Jeudi 19 Décembre 2024
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23.11.2023
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Alors qu’en Champagne les chiffres provisoires prévoient un atterrissage à 304 millions de bouteilles expédiées au 31 décembre 2023, contre 325 millions en 2022, Terre de vins a demandé à David Ménival, directeur de la filière champagne au Crédit Agricole, de nous livrer son analyse de la situation économique.
Comment expliquez-vous l’explosion des expéditions en 2021 et 2022 ?
Il faut revenir douze ans en arrière pour bien comprendre la situation actuelle du champagne. En 2010, 2011, les Champenois sortent de la contraction engendrée par la crise des subprimes de 2008. Leur situation est plutôt enviable, on s’attendait à pire. Mais, malgré tout, il a fallu une fois de plus baisser les prix pour faire repartir la machine. Le débat était donc à nouveau ouvert : combien de temps encore devrait-on supporter ces marches arrière sur les prix, surtout lorsque l’on voit les années nécessaires pour remonter à chaque fois la situation tarifaire ? Les choses changent avec le programme Champagne 2030. En effet, la profession va accélérer sur des orientations qu’elle avait déjà plus ou moins testées, en changeant le type de champagne proposé, pour privilégier les cuvées particulières, comme les monocépages, les blancs de blancs, les blancs de noirs, les rosés ou encore les cuvées parcellaires. Et ce au détriment du Brut Sans Année (BSA), les quantités de matière première dans une appellation étant par définition limitée.
Comme ces cuvées exigent des maturations plus longues, les ventes de la Champagne ont d’abord globalement baissé, le temps de cette transition. Cette réorientation sur les cuvées de petits volumes a très bien fonctionné à l’export, parce que ce sont des marchés en croissance, avec de nouveaux consommateurs, où il est par conséquent plus facile d’introduire de nouvelles habitudes. Le covid est arrivé et a accéléré le mouvement. Les consommateurs qui ne pouvaient plus déguster de champagne dans les restaurants ont pu, avec le même budget, chez les cavistes, acheter ces cuvées plus premiums et se faire plaisir. À la sortie du Covid, l’habitude s’est maintenue, avec des chiffres incroyables au Japon, en Australie et évidemment aux Etats-Unis où le taux de change favorisait encore plus l’introduction des nouvelles cuvées premiums.
En revanche, le marché français, plus mûr, et de longue date accoutumé par les Champenois eux-mêmes au BSA, consommé comme vin d’apéritif, n’avait pas la même souplesse vis-à-vis de cette réorentation des cuvées. Les expéditions de champagne n’y ont ainsi jamais rattrapé leur niveau de 2019. Idem au Royaume-Uni, qui est un marché important de BSA et où, qui plus est, s’additionnait le Brexit et la concurrence de bulles bon marché venues du monde entier. Si on compare au Royaume-Uni le chiffre d’affaires de 2007 avec celui de 2022, il n’a augmenté que d’un pourcent.
D’un boom des expéditions, on passe aujourd’hui à un retrait notable, une bulle est-elle en train d’éclater ?
Certains acteurs ont cru à un boom de la consommation de champagne. Mais il y a eu une erreur de lecture. Une grande partie des ventes n’était qu’une reconstitution des stocks que les importateurs frileux pendant le covid avaient préféré ne pas renouveler. Le reste ne résultait que du maintien de la croissance de la demande sur les cuvées particulières amorcée avant le covid. D'ailleurs, ce sont surtout ces cuvées particulières qui ont été contingentées. Ces restrictions ont tout de même rabattu une partie des importateurs sur les BSA et sur les cuvées meilleur marché de certains opérateurs. De ce fait, les prix du BSA ont du même coup augmenté. Mais, maintenant que les stocks sont reconstitués, cette demande est retombée. Ainsi, pas plus qu’il n’y a eu de boom, il n’y a aujourd’hui d’effondrement de la consommation. On observe juste un retour à la normale avec des chiffres comparables à ceux de l’avant Covid en 2019. Tout en rappelant que la catégorie des BSA est sans doute la plus impactée par la baisse actuelle parce qu’elle est celle qui reste la plus sensible aux changements socio-économiques comme l’inflation et les tensions geopolitiques, on peut supposer en revanche que les autres cuvées restent celles qui alimentent encore les réseaux de distribution, suivant toujours cette évolution amorcée depuis dix ans. C’est pour cette raison d’ailleurs que l’on peut s’attendre à la fin de l’année, malgré la baisse des volumes, à un relatif maintien du chiffre d’affaires.
En France, la catégorie BSA va d’autant plus mal qu’elle s’adresse aux classes moyennes très impactées par l’inflation…
En effet. On l’a vu en Grande Distribution avec en 2023 sur le premier trimestre une chute vertigineuse de 20 % des volumes, au profit principalement, non pas des sparklings étrangers, mais des crémants français, dont les prix ont augmenté suivant la même tendance que celle du champagne, mais en restant beaucoup plus abordables. Le marché français reste un marché de prix. Il y a un autre phénomène inquiétant, c’est que la Grande Distribution, en raison de l’inflation, perd une partie de sa clientèle au profit du Hard Discount. La tentation est donc pour la Grande Distribution d’utiliser le champagne comme produit d’appel en faisant des promotions sur certaines marques prestigieuses à leur insu. On relativisera tout de même la situation du marché français qui n’est pas si dramatique notamment grâce au relai de croissance qui s’est créé entre temps à travers le développement de l’oenotourisme. De nombreuses marques de champagne ont réinvesti dans la restauration de leur patrimoine pour ouvrir des sites très haut de gamme où on peut déguster justement ces nouvelles cuvées très premiums.
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