Lundi 16 Décembre 2024
Auteur
Date
18.04.2024
Partager
Décédé il y a cinquante ans jour pour jour, Marcel Pagnol, le célèbre auteur de la Gloire de mon père et du Château de ma mère mais aussi de la trilogie Marius, Fanny, César, a été le témoin assidu d'une époque où le vin inspirait aux hommes du peuple une poésie savoureuse dont il s'est efforcé de retranscrire au fil de son oeuvre les plus belles envolées.
Le père de Marcel Pagnol, en bon instituteur, hussard de la république, est un hygiéniste et a une vision très négative de l’alcool. Il faut dire qu’en ce début du XXe siècle, nos compatriotes ont tendance à lever un peu trop souvent le coude et l’alcoolisme fait des ravages. En 1900, chaque Français consomme en moyenne 150 litres de vin par an ! Marcel Pagnol dans "La Gloire de mon père" raconte avec beaucoup d’humour l’enseignement reçu par Joseph à l’École Normale, qui « ne se bornait pas à l’anticléricalisme, et à l’histoire laïcisée. Il y avait un troisième ennemi du peuple, et qui n’était pas dans le passé : c’était l’Alcool ». L’auteur s’amuse alors de toute la propagande affichée sur les murs des salles de classe de l’établissement qui a pris une teinte aujourd’hui presque folklorique : « on y voyait des foies rougeâtres et si parfaitement méconnaissables, à cause de leurs boursouflures vertes et de leurs étranglements violacés qui leur donnaient la forme d’un topinambour, mais pour éclairer ce désastre, l’artiste avait peint au beau milieu du tableau, le foie appétissant du bon citoyen » Un condisciple de Joseph, « ivre d’eau filtrée », s’était même attaqué un jour à la terrasse d’un café à l’heure de l’apéritif, en renversant les tables de cette "assemblée de candidats au suicide". Marcel Pagnol conclut avec ironie, que la haine la plus farouche de ces serviteurs laïcards de la République se concentrait sur « les liqueurs dites "digestives", les bénédictines et les chartreuses, "avec privilège du Roy", qui réunissaient dans une trinité atroce, l’Eglise, l’Alcool et la Royauté ».
Cet affrontement entre les partisans à la fois de l’Église et de l’alcool contre les hygiénistes républicains se retrouve dans la relation souvent conflictuelle entre Joseph et son beau-frère, le fameux « oncle Jules », un épicurien qui va à la messe et aime le bon vin. Alors que l’oncle Jules est en train de gérer le déménagement à la bastide où la famille passe ses vacances, il a déjà bu avec l’ouvrier qui l’assiste, deux bouteilles de vin pour se donner du coeur à l'ouvrage et attend Joseph pour finir la troisième. « L’oncle Jules était assez rouge, et beaucoup plus gai que jamais : il parlait d’une voix forte, et roulait les r comme une crécelle ». Joseph s’offusque évidemment de sa consommation d’alcool mais Jules lui répond : « vous saurez que le vin est un aliment indispensable aux travailleurs de force, et surtout aux déménageurs. Je veux dire le vin naturel, et celui-ci vient de chez moi ! D’ailleurs, vous-même, quand vous aurez fini de décharger vos meubles vous serez bien aise d’en siffler un gobelet ! »
L’oncle Jules reprend ainsi tout le discours de l’époque des maisons de vins et des ligues anti-prohibition, qui opposaient le vin fruit « naturel » de la vigne, vraie nourriture saine du travailleur défendue par Pasteur lui-même, aux spiritueux, souvent « fabriqués » et « trafiqués » véritables vecteurs de l’alcoolisme. La réplique de Joseph n’en est pas moins cinglante : « Mon cher Jules, j’en boirai peut-être deux doigts , pour faire honneur à votre production. Mais je n’en sifflerai pas un gobelet, comme vous dites si bien. Un gobelet de ce vin-là contient probablement cinq centilitres d’alcool pur, et je ne suis pas assez habitué à ce poison pour en supporter une dose dont l’injection sous-cutanée suffirait à tuer trois chiens de bonne taille. »
Il y a fort à parier que Marcel Pagnol ait été davantage séduit par le côté bon vivant de son oncle si on en juge par les nombreuses occurrences que l’on trouve dans son œuvre où les buveurs sont le plus souvent présentés comme des personnages sympathiques. À commencer par César dans son film « Marius », qui tient un bar sur le vieux port de Marseille et qui donne un cours magistral à son fils sur l’art et la manière de servir un Picon-Citron, où perce toute la tendresse de l’auteur pour les habitués des comptoirs et leur vision poétique des mathématiques. « César : Ce n’est pourtant pas difficile ! Tu mets un tiers de curaçao, fais attention, un tout petit tiers. Un tiers de citron, un bon tiers de picon, et alors un grand tiers d’eau. Voilà ! Marius : Et ça fait quatre tiers… César : Et alors ? Marius : il n’y a que trois tiers ! César : Mais imbécile, cela dépend de la grosseur des tiers. Marius : Et non, ça ne dépend pas. C’est de l’arithmétique. César : Ne cherche pas à détourner le sujet de la conversation ! »
https://www.youtube.com/watch?v=oZZJFfk_Oh8
Alors que l’on fête aujourd’hui les cinquante ans de la mort de ce dramaturge de talent qui a su si bien immortaliser tout l’art de vivre des Provençaux, Terre de vins vous recommande quelques cuvées clin d’œil à son œuvre : les trois rosés du Château d’Astros, L’Aventure, L’Amour et L’Absolu. C’est là où a été filmé le château de ma mère, adapté par Yves Robert, même s’il ne s’agit pas de la bâtisse authentique de l’histoire, qui est en réalité le Château de la Buzine transformé depuis en cité du cinéma.
Articles liés