Jeudi 21 Novembre 2024
©I. Bachelard
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Date
11.09.2023
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Depuis le 1er août, le riesling déchaine à nouveau les passions en Alsace : le vignoble est divisé entre ceux qui s’opposent à la nouvelle réglementation de l’étiquetage du riesling et ceux qui l’approuvent.
Le 1er août a été publié au Journal Officiel un nouveau décret qui établit que tous les vins étiquetés riesling doivent être secs. Les vignerons qui ne sont pas d’accord avec cette décision enjoignent les amateurs de rieslings pluriels à se joindre à eux pour manifester leur désaccord en écrivant une lettre à l’INAO, Institut national des appellations et de la qualité avant le 30 septembre. C’est principalement le cas des vignerons indépendants, qui avaient voté contre cette mention, lors de la l’assemblée générale de mars. Le nouveau cahier des charges proposé interdira le nom de riesling aux vins qui auraient plus de 4g de sucre résiduel, ou 9g s’ils ont plus de 7g d’acidité.
Pierre Gassmann lance une pétition
A la tête des vignerons qui s’opposent au nouveau cahier des charges, Pierre Gassmann, propriétaire du domaine Rolly Gassmann à Rorschwihr (Haut-Rhin), est connu pour faire vieillir ses innombrables cuvées, dont beaucoup de style demi-sec ou moelleux, qu’il commercialise uniquement au moment où il les juge à leur apogée. Il s’oppose à la « frénésie normative », à la « standardisation » et envisage avec inquiétude « l’impossibilité de produire des rieslings dans les millésimes solaires ». Il rappelle aussi que depuis la récolte 2021, les Alsaciens appliquent la directive européenne qui rend la lecture des étiquettes aisée avec les mentions précises sec, demi-sec, moelleux ou doux. Il a créé un site qui permet de télécharger une lettre type à adresser à l’INAO avant la fin du mois de septembre, date butoir de contestation, deux mois piles après la parution au JO.
Pour la pluralité de styles pour le riesling
Membre de l’Association ACT, Alsace crus et terroirs, Ludivine Dirler, du domaine Dirler-Cadé à Bergholtz (Haut-Rhin), soutient Pierre Gassmann car « on travaille avec la nature, tout est une question d’équilibre, sur les grands crus Kessler ou Saering par exemple » et craint un nivellement par le bas. Elle évoque un riesling 2015 qui s’est vu passer de sec à demi-sec en l’espace de trois jours, juste par une petite pluie qui a amené de la pourriture noble. Il en est né une belle « cuvée Cécile » avec du sucre, mais moins riche qu’une vendange tardive. A Westhoffen (Bas-Rhin), Etienne Loew évoque les cuvées de riesling exceptionnelles 1978 ou 1981 pour défendre la pluralité des rieslings et explique que « le problème n’est pas le sucre, mais les vins qui manquent de matière auxquels on laisse 6 ou 7g de sucre pour cacher leur agressif acide malique. Sur mes 6 cuvées de rieslings il y en a toujours une qui dépasse les 4g de sucre, mais il peut se déguster sec, car il est équilibré par l’acide tartrique, pas l’acide malique » dit-il en pensant à son grand cru Altenberg de Bergbieten 2021, soutenue par ses 6,1g d’acidité.
Des opinions mitigées
D’autres vignerons ont des opinions plus mitigées. Pour Frédéric Bernhard du domaine Jean-Paul Bernhard à Katzenthal (Haut-Rhin) : « Je suis pour la pluralité encadrée, donc réservée à certains terroirs, mais c’est une évidence que le riesling sec doit être la norme, et les plus riches clairement identifiés sur l’étiquette ». De même Eddy Leiber-Faller, du domaine Weinbach à Kaysersberg (Haut-Rhin) comprend le désir de lisibilité, mais se demande si la démarche est véritablement utile en plus de l’application stricte de la législation européenne. Il admire Pierre Gassmann comme « un des meilleurs connaisseurs de l’Alsace » mais pense que des solutions existent pour ses types de vins puisque « à l’avenir les cépages vont s’effacer au profit des terroirs » et que le nom du cépage pourrait disparaître de l’étiquette.
Pour le riesling sec exclusivement
Christophe Botté directeur de la Cave de Turckheim (Haut-Rhin) et d’Union Alsace (cave du Roi Dagobert à Traenheim, Bas-Rhin) est favorable au riesling sec parce que « l’Alsace souffre de la diversité de ses profils, que le riesling avec le pinot blanc et le sylvaner est traditionnellement un cépage à vin sec, que les sommeliers et les consommateurs plébiscitent les vins secs ». Il se réjouit que l’Alsace ait « pris le taureau par les cornes ». A la grande cave coopérative Wolfberger, Emilie Lejour, maitre de chai et oenologue pour les vins tranquilles, confirme qu’on a sauté le pas dès 2021, que tous les rieslings sont secs. « Même en 2022, tous les rieslings de grands crus ont été vinifiés en sec depuis le Rangen de Thann au sud jusqu’au Muenchberg de Nothalten au nord. Les restaurateurs, les sommeliers et les clients veulent des vins secs ou demi-secs pour la gastronomie » conclut-elle.
Une voie noble
Au domaine Zind-Humbrecht, Olivier Humbrecht comprend bien la démarche de Pierre Gassmann. Mais le président de la section Grands Crus au sein de l’AVA, Association des viticulteurs d’Alsace constate qu’avec le changement climatique, la viticulture doit s’adapter. Avec son fils Pierre-Emile, il voit certains vins non secs comme des échecs, des manques de discipline de la part des vignerons. Il s’explique : «Le climat nous pousse à faire des vins plus secs. Quand on vendange en septembre, les journées sont chaudes, les acidités chutent brutalement, il y a plus de levures, les fermentations se font rapidement dans les caves encore chaudes ». Il poursuit : «Pierre Gassmann recherche un style, mais c’est une exception, alors que la nouvelle loi va aider des centaines d’autres producteurs. La liberté a bon dos : on vit un ouragan pour ½ ou 1% du vignoble ». Il entrevoit une solution qui respecterait le consommateur et ferait briller le terroir. S’il y a des lieux-dits comme le grand cru Schoenenbourg (Riquewihr) ou le Silberberg (Rorschwihr) cher à Pierre Gassmann qui produisent un style de vin original, avec du sucre résiduel, et que tous les vignerons se mettent d’accord, une nouvelle définition (demi-sec, moelleux ou doux) de ces lieux-dits pourrait être revendiquée auprès de l’INAO. Ce serait une voie noble, tout comme la suppression du nom du cépage sur l’étiquette au profit d’un nom de terroir. Il rappelle qu’un décret n’est pas éternel : « Toutes les AOC ont évolué, elles pourront évoluer de nouveau » conclut-il.
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