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Pesticides, un pavé dans la barrique

Auteur

La
rédaction

Date

21.02.2013

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Une enquête réalisée dans le Médoc par l’ONG Générations Futures met à jour la surexposition des salariés de la vigne aux pesticides. Les réactions se multiplient.

En plein climat de méfiance vis-à-vis de l’industrie agroalimentaire, liée à l’affaire de la viande de cheval dans les lasagnes au bœuf de Findus, l’organisation non-gouvernementale Générations futures vient de lancer un pavé dans la mare, ou plutôt dans la barrique. D’après une étude réalisée à l’automne dernier dans les vignes du Médoc, les salariés viticoles sont particulièrement exposés aux pesticides (voir les résultats de l’étude à la fin de cet article).

Sur son site Internet où les résultats de l’étude sont publiés depuis cette semaine, Générations futures rappelle que « la France reste le premier utilisateur de pesticides en Europe avec 62 700 tonnes de substances actives vendues en 2011. Malgré le lancement du plan Ecophyto en 2008, et l’objectif affiché de réduction de 50 % des pesticides en dix ans ainsi que l’exclusion des substances les plus dangereuses, la consommation de pesticides a augmenté entre la période 2009-2010 et la période 2010-2011 de 2, 7 % ». Quant à la viticulture, elle représenterait à elle seule 20 % des tonnages de pesticides utilisés en France, alors qu’elle ne pèse que 3, 7 % des surfaces agricoles. Dans le Bordelais comme ailleurs, il s’agit majoritairement de fongicides.

« Une épine dans le pied »

Selon cette enquête, menée avec la collaboration de Marie-Lys Bibeyran, une salariée viticole du Médoc dont le frère était décédé d’un cancer, on trouve onze fois plus de résidus de pesticides en moyenne chez les salariés viticoles que chez les riverains habitant loin des vignes. Et cinq fois plus de résidus chez les riverains de la vigne que chez ceux qui résident plus loin. L’ONG rappelle la dangerosité des pesticides, dont l’usage est néanmoins autorisé (perturbations du système endocrinien, présence de neurotoxiques ou de cancérigènes possibles). Enfin, un pesticide interdit, le diuron, a été retrouvé chez un viticulteur du Médoc. Selon Nadine Lauverjat, porte-parole de Générations futures, il ne s’agit pas d’une étude scientifique, mais d’une enquête. 25 personnes seulement ont dû donner une mèche de cheveu au laboratoire Kudzu Science, pour rechercher des traces de pesticides. « C’est un focus qui montre une très forte différence entre ceux qui sont exposés par leur travail dans les vignes et les autres. En terme d’image, c’est une épine dans le pied de Bordeaux », estime-t-elle.

La première instance à avoir réagi à la publication de cette enquête est l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP), qui reproche vivement à Générations futures de jouer avec la peur et de dire qu’il y a des pesticides dans les vignes, « ce qui n’est pas un scoop ». L’UIPP rappelle ensuite que présence de traces et risques ne sont pas synonymes : « Le principe de ces analyses est fondé sur la détection et non sur les quantités retrouvées, comparées aux seuils de risque. »

« Pas dangereux »

En revanche, le puissant Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) reste muet. Sollicité par nos soins, il ne veut pas répondre lui-même et se contente de renvoyer sur l’Institut français de la vigne et du vin (IFVV), une instance nationale qui n’est pas chargée de l’image du bordeaux. Son directeur, Jean-Pierre Varuys, relativise l’importance de l’enquête et rappelle les efforts de la filière viticole : « L’enquête n’est pas réellement scientifique et elle sort juste avant l’ouverture du Salon de l’agriculture. Elle est issue d’un drame humain, que l’on peut comprendre, avec une personne qui veut démontrer que son frère est mort à cause des pesticides. Cela reste une question importante, mais dans la viticulture, deux produits prédominent : le soufre et le sulfate de cuivre, qui ne sont pas dangereux. La filière fait de gros efforts, l’usage des pesticides est en recul, il y a une prise de conscience des vignerons. On voit aussi la progression du bio. Enfin, il y a une attente du consommateur. Aujourd’hui, c’est un processus inéluctable. La contrainte, elle viendra du marché. Dans le Bordelais, il y a plusieurs châteaux qui sont engagés dans la réduction des produits phytosanitaires. Nous travaillons beaucoup avec eux sur des molécules alternatives naturelles. Le CIVB lui-même investit des fonds dans la recherche et le développement. L’étude souligne une situation, mais il faut aussi voir les efforts. Le ministre Le Foll a parlé d’agri-écologie, nous devons inventer la viti-écologie. Mais il y a plein de signes, comme par exemple le fait qu’aujourd’hui les vignes sont enherbées. On ne met plus de désherbants. C’est nouveau et cela progresse partout. »

Selon le docteur Annie Sasco (Inserm Bordeaux), spécialiste du cancer, qui rappelle que la vigne est l’une des cultures les plus traitées, « l’intérêt de ce travail est de poser la question de l’exposition aux pesticides, y compris pour ceux qui ne font pas l’épandage. Cela mérite de faire des études scientifiques de validation. »

Denis Lherm

POUR EN SAVOIR PLUS : CE QUE DIT L’ENQUÊTE « APACHE »
L’enquête « Apache » (pour Analyse de pesticides agricoles dans les cheveux) a été réalisée par l’ONG Générations Futures, avec les participations de Marie-Lys Bibeyran. Des mèches de cheveux ont été prélevées sur 25 personnes, travaillant ou ne travaillant pas dans les vignes, et vivant ou ne vivant pas à proximité des vignes. Elle s’est déroulée dans le Médoc entre la mi-octobre et la mi-novembre 201. Le laboratoire Kudzu Science a cherché toute trace de pesticides viticoles. Les résultats :
11 fois plus de résidus de pesticides en moyenne chez les salariés viticoles que chez les non-professionnels habitant loin de vignes (6, 6 pesticides en moyenne contre 0, 6).
– Quatre des 15 salariés viticoles présentent 10 pesticides différents.
Cinq fois plus de résidus de pesticides en moyenne chez les non-professionnels de la vigne habitant près des vignes que ceux habitant loin (trois résidus de pesticides en moyenne trouvés chez les premiers contre 0, 6 pour les seconds).
– 74% des pesticides actuellement autorisés sur la vigne issus de la liste établie pour l’enquête ont été retrouvés au moins une fois.
Un produit interdit, le diuron, a été retrouvé chez un professionnel.
– Plus de 45% des molécules retrouvées sont classées cancérigènes possibles en Europe ou aux Etats-Unis.
– Plus de 36% des molécules retrouvées sont suspectées d’être des perturbateurs endocriniens.