Samedi 23 Novembre 2024
Auteur
Date
16.05.2013
Partager
Le projet de « fiscalité comportementale » porté par la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) du Sénat fait grincer des dents au sein de la filière vin. Interview d’Audrey Bourolleau, déléguée générale de Vin & Société.
Connaissez-vous le principe de « fiscalité comportementale » ? C’est un concept récemment développé par nos parlementaires dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), portant sur les taxes applicables à certains produits alimentaires comme les huiles végétales, le tabac, les boissons sucrées et les alcools. L’idée étant de taxer un produit dès lors qu’il introduit des problèmes de santé publique… Après les spiritueux taxés en 2012, et la bière depuis début 2013, c’est le vin qui est aujourd’hui dans le viseur de la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) du Sénat, présidée par les sénateurs Yves Daudigny (PS) et Catherine Deroche (UMP).
Il ne s’agit pour le moment que d’une « réflexion », qui ne se concrétiserait qu’à l’automne prochain et prendrait effet début 2014. Mais la perspective est réelle de voir le vin taxé pour financer le PLFSS (dans quelle proportion ? Cela reste à définir, certains parlant de 4 cts, d’autres de 50 à 60 cts…), le plaçant donc de facto dans la catégorie des produits nocifs pour la santé. Pour l’association Vin & Société, qui représente depuis 2004 l’ensemble des acteurs de la filière vin et va, à ce titre, être auditionnée le 23 mai prochain par la MECSS, ce serait le coup de trop porté par les pouvoirs publics au secteur viti-vinicole français. Son président Joël Forgeau s’est déjà fendu en début de semaine d’un communiqué (téléchargeable ici) dénonçant le projet de fiscalité comportementale comme un « miroir aux alouettes ».
Faux débat
Audrey Bourolleau, déléguée générale de Vin & Société, nous confirme que toute la filière est vent debout contre ce projet. « Nous nous opposons totalement au principe même d’une taxe sur le vin telle qu’elle est présentée ici. Pour trois raisons. D’abord pour une question d’image. Comment expliquer que cette filière vin, qui jouit d’une telle renommée à l’international, qui a communiqué pendant des années sur le « French Paradox », soit aujourd’hui taxée dans son propre pays pour des soi-disant motifs de santé publique ? Ce serait extrêmement dommageable, tant en France qu’à l’étranger, et ce d’autant plus qu’il n’y a aucun consensus scientifique sur l’impact du vin sur la santé. Ensuite, c’est un projet stigmatisant. Nous sommes conscients qu’il peut y avoir des comportements de consommation excessive, mais en l’occurrence, ici on taxerait tout le monde, y compris le consommateur raisonnable, à un moment où la consommation de vin est déjà en baisse – on boit moins, mais on boit mieux ! Enfin, nous nous opposons à ce projet parce qu’il ne marche pas. Les spiritueux sont taxés depuis près de deux ans, et cela n’a eu aucun impact sur la consommation, ni sur le « binge drinking ». A contrario, le vin qui subit une fiscalité constante depuis des années, a vu sa consommation baisser… La fiscalité n’a aucune incidence sur le comportement d’un buveur, et ne résout aucun problème de santé publique ».
Vin & Société s’élève particulièrement contre le mélange des genres et l’opacité du débat : on parle officiellement de santé publique, alors qu’il s’agirait avant tout de… renflouer les caisses ? « Ici on ne nous dit pas franchement que l’on veut une filière vin solidaire des comptes publics, mais on la stigmatise pour des questions de santé qui sont très contestables, poursuit Audrey Bourolleau. Peu importe le taux d’imposition envisagé, c’est le principe même de fiscalité comportementale appliquée au vin qui est un faux débat. Les recettes fiscales du vin rapportent déjà un milliard d’euros par an, on voudrait que cette taxation soit mieux utilisée pour déployer des politiques publiques efficaces d’éducation et de prévention. A Vin & Société, nous sommes résolument engagés pour un travail d’éducation au goût, à la culture, à une consommation responsable – même s’il est avéré que le vin n’est pas la clé d’entrée de l’alcool chez les jeunes : seuls 0, 6% des 18-25 ans boivent du vin… Cela ne peut se faire que dans le dialogue et la concertation avec les pouvoirs publics, comme cela a été fait au Québec avec le programme Educ’Alcool, par exemple ».
« Nous ne perdrons pas ce combat »
Malheureusement, nous n’en sommes pas là. Même si plusieurs sénateurs socialistes viennent de se prononcer ouvertement contre ce projet, les prises de parole prématurées de certains membres de la MECSS, a priori en faveur de cette taxation, laissent deviner que le lobbying anti-vin gagne du terrain. « Il y a de fortes pressions pour faire monter les interdits, et triompher un principe de précaution qui s’appliquerait à tout indifféremment, déplore Audrey Bourolleau. Ce qui est d’autant plus désolant que le vin n’est pas un produit comme un autre dans notre pays. C’est le deuxième pôle d’exportation après l’aéronautique, il réunit 500 000 emplois dans 66 départements à travers le territoire. Cette propension à se tirer une balle dans le pied étonne jusque dans la presse étrangère ! »
Attendons donc le 23 mai pour connaître l’issue de la rencontre entre la MECSS et les représentants de Vin & Société. Dans tous les cas, Audrey Bourolleau prévient : « c’est un combat plus politique que fiscal, nous ne voulons pas le perdre et nous ne le perdrons pas. »
Mathieu Doumenge
Articles liés