visiteurs un peu partout dans les tavernes. Il devient presque la référence en matière de vins grecs, le seul qu’on identifie et dont on se souvient.

Malheureusement, la résine de pin servant la plupart du temps de cache-misère au vin, le retzina est resté longtemps synonyme de vin de mauvaise qualité. Les vignerons, aujourd’hui reconnus, et développant fortement leurs ventes à l’export, ne le produisent souvent plus qu’en cachette, davantage « pour faire perpétuer la tradition » que pour en faire un marché de distribution. Traumatisés par cette image négative qui colle à la bouteille de ce vin très particulier.

« Aujourd’hui, les vignerons qui travaillent bien et qui ont une belle réputation à l’export produisent, en dehors de leurs cuvées phares, des quantités de retzina minimes, presque en secret, ils ont trop souffert de sa mauvaise réputation », confirme Eleni Keflopoulou, journaliste spécialisée sur le vignoble d’Athènes. Ou même pire : « avant les barriques étaient vendues directement aux tavernes qui ajoutaient elles-mêmes leur résine, ce ne sont que dans les années 1960 que les premières bouteilles de retzina sont apparues », explique Stelios Kechris. Ajoutons-y de très hauts rendements et une absence totale de cahier des charges de production pendant longtemps, et vous aviez le bien mal retzina.

Remettre le retzina au goût du jour, le combat des Kechris

Stelios Kechris n’est pourtant pas homme de mode. Installé à 10 kilomètres de Thessalonique, dans la Grèce du Nord, il a toujours cru au potentiel de vieillissement et à une production qualitative du « retzina ». Après une formation œnologique à Dijon, il revient en Grèce, représentant la troisième génération de vignerons sur son domaine spécialisé en production de retzina depuis 1939, et bien décidé à faire vivre une devise qu’on peut aujourd’hui lire sur ses bouteilles: « du passé stéréotypé au potentiel du futur ». Il est vrai que le retzina, ce vin blanc sec, vinifié à base de cépages indigènes tels que le savatiano, l’assyrtico ou le roditis, puis associé à de la résine de pin est très particulier : amertume en finale, menthols prononcés, le goût de résine reste en bouche et donne un vin un profil étonnant, complètement atypique, voire perturbant dans un premier temps.

Le parti-pris de la famille Kechris est clair : redonner au retzina ses lettres de noblesse, en travaillant mieux la vigne, en limitant les rendements (désormais inférieurs à 50 hectolitres par hectare sur leur propriété), en améliorant les techniques de vinification et « d’infusion » de la résine. Ce qui doit permettre, selon Stelios et Eleni sa fille, œnologue sur le domaine familial, d’élaborer des vins qui peuvent vieillir dans le temps, développant alors des profils aromatiques uniques. Pour preuve de leur pari, le domaine Kechris vend chaque année un million de bouteilles, dont 700 000 bouteilles de retzina. Et l’exporte dans 21 pays différents.

La toute première verticale de retzina

Stelios et sa fille Eleni, décident alors, aidé par Konstantinos Lazarakis, Master of Wine d’Athènes, de réunir une poignée de professionnels du vin pour faire découvrir le potentiel de vieillissement du retzina, grâce à une verticale s’étalant sur dix ans. Ils réunissent sommeliers d’établissements étoilés (David Biraud, sommelier au Mandarin Oriental, Paris) journalistes spécialisés (Laure Goy de « Terre de Vins », Eleni Keflopoulou journaliste spécialiste des vins d’Athènes) et plusieurs masters of wine (Doug Frost aux États-Unis, Dirceu Vianna Junior et David Allen de Grande-Bretagne, et Ursula Heinzelmann d’Allemagne), pour la première verticale internationale de « Tear of the Pine » (les larmes du pin), le retzina haut de gamme de Kechris, cuvée créée en 2006, qui a été élue deux fois « meilleur vin blanc de Grèce » au International Wine Challenge, et aux nombreuses autres récompenses internationales.

« Aucune dégustation de ce genre n’avait jamais encore été organisée. Pourtant, le retzina mérite qu’on s’interroge sur sa capacité à évoluer dans le temps. C’était essentiel que la famille Kechris puisse aussi prendre ce recul sur l’amélioration de leur production, et que l’on sache réellement la qualité que ce vin peut révéler maintenant après quelques années de vieillissement », explique Konstantino Lazarakis, Master of Wine et spécialiste des vins grecs, lors de la dégustation verticale à Athènes, le 29 septembre dernier.

Le bal des verres commence avec le 2015, une belle introduction : avec son nez de citron confit et de thym puissant, la résine de pin donne au vin blanc un profil très médicinal, une acidité d’agrume maîtrisée, des amers doux en finale. On lui donnerait un poisson grillé sur le champ. Puis s’enchaînent 2014, au profil plus beurré, emprunt de notes garrigue, 2013, puis 2012, très étonnant, dans ses premières notes d’évolution et au profil complètement intégré entre la résine et le vin. On commence à comprendre comment la magie peut s’opérer entre ces deux-là. « La résine représente entre 0, 1% et 1% du volume total du vin, elle est intégrée sous forme solide pendant la fermentation alcoolique et retirée au bout de quelques jours. C’est important aussi pour nous de connaître ses pins, leur géographie, leur altitude, les techniques de récolte de la résine. » explique, en dégustant, Eleni Kechris.

Les millésimes continuent, offrant de 2011 à 2006, chacun des particularités aromatiques, entre puissance, arômes floraux, touches oxydatives, et menthols de résines plus ou moins marqués.
Plus les années s’écoulent, moins la résine se fait sentir, bluffant ! A l’aveugle, parole de Master of Wine, concernant le 2008 : « très difficile de dire que c’est un retzina, tellement les arômes de raisins et de résine se répondent ».

Avis aux curieux de nouvelles sensations dans le verre, direction votre caviste passionnée de vins grecs, retzina demandé !

A lire prochainement dans « Terre de Vins » : une world escapade dans le vignoble autour d’Athènes.

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