Mercredi 18 Décembre 2024
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08.03.2022
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En ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, nous sommes allés à la rencontre de trois actrices du secteur. Elles témoignent de leur ressenti en tant que femme dans un milieu encore largement masculin, et nous confient leurs souhaits pour le futur de la condition féminine dans le monde du vin.
Amélie Osmond, pouvez-vous vous présenter et exposer votre parcours ?
J'ai 38 ans, je suis vigneronne depuis sept ans. J'ai commencé à travailler dans le commerce à l'âge de dix-huit ans. Mais il y a dix ans, après dix ans dans ce secteur, j'avais vraiment envie d'un métier qui avait du sens et me permettait de travailler avec la nature. Je suis originaire de Champagne, et même si mes parents n'étaient pas vignerons, j'ai baigné dans cet univers. Devenir vigneronne a été une évidence. Partir de rien, cultiver, vinifier, transformer, vendre, avoir la chaîne complète de A à Z donnait un sens à mon métier. Pour moi, le vin est le produit le plus noble de l'agriculture, il représente le côté traditionnel, gastronomique de la France. Bien manger et bien boire, c'est tout ce que j'aime ! Dans l'aventure, j'ai emmené avec moi Victor, mon conjoint, qui était charpentier. Nous avons d'abord suivi un BTS viticulture-œnologie à Blanquefort, puis il a travaillé pendant deux ans dans une petite exploitation familiale à Saint-Emilion, et j'ai été embauchée à l'Evangile à Pomerol. Nous avons eu deux expériences très complémentaires pour construire notre projet d'installation. Nous avons toujours été attirés par les petites appellations, comme les Côtes de Bourg, avec des exploitations principalement familiales, et une identité d'enfant terrible des vins de Bordeaux, à imaginer des choses hors des sentiers battus. Les terroirs très vallonnés y sont fantastiques. Nous sommes tombés amoureux du Clos du Notaire, situé sur les anciennes carrières calcaires, devant le fleuve. En reprenant une exploitation viticole, j'ai retrouvé ma madeleine de Proust !
Au fil de vos années d'expérience dans le monde du vin, comment avez vous vécu votre qualité de femme ?
Au début, le fait d'être une femme a pu être un frein. Quand on a dû trouver une alternance, en 2012, Victor a trouvé en moins de quinze jours en envoyant quatre CV, alors que j'ai mis plus de six mois après avoir envoyé 450 courriers, et je n'ai eu que quatre entretiens. En 2012, le changement concernant la place des femmes débutait seulement dans le monde du vin. Une fois, j'ai eu un entretien avec un vigneron, qui m'a demandé de poser les mains sur la table, et m'a dit : « votre manucure, c'est terminé, il va falloir tirer des tuyaux plein de vin dans le chai, donc je ne pense pas que vous en soyez capable ! » Je lui ai gentiment rappelé que pendant dix ans, j'implantais des magasins avec des meubles en bois massif et que je gérais deux-cents palettes par semaine. Je pense qu'à cette époque-là, le fait d'embaucher un homme était beaucoup plus rassurant pour un patron. Pourtant, si les femmes ont moins de force, elles peuvent être tout autant débrouillardes. Une fois arrivée à l'Evangile, j'ai été grandement accueillie. J'ai échangé avec le directeur technique et lui ai expliqué que je voulais tout voir, y compris monter sur un tracteur, planter les piquets, tailler, faire tous les travaux du chai, bouger les barriques... Il m'a prise au mot. J'ai eu une très belle formation, j'ai vraiment été intégrée dans toutes les étapes de vigne, du chai, et de dégustation.
Depuis vos débuts dans le monde du vin, avez-vous noté une évolution de la place des femmes ?
Nous sommes de plus en plus nombreuses à nous occuper de propriétés viticoles. Sur notre appellation, on a été très vite intégrés par nos confrères et le syndicat. Je n'ai jamais eu une remarque dégradante. Je pense qu'à partir du moment où on a repris nos études, en 2012, l'évolution était en marche, et ça s'est grandement et assez rapidement amélioré.
Quels progrès sont encore, selon vous, à accomplir ?
Je trouve que du point de vue de la production, les femmes sont bien intégrées. C'est plus du point de vue commercial que je dois un peu battre des coudes, surtout auprès de « gros » acheteurs/grossistes et/ou négociants. Quand je fais des dégustations, certains ne peuvent pas s'empêcher de me dire « mais vous êtes qui ? La commerciale, la secrétaire ? » On a sans cesse besoin de se justifier. Moi, je le fais en apportant des informations ultra-techniques au niveau du vin. C'est une façon de montrer que je suis sur le terrain et que je sais de quoi je parle. On peut parfaitement être maquillée, apprêtée tout en mettant les mains dans le cambouis. Le changement doit aussi venir de nous, nous devons affirmer que nous nous sentons plus légitimes dans nos métiers, ne pas nous mettre en retrait.
NDLR : Le Clos du Notaire fait parti des cent nominés aux Trophées Bordeaux Vignoble Engagé 2020 dans la catégorie Nature et Respect.
Audrey Martinez, pouvez-vous vous présenter et exposer votre parcours ?
A la base, je suis une technicienne du vin, je suis œnologue et ingénieure-agronome. J'ai officié pendant dix ans dans la sphère du conseil sur la vigne et le vin, puis j'ai eu envie d'aller au-delà du technique, de communiquer sur le vin pour le rendre accessible à tous. J'ai créé mon blog la WINEista il y a huit ans. Concomitamment, avec l'envie de faire mon propre vin, j'ai créé avec mes parents le domaine La Vivarelle. Depuis cinq ans, je fais aussi de la communication sur le vin, en écrivant pour des sites internet.
Au fil de vos années d'expérience dans le monde du vin, comment avez vous vécu votre qualité de femme ?
J'ai toujours baigné dans le monde du vin. Mon père était directeur de cave coopérative, et déjà étudiante, j'y travaillais. Je n'étais pas forcément sensibilisée aux discriminations via ma culture familiale. Mais, au cours de mes expériences, j'ai reçu des propos et réflexions qui me surprenaient et me gênaient, par exemple : « une femme n'a pas sa place dans cave » ou encore « lâche tes cheveux ou mets une jupe, on aura plus de clients ! » J'ai du caractère et je n'ai pas tendance à me laisser faire, donc j'ai décidé que je n'accepterais pas ça.
Depuis vos débuts dans le monde du vin, avez-vous noté une évolution de la place des femmes ?
Oui, c'est assez récent, ça bouge depuis cinq ou six ans. On parle des vigneronnes, maîtres de chais parce que ce sont des femmes, mais avant, elles travaillaient autant, et c'était leur frère ou leur mari qui était en lumière. Je suis un peu partagée sur ce point. Si on en parle c'est qu'il y a encore un souci, et je pense que ces mises en lumière donnent l'élan à des femmes qui n'oseraient pas. Mais d'un autre côté, je me questionne aussi en me demandant si ce n'est pas un peu suscité par un effet de mode...
Quels progrès sont encore, selon vous, à accomplir ?
Que le genre n'ait plus aucune importance et que seules les compétences comptent.
Christelle Taret, pouvez-vous vous présenter et exposer votre parcours ?
Après un passage dans la banque en tant que conseillère pendant quelques années, j'ai repris mes études à l'école Vatel, pour devenir sommelière. J'ai rencontré Alain Senderens qui m'a initiée au vin, aux accords mets-vins et m'a appris le métier. J'ai ensuite exercé à Paris au restaurant « Le Laurent » pendant un peu plus de quatre ans avec Philippe Bourguignon, meilleur sommelier de France. Suite à un passage chez Pierre Gagnaire, je suis devenue caviste un peu par hasard, en 2007. J'avais rendez-vous dans cette cave qui périclitait, car j'avais été sollicitée pour la remonter. Le challenge était très intéressant. J'ai accepté, et ça fait maintenant quinze ans que je suis aux Caves du Parc, que j'ai rachetées il y a six ans.
Au fil de vos années d'expérience dans le monde du vin, comment avez vous vécu votre qualité de femme ?
En sommellerie, ce n'était pas facile, nous étions peu de femmes, et j'étais aussi parmi les premières cavistes. Il y a plein de choses auxquelles on n'échappe pas, dont de la drague récurrente parce qu'on est une femme, même sur le lieu de travail. Certaines remarques, qui peuvent sembler gentilles, comme « vous êtes jolie, vous êtes charmante », sont en réalité inappropriées dans le cadre professionnel. Quand les hommes rencontrent un homme, ils ne lui disent pas qu'il est charmant ! J'ai aussi entendu nombre de remarques déplacées comme, une fois, un commercial qui en entrant dans la cave, a dit : « le ménage est bien fait, il doit y avoir une femme ici ! » En termes de compétences, être une femme oblige à se battre deux fois plus, et à être meilleure pour prouver qu'on est compétente. Ca amène à se défoncer. Quand j'étais sommelière, je me rappelle notamment de la comtesse de Paris qui venait manger très régulièrement au Laurent. Elle refusait que je la serve, parce qu'elle trouvait qu'une femme qui servait le vin, c'était vulgaire ! De façon générale, j'ai toujours gardé mes distances pour éviter tout débordement, et mis mon professionnalisme en avant, car c'est ce pour quoi je veux être reconnue.
Depuis vos débuts dans le monde du vin, avez-vous noté une évolution de la place des femmes ?
Oui, c'est très clair entre il y a vingt ans et aujourd'hui. On est beaucoup plus nombreuses, donc on n'est plus un ovni quand on arrive en dégustation ou sur une manifestation. Les mentalités changent, la société évolue autour de nous. Il y a aussi eu beaucoup de collectifs de femmes qui se sont montés pour dire « on existe, on est là, on n'est pas que la femme du vigneron, on peut aussi être vigneronne, sommelière ou caviste ». Quand on me demande comment ça se fait que je sois la première femme à avoir le titre de maître caviste, c'est très simple : il faut avoir dix ans d'expérience dans le métier, et il n'y avait pas beaucoup de cavistes femmes à l'époque où j'ai commencé. Quand j'étais au magasin avec mon livreur Jorge, qui travaille toujours à mes côtés, les gens qui rentraient s'adressaient directement à lui, car c'était impensable pour eux qu'une femme puisse être responsable d'une cave à vin. Encore aujourd'hui, on pense que Jorge est mon mari ! Même si je suis respectée dans mon milieu, j'essuie parfois encore des réflexions très déplacées. Ca m'est arrivé une nouvelle fois il y a peu. Parfois, j'ai la répartie et parfois pas, car je ne m'y attends pas. Pour certains, je reste une femme avant d'être une caviste, c'est très désagréable.
Quels progrès sont encore, selon vous, à accomplir ?
Je pense qu'il faut s'exprimer, oser dire ce qui ne nous plaît pas, et répondre pour dire que certaines choses ne se disent pas et ne se font pas. Il faut aussi rappeler que nous sommes des professionnelles avant d'être des femmes quand on est dans notre milieu professionnel. Il y aura de plus en plus de femmes. La société évolue, la relève des générations de jeunes femmes qui arrive sait se défendre. Elles revendiquent leur statut d'égalité, de ne pas être jugées sur le sexe mais sur leurs compétences. Un autre progrès est aussi accepter que si une femme tombe enceinte, elle ne perd pas une partie de son cerveau. Il y a encore beaucoup d'hommes qui n'aiment pas être dirigés par des femmes. Certains critiquent la discrimination positive, mais je trouve que dans un monde qui a du mal à parvenir à l'égalité, c'est un outil utile. Malheureusement, il faut en passer par là, même si on aimerait que ça se fasse naturellement. Au magasin actuellement, nous sommes trois femmes et deux hommes. Je suis pour la parité dans les deux sens, je n'embaucherais pas quelqu'un parce que c'est une femme, mais seulement parce qu'elle est compétente.
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