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[Haut Médoc] La Tour Carnet anticipe le changement climatique

Collection des cépages - Château La Tour Carnet

Auteur

Michel
Sarrazin

Date

22.08.2022

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Ce cinquième cru classé en 1855, en Haut Médoc, propriété de Bernard Magrez, est devenu le lieu d’une expérimentation destinée à simuler les effets du changement climatique à l’horizon 2050. Il s’agit d’étudier l’adaptation de 84 cépages à de nouvelles conditions climatiques provoquées artificiellement.

L’enjeu est de taille car les hivers sont de plus en plus doux, induisant des débourrements précoces et exposés aux gelées printanières. Les étés sont de plus en plus chauds et certains cépages traditionnels sont plus vulnérables au stress hydrique. Avec le changement climatique, les raisins mûrissent trop tôt durant l'été, sont davantage chargés en sucres, ont donc des degrés d’alcool plus élevés, et sont moins acides, ce qui affecte le potentiel de garde des vins. D’une manière générale, les vins peuvent donc avoir moins de fraîcheur et moins d'équilibre. Le merlot, cépage typique du bordelais est sans doute le cépage qui pâtit le plus du changement climatique.

Face à ce constat, l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) a récemment autorisé l’intégration de 6 nouveaux cépages parmi 52 testés selon le cahier des charges des Bordeaux et Bordeaux supérieur. Cette recherche d’adaptation par une ouverture à d’autres cépages vise à sélectionner des cépages :

  • qui débourrent plus tardivement afin de réduire les risques de gel printanier,
  • à maturation lente afin d’obtenir un équilibre sucre-acidité satisfaisant, et donc de produire des vins moins alcooleux
  • dont la résistance à la chaleur est avérée.

Bernard Magrez, en visionnaire qu’il est, a conduit depuis 2013 sa propre expérimentation sur le terrain de La Tour Carnet. Julien Lecourt, Responsable Recherche et Développement, estime qu’« on est au pied du mur et qu’on est obligé de trouver des solutions. On n’a plus le temps d’expérimenter et de s’adapter à l’ancienne. Heureusement on est capable d’accélérer le processus d’expérimentation ».  

Un dispositif technique pointu

84 rangs de vignes correspondant aux 84 cépages, 42 rouges et 42 blancs, (1 rang par cépage testé) ont donc été plantés. « D’ici 2050, la température devrait augmenter de 2 à 4°C » nous dit Julien Lecourt. Il s’agit de provoquer et de simuler cette augmentation de température. « Nous avons installé des câbles chauffants afin d’augmenter la température entre 1,5 et 4 °C et d’avancer le débourrement de la vigne. La puissance délivrée aux câbles dépend de la température extérieure. Le dispositif est piloté par des sondes extérieures et des cartes électroniques ». « Les câbles chauffants viennent de l’aéronautique » explique-t-il. Ceux-là même qui chauffent les ailes d’avion pour assurer le dégivrage. « Le câble est automatiquement plus chauffé là où il fait froid et moins chauffé là où il fait plus chaud » précise julien Lecourt.

Aux 84 cépages correspondent 84 cuves thermorégulées de 1 à 4 hl. Une fois la vinification achevée, c’est la mise en bouteille. « On attend quelques mois puis on procède aux analyses chimiques. On extrait une quarantaine de molécules aromatiques et volatiles du vin. Ceci depuis les millésimes 2018 ». A ces analyses s’ajoutent « des analyses sensorielles poussées ». Afin que la méthode d’analyse reste constante « un protocole critérié pour la dégustation a été écrit ». Pour cette « expérimentation 2050 » une dégustation est faite tous les 6 mois, afin de mesurer l’évolution des vins et leur qualité « avec un panel comprenant les équipes techniques associées à des chercheurs de l’ISVV (Institut des Sciences de la Vigne et du Vin à Bordeaux-Villenave d’Ornon) ».

Confirmations

Le Touriga National fait partie des 84 cépages testés. Il est aussi autorisé par l’INAO depuis peu en Bordeaux et Bordeaux supérieur selon certaines règles. Dégusté, le 2018 exprime des arômes de mûre, goudron, graphite, concassé de tomate. Végétal et racinaire en bouche, feuille de tomate encore, un peu asséchant. « Il a été vendangé en sous maturité début octobre. On ne pouvait plus attendre » précise Julien qui se satisfait à juste titre du résultat. « C’est un bon candidat » pour le futur. Une confirmation des travaux de l’INAO donc. Un INAO qui « est dans son rôle » estime Julien lorsqu’elle donne un cadre aux expérimentations qu’elle mène avec prudence et rigueur.

Le 6 juillet 2022, la Tour Carnet a réuni 280 chercheurs du monde entier, dans le cadre du Congrès Terclim. C’est là une belle reconnaissance du travail accompli jusque-là.