Lundi 25 Novembre 2024
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13.05.2023
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Champagne Tasting, c’est l’occasion de découvrir de grands vins, mais aussi de belles histoires. La Maison Thiénot qui présente aujourd’hui ses vins au Palais Brongniart rénove en ce moment un hôtel particulier en plein cœur de la capitale des sacres, dont les caves nous racontent une partie de l’épopée champenoise. Celles-ci devraient bientôt constituer l’une des plus belles adresses oenotouristiques de la Champagne.
Le 3 de la rue du Marc a une histoire particulière. Il y a d’abord le nom de la rue qui prête à confusion. D’aucuns le relient au marc du raisin, mais il fait en réalité référence à l’ancien hôtel de la monnaie, tout proche et où le « marc » (qui a donné le marck en Allemand !) constituait une unité de mesure pour peser les métaux précieux. L’endroit a cependant bien hébergé par le passé des maisons de champagne et il a même constitué la matrice de plusieurs grandes marques historiques de l’appellation.
Si la bâtisse a été reconstruite dans les années 1920 dans le plus pur style Art Déco, les caves en revanche ont miraculeusement résisté aux bombardements, sauvant au passage le million de bouteilles qui y était alors stocké. On y trouve des témoignages de toutes les époques. Ainsi, dès le premier caveau qui plonge en direction de l’hôtel des Comtes de Champagne, on découvre une voûte brisée, vestige du Moyen Âge.
L’escalier qui descend ensuite est surmonté par des départs de voûtes inachevées. Le dégradé qu’elles forment permettait au visiteur qui palpait le plafond de se repérer et d’identifier la descente des marches dans l’obscurité. On retrouve ce système dans les anciennes caves de l’abbaye Saint-Nicaise, à l’intérieur des crayères de la Maison Taittinger. Jolie curiosité, la maçonnerie comprend un bout de chapiteau, placé à l’envers. « Il s’agit d’un réemploi. Dans la société médiévale, rien ne se perdait ! » explique l’historien Patrick Demouy. « Quant aux motifs de feuillage très simples, si on se base sur ce que nous connaissons de la cathédrale, ils sont caractéristiques du XIIIe siècle ».
Dans les caveaux suivants, on est frappé par la quantité d’évents. Ils devaient provoquer des variations de température trop importantes pour ne pas nuire à la bonne conservation du vin. On peut en déduire qu’il ne s’agissait pas de la première vocation de ces galeries. Rien de surprenant : le quartier a d’abord été tourné vers le commerce des draps. Aussi, pour éviter les moisissures, une bonne ventilation des caves était indispensable si on souhaitait y stocker ces marchandises. Il faut se souvenir que la première activité économique de Reims, depuis le Moyen-Âge jusqu’aux années 1950, était le textile, loin devant le vin de Champagne. L’organisation par les Comtes des fameuses foires de Champagne en ont assuré la prospérité, faisant de la région le point de rencontre entre les drapiers des Flandres et les marchands du Nord de l’Italie.
Mais on rappellera que les premiers négociants à produire et vendre du champagne furent aussi les négociants du textile qui mirent à la disposition du vin du diable leur réseau commercial international déjà constitué. Les risques que représentaient en effet le commerce du champagne, compte tenu de la maîtrise empirique de la prise de mousse et du taux de casse, nécessitaient d’avoir d’autres activités parallèles. D’une certaine manière, ces caves qui ont d’abord servi au textile avant d’être employées pour le champagne, sont l’un des plus beaux symboles de cette union sacrée entre la laine et le vin qui fit la fortune des bulles champenoises.
D’autres caveaux sont plus tardifs. L’une des galeries comporte ainsi deux niches qui servaient à poser les lampes, dont une reprenant la forme d’un coquillage, tout à fait dans le style du XVIe XVIIe siècle. Peut-être ce caveau a-t-il été le premier à recevoir du vin. Il est en effet connecté à l’hôtel Le Vergeur, ancienne propriété de Nicolas Le Vergeur. Or un « vergeur » est un courtier en vins qui trempait une verge en bois dans les tonneaux pour vérifier leur profondeur et donc leur volume.
La connexion avec le monde du vin semble cependant se préciser surtout au XIXe siècle. Les deux frères Irroy qui ont fondé en 1820 une maison de champagne (aujourd’hui propriété de Taittinger) à Mareuil sur Ay, ont déménagé en 1837 leur affaire à Reims pour l'installer dans cette demeure. Mais compte tenu du développement de la Maison qui connaît un grand succès en Angleterre, dans les colonies britanniques et aux Etats-Unis, ils ne tardent pas à s’y sentir à l’étroit. C’est probablement ce qui motive la revente en 1854, lui préférant le quartier proche de l’actuelle Maison Roederer.
La famille Henriot a alors pris le relais. Ces négociants ont débuté dans le textile, mais sont aussi liés au Chanoine Godinot, oncle d’Apolline Henriot, fondatrice de la Maison. On doit à ce religieux janséniste le tout premier traité décrivant en détail la technique du pressurage champenois qui permet d’obtenir du vin blanc à partir de raisin noir. On sait qu’Ernest Henriot a fondé en 1851 avec son beau-frère Charles Heidsieck la Maison Charles Heidsieck, l'une des premières à avoir exploré le marché américain et à s’y être forgé un nom. Il n’est pas impossible qu’une partie des bouteilles aient été stockées ici avant que les deux familles choisissent de poursuivre leurs affaires séparément.
Enfin, dernier grand nom de la Champagne à partir de 1910 et jusqu’en 1928, Henri Alexandre Geoffroy, lequel était propriétaire à la fois de l’hôtel des Comtes de Champagne, du 3 de la rue du Marc et de l’hôtel Le Vergeur, l’ensemble de ces caves formant alors un vaste réseau relié. Il y exploitait deux marques célèbres, le champagne Couvert (créé en 1820) et le champagne Forest & Fourneaux (une marque rachetée depuis par Taittinger qui récupéra au passage l’hôtel des Comtes de Champagne). Cette deuxième maison est l’une des plus anciennes de l’appellation. Fondée en 1734 (Ruinart date de 1729), elle cultivait des vignes à Rilly-la-Montagne, et figurait aussi parmi les très grands noms du textile. Cette maison partage un bout de son histoire avec le champagne Veuve Clicquot. A la mort de François Clicquot, son épouse Barbe Nicole Ponsardin (la Veuve Clicquot), a choisi de s’associer avec Jérôme Alexandre Fourneaux. Cette collaboration a duré quatre ans de 1806 à 1810. Elle ne sera en effet pas aussi profitable qu’espérée. La société doit affronter alors l’instabilité géopolitique en Europe provoquée par les guerres napoléoniennes qui gêne beaucoup les exportations mais aussi les approvisionnements en sucre et en bouchons. Un choix malheureux pour Alexandre Fourneaux, lorsqu’on sait le succès qu’a connu ensuite la Veuve…
Le 3 de la rue du Marc, transformé par la suite en immeuble d’habitation, a donc retrouvé avec la famille Thiénot qui l'a racheté en 2011 sa vocation initiale, ouvrant une nouvelle page de sa grande histoire.
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