Lundi 18 Novembre 2024
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30.01.2017
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Rebondissement dans l’affaire des Bag-in-Box de vins espagnols vendus en France avec confusion sur l’étiquetage. Sur les linéaires des supermarchés Franprix (filiale du groupe Casino), les producteurs de Pays d’Oc IGP révèlent les premiers cas de vins vendus sous dénomination d’origine frauduleuse.
De gros metteurs en marché français écouleraient des vins espagnols, sous l’étiquette « IGP Oc ». Observé photos à l’appui dans plusieurs supermarchés Franprix de la commune de Rivière-Pilote en Martinique, ce premier cas présumé de détournement de notoriété organisé par la grande distribution, concerne l’ensemble des supermarchés de cette filiale du groupe Casino sur le territoire français. L’accusation est portée par le Syndicat des Producteurs de vins Pays d’Oc IGP qui a vérifié ses sources auprès d’IRI Worldwide, la référence pour le suivi des ventes en grande distribution française.
Cette découverte, survenue fin décembre, est très mal perçue par le label Pays D’Oc qui depuis plusieurs mois, dénonce des pratiques commerciales trompeuses sur l’habillage des Bag-in-Box de vins espagnols vendus en France sous marques de distributeurs (MDD). Cette fois, l’accusation est plus grave et concerne des bouteilles portant la mention « Chardonnay, Vin d’Espagne », « Sauvignon, Vin d’Espagne », ou « Merlot, Vin d’Espagne ». Sur l’étiquette, l’origine ne prête pas à confusion… La fraude en revanche apparaît sur le bandeau des linéaires, c’est-à-dire le code barre et sur les tickets de caisse, qui apportent en plus du prix, la précision « IGP Oc ».
« Cela veut dire qu’au niveau des EAN (code barre), c’est de l’IGP Pays d’Oc et non du vin d’Espagne. On fausse nos chiffres de sorties caisses avec des vins espagnols vendus pour des vins français. C’est inadmissible !, s’insurge Jacques Gravegeal, président des Pays d’Oc. Des dizaines de milliers de bouteilles sont achetées à l’Espagne, enrichissent le marché espagnol et s’installent sous pavillon français et en l’occurrence languedocien. Cela affecte donc le marché français et trompe le consommateur. »
Montée au créneau
Contactée ce jour, la direction du groupe Casino déclare en substance qu’il s’agit d’une erreur de livraison entre enseignes : ces produits (cépage MDD d’origine Espagne) sont exclusivement réservés à la vente chez Leader Price et n’auraient pas dû se retrouver chez Franprix. Cette erreur est un cas isolé et n’a bien sûr aucune incidence fiscale.
De son côté, le président des producteurs de vins Pays d’Oc a saisi la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) de l’affaire et n’entend pas en rester là face à la GD.
« Il est hors de question que l’on détruise ce qui a été construit, insiste Jacques Gravegeal. Je suis invité à participer à la réunion organisée par Jérôme Despey (Président de la Commission Viticole de la FNSEA) avec la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) le 1er février prochain et je compte bien m’expliquer sur ces pratiques qui doivent cesser immédiatement. J’ai conscience du poids économique que représente la GD pour le label IGP Pays d’Oc. Toutefois, je ne peux pas passer sous silence ces pratiques frauduleuses. Avec mon Conseil d’Administration, J’ai saisi Jérôme Despey sur l’urgence d’une réglementation du linéaire Bag-in-Box permettant un classement clair et lisible pour le consommateur sur l’origine française de nos vins distinctement des vins étrangers. »
178 contrôles réalisés en GD
Les vins espagnols vendus en France sous une fausse étiquette, argument coup de poing de l’interprofession des Vins de Pays d’Oc révélé en décembre dernier, concernait jusqu’à présent le packaging des Bag-in-Box de 5 litres vendus en GD. L’affaire était suffisamment grave pour que le Ministère de l’Agriculture, saisi de l’affaire début 2016, mobilise la répression des fraudes. Sur 178 contrôles nationaux réalisés en grande distribution, la Brigade d’enquêtes viticoles (BEV) a relevé ces derniers mois 10% de cas de non-conformité d’étiquetage, majoritairement des erreurs d’affichage dans les dénominations de produits et « quelques cas plus graves d’infractions avec tromperie sur l’origine pour des vins d’Espagne revendus avec mention Vins de France », selon les informations communiquées en décembre par Philippe Froelig, inspecteur technique interrégional à la BEV de la Direccte Occitanie.
Alors que les contrôles se poursuivent, le négoce français minimise la portée de telles accusations. « Les producteurs déplacent le débat sur des problèmes d’étiquetage plutôt que de se remettre en question, avance Bruno Kessler, président de l’Association française des embouteilleurs et distributeurs de vins et spiritueux (AFED) qui regroupe les plus gros metteurs en marché français (Castel, La Fié des Lois filiale d’Intermarché, Johanes Boubée filiale de Carrefour, Sieur d’Arques). Il faut sortir de ce débat passionnel pour analyser les chiffres. La production française est excédentaire de 2 Millions d’hl, majoritairement des replis d’AOP entrées de gamme ou d’IGP qui ne trouvent pas preneurs faute de performance commerciale. Le marché a changé : aujourd’hui au-dessous de 2,29 €, les consommateurs achètent du vin comme on achète un pot de moutarde. L’origine n’est pas déterminante dans l’acte d’achat, c’est le prix et le packaging qui comptent.»
Soupçons sur l’origine
Ces affirmations ne concordent pas avec une récente étude de Pays d’Oc sur les attentes des consommateurs de Bag-in-Box réalisée par le cabinet indépendant Segments. Publiée en juillet dernier, elle révèle que l’origine et la confiance sont au contraire deux notions intimement liées, qui vont déterminer l’acte d’achat, même chez les consommateurs peu attachés à la notion d’origine.
Pire, dans le cas des vins espagnols écoulés en France, les soupçons portent à présent sur la présence ou pas dans la bouteille, du cépage revendiqué sur l’étiquette. « En Europe, il n’y a pas de limite de rendements pour les vins sans Indication géographique (ex vins de tables), autorisés depuis 2008 à porter la mention des cépages sur leurs étiquettes », explique Jacques Gravegeal.
Pour le président des producteurs de Pays d’Oc, cette décision de la Communauté européenne a été, pour les vins IGP, le « baiser de la mort ». « Ils ont donné toute latitude à l’Espagne et aux pays de la communauté européenne capables de produire à bas prix, à faire mentionner le cépage sur les VSIG, mais sans contraintes, sans cahier des charges, sans dégustation des vins, donc dépourvus de toute traçabilité alors que chez nous, sous signe de qualité IGP, tous nos cépages sont certifiés par des contrôles rigoureux du raisin jusqu’à la bouteille. Le consommateur ne peut pas être abusé de la sorte. »
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