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08.03.2013
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Après 26 campagnes passées au Syndicat des vins de Cahors, Eric Filipiak prend son indépendance en tant qu’œnologue-consultant. Une émancipation comme un écho à la nouvelle génération de vignerons lotois qui lui emboite le pas, les yeux rivés sur le terroir.
Si par hasard Eric Filipiak avait rencontré les frères Coen, il n’aurait peut-être pas été œnologue ? Pour certains, les gènes s’imposent. Ukrainien, il aurait fait dans la lutte. Natif de Saint-Jean-Pied-de-Port, il dévalerait les montagnes dans la brume avec un tronc d’arbre sur les épaules. Enfant de Berlin-Est, tout désigné pour lancer du poids (ou des Traban à la chute du Mur). Eric Filipiak, c’est près d’un 1, 80m au garrot, le quintal bien passé – pas seulement les bonnes années – et un buffet qui fait la maille.
Le colosse est né à Auchel dans le Pas-de-Calais d’un père mineur de fond et d’une mère au foyer comptant trois filles et Eric. Ses quatre grands-parents sont venus de Pologne durant l’entre-deux-guerres pour poser de maigres valises dans le Nord. L’un d’eux a même fait le trajet à pied, et fissa ; il s’était engagé en 14 aux cotés des Boches – qu’on appelait comme ça car ils avaient de grosses caboches. En 18, sale temps pour les vaincus, cap dans le Nord de la France où il y a du boulot dans le charbon et dans le textile. « C’était un village où il y avait 90% de Polonais », explique Filipiak qui va naître le 5 août 1962 dans cette ambiance bien particulière. Cavanna avait signé Les Ritals ; Eric pourrait titrer Les Polaks.
L’invertébré
Le vin, nenni. Dans la famille, on ne boit que de l’eau. Ceci dit, Eric a déjà fait un bout de chemin puisque le vin, c’est plus de 90% d’eau. « C’est plutôt la bière que je découvre au lycée de Douai… », avoue-t-il. Le sport aussi et Filipiak compte transformer son bac scientifique en professeur d’éducation physique. Mais chute à l’arrière du peloton, il se blesse à la colonne vertébrale, annihilant toute chance d’intégrer la faculté de sport. Alors, c’est le dos en compote qu’il signe pour une année de biologie à Lille. Il découvre le cinéma, la lecture (dont Le Parfum de Süskind…), la bande-dessinée et la vie nocturne au point d’en oublier l’université. « J’ai repiqué, il n’y avait pas beaucoup d’argent à la maison, il fallait que je me mette au travail », admet l’intéressé qui a des facilités intellectuelles et qui commence à apprécier les bonnes tables et les vins dits sympathiques.
Le DEUG en bandoulière, il commence à perdre ses cheveux mais ne veut plus perdre son temps. Benoîtement, il se rend au CIO – mythique Centre d’Information et d’Orientation – en quête d’un boulot. Il y a cinq gros classeurs et Filipiak tombe sur un terme barbare : « œnologie ». « Je ne comprenais même pas le mot, j’ai vu que c’était la science du vin, j’étais bon en bio et en chimie, allons-y ». Nous sommes en 1983, ciao les corons, basta les terrils, Eric Flipiak part dans la Côte Chalonnaise pour faire les vendanges et les vinifications en attendant de savoir s’il était pris à la faculté de Dijon. Ce sera le cas.
La folle du désert
Durant sa formation, il côtoie Kynigopoulos (aujourd’hui propriétaire du labo Burgundia à Beaune), Michel Brulfert (en poste chez Pernod-Ricard), Philipe Barral (domaine Léon Barral à Faugères) ou encore Véronique Drouhin chez qui il va faire ses armes. « Nous étions une toute petite promo, idéale pour de bonnes études et de nombreuses dégustations, explique-t-il. Lors de mon stage à la maison Drouhin, je suis passé par tous les postes, j’ai beaucoup appris avec un petit bizutage en règle ». Alors qu’il est chargé de faire un soutirage par l’esquive, la bonde est retirée augmentant considérablement le débit… « Peu de gens peuvent se vanter d’avoir pris une douche au Montrachet du Marquis de Laguiche », s’amuse Eric. « Nous trouvions qu’il ressemblait à un Wisigoth alors son surnom était « Le Goth », raconte Véronique Drouhin-Boss. Déjà il adorait la Bourgogne et surtout le bourgogne ! Je sais qu’il excelle dans la production des malbecs mais il a certainement le talent pour le pinot noir ».
Au terme des études, Filipiak fait son tour d’Europe avant de revenir en France. Son premier job ? En Ardèche, à la cave coopérative de Beaulieu. Il y découvre le sud mais ne rêve que d’une chose : l’Australie. Mais pas de Filipiak ou la folle du désert à une époque où ce pays ne donnait pas le visa facilement. Faute de tampon, il remonte à Douai pour une école d’ingénieur, travaille dans une brasserie de bière, fait des animations sur le vin en grande surface. Le sud lui manque. En 1987, deux postes sont à pourvoir : dans le Var ou à Cahors.
Dans les grottes de Rocamadour
Il choisit le Lot et le Syndicat des Vins de Cahors. Il participe, sous la houlette des vignerons Sigaud et Burc, à fédérer moult viticulteurs dans une AOC en crise. Le Goth est rejoint en 1993 par Mylène Doux : « Nous avons toujours souhaité travailler en complémentarité plus qu’en exclusivité, c’est ce qu’appréciaient les vignerons que nous suivions », dit-elle non sans émotion alors que s’achève ce binôme œnologique. Autre personne clef dans l’histoire d’Eric : Pascal Verhaeghe, qui revient à l’époque au domaine familial, le Château du Cèdre. « Il a montré que le malbec était extraordinaire, c’était la fin des années 80… », explique Filipiak. « J’ai rencontré un grand gaillard à l’allure de rugbyman avec beaucoup d’humour et de modestie, répond Verhaeghe. Ce que j’ai vu chez lui c’est son sens de l’amitié, sa soif de culture et son savoir-faire la fête. C’est ce qui lui a permis de s’intégrer parfaitement dans le vignoble de Cahors et de petit à petit comprendre les subtilités du malbec sur nos terroirs ». Sa sincérité et son professionnalisme font que Cahors l’adopte. Un pays qui préfère les polars de Jean-Patrick Manchette aux salons de Marcel Proust. Ça tombe bien, Eric est du genre nature. Il est canard, truffe, rocamadour. Ce pays de grottes, de terroirs, qui porte encore les séquelles des guerres de religion, lui sied. Il y rencontre même une certaine Isabelle qui lui fait deux beaux enfants, Darius et Selma…
Sa règle en matière professionnelle : faire le vin des autres. « L’œnologue ne doit pas imposer ses choix, il doit avant tout connaître le vigneron, l’écouter », dit-il. C’est avec cette philosophie, et après 26 campagnes, qu’Eric Filipiak a franchi le Rubicon en créant sa propre structure de conseil. Sa connaissance et son honnêteté lui ont assuré d’emblée une trentaine de clients pour débuter. Sur Cahors bien sûr (Lamartine, Gaudou, Domaine du Prince, Combel La Serre, Capelanel…), mais aussi dans le bordelais et la Bourgogne. Et l’hémisphère-Sud l’attire, le Chili… ou l’Australie – pardi ! – comme une revanche sur la petite histoire.
Par Jean-Charles Chapuzet, photographies Guillaume Rivière
Portrait paru dans « Terre de Vins » n°21 (janvier-février 2013). Abonnez-vous au magazine en suivant ce lien.
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