Accueil Actualités Année noire pour le Jura

Année noire pour le Jura

Vignes du Jura

Le vignoble du Jura attend un millésime 2024 de belle qualité, mais de très faible quantité ©F. Hermine

Auteur

Frédérique
Hermine

Date

07.05.2024

Partager

Avec une baisse de rendements évaluée autour de 40% suite au gel de fin avril, le vignoble jurassien après deux belles récoltes s’inquiète pour son avenir.

L’avenir s’assombrit pour le Jura qui a été encore frappé par le gel fin avril avec des températures à de – 1 à -3°C avec de fortes humidités et un soleil matinal qui a noirci les bourgeons. Une masse froide qui a écrasé les vignes surtout en bas de coteaux et en plaine. Un impact d’autant plus catastrophique qu’après les douceurs du mois d’avril, « tout était sorti et on était même à trois ou quatre feuilles pour le savagnin, cépage en général plus tardif, déplore François Duboz du Domaine de la Pinte. On avait bien utilisé des bougies sur un hectare pour tenter de sauver en priorité notre rare melon à queue rouge, mais on n’allait pas chauffer 34 hectares. La taille fractionnée en préventif sur une dizaine d’hectares aurait pu fonctionner en période habituelle mais elle ne peut que retarder de 3-4 jours le débourrement ; cette année, le cycle végétatif avait 10 jours d’avance comparé à 2023 ». Car le problème réside moins dans les gelées que dans l’avance végétative à cause d’un hiver trop doux et d’un début de printemps chaud et humide.  

Quatre années de gel sur sept
Chez Benoit Badoz à Poligny, la vigne avait 20 jours d’avance et le gel 15 jours de retard par rapport aux années précédentes. « Dans les années 1980, on avait une année de gel tous les cinq ou dix ans. Ces derniers temps, ça a été quatre années sur sept. Cette fois, nous sommes touchés à 80 % : il n’y a plus de chardonnay ni de poulsard, environ 60 % du pinot noir et du trousseau sont impactés, un peu moins le savagnin car il est planté plus haut en coteau où il fait paradoxalement moins froid ».  Benoit Badoz pointe également du doigt l’humidité : « Trop d’eau et pas assez de photosynthèse – il pleut depuis novembre toutes les semaines – et ici, les contre-bourgeons ne repartent pas ». Environ 40  % du vignoble aurait été touché à plus de 70 % et tout particulièrement les chardonnays et les poulsards selon les techniciens de la Société de Viticulture du Jura (SVJ). 25 à 30 % des parcelles seraient même détruites quasiment à 100 %. Des dégâts comparables à l’année noire de 2017. 

Pas de vaccin ni de recette miracle
« Selon le premier bilan, on s’attend à 65-70 % de rendements en moins et même chez certains 95 %, reconnait Jean-Charles Tissot, président de l’interprofession des vins du Jura (CIVJ). Les secteurs du Sud, de Lons-le-Saunier, du Centre du Jura semblent les plus touchés tout comme Château-Chalon. Sur Arbois, le constat est très hétéroclite tandis que l’Etoile a été épargnée grâce sans doute à son microclimat et sur les hauteurs, à Pupillin et Montigny-les-Arsures, le plus gros village viticole, 25 à 30 % des parcelles n’auraient pas été endommagées. Nous avons pourtant expérimenté beaucoup de choses ces dernières années ». Les éoliennes affichent un piètre résultat, la taille fractionnée limite les dégâts surtout en coteaux, la taille tardive ne semble guère utile quand le gel est aussi tardif, rien de spectaculaire non plus avec les bougies qui ne jouent que sur 1 ou 2 °C et coûtent très cher. Seuls les fils chauffants afficheraient de meilleures performances. « Et ce qui est rageant, c’est qu’il n’y a ni vaccin, ni recette miracle » peste Jean-Charles Tissot.

Dans l’attente d’un plan d’envergure
Mais ce qui inquiète les vignerons, c’est surtout la gestion des stocks et de la trésorerie qui va s’en suivre. « Nous avions eu une belle récolte 2022 dans le Jura, à la fois quantitative et qualitative, une récolte à volumes en 2023 donc on a un peu de réserve cette année mais les problèmes arriveront à partir de 2025-2026 ». Surtout pour les vins jaunes commercialisés au bout de six ans et trois mois : il n’y en avait déjà quasiment pas en 2017 à cause d’un gel comparable mais plus hétéroclite selon les secteurs, peu en 2019, encore moins en 2021 et il n’y aura pas non plus de 2024. Suite à une réunion à la Préfecture, une demande d’indemnisation de solidarité nationale (ISN) a été portée par le Préfet Serge Castel. Elle serait déjà sur le bureau du Premier ministre. Des discussions seront menées pour l’exonération de cotisations de la Mutualité Sociale Agricole (MSA) et des taxes sur le foncier non bâti, ainsi que pour la prolongation du plan de transition avec le soutien de la Région Bourgogne Franche-Comté et du département du Jura. « Pour sauver le vignoble du Jura, il faudra un plan d’envergure soutenu bien sûr par le Département et la Région mais en attendant, cela ne nous empêche pas de chercher encore des solutions » conclut Jean-Charles Tissot.