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La première gorgée de… Astrid de Laâge

La romancière Astrid De Laage dans sa maison de Saint-Savinien

La romancière Astrid De Laage dans sa maison de Saint-Savinien ©Sud-Ouest photo

Auteur

Isabelle
de Monvert-Chaussy

Date

16.10.2024

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Vous souvenez-vous de votre première gorgée de vin ? Cette première rencontre de votre palais avec le merveilleux breuvage… Dans chaque magazine Terre de vins, un écrivain ou une écrivaine nous raconte, avec ses mots bien sûr, sa « première gorgée ». Cette semaine Astrid de Laâge.

C’est sans doute à 2 000 mètres que j’ai bu du vin pour la première fois. Quand je repense à cette première gorgée, les sensations qui m’assaillent sont liées à la montagne, à la réverbération de la lumière, aux craquements de la neige sous mes pas quand nous montions, les skis sur l’épaule, vers un sommet. Car mon père était guide de montagne, ma mère professeure de ski et nous aimions partir tôt le matin pour le mont Jovet en Tarentaise. Un pas après l’autre, nous grimpions en file indienne dans le petit matin. Une longue trace sur la neige devançait nos efforts comme dans les affiches de Samivel. D’abord, de longs virages sur la face blanche et duveteuse de la pente, puis les traces sur l’arête jusqu’à une petite chapelle baroque. Nos corps s’échauffaient dans la montée, les paroles échangées faisaient place au silence et à nos souffles.

Au sommet, nous posions nos sacs à dos pour admirer la vue et déboucher une bouteille d’abymes, souvent un chignin-vieilles-vignes du domaine Quénard, accompagné de beaufort. Un paysage ouvert et dégagé, fait de dentelles de granit, s’étageait à l’horizon jusqu’aux moraines glaciaires. J’essayais d’imaginer très loin, au-delà de ces vallées étroites, la plaine qui menait jusqu’à la mer. Dans les Alpes, certains cépages viennent de Chypre et cette migration viticole me fascine. Une gorgée de vin des Abymes me donne toujours l’impression de goûter la montagne. Elle me raconte l’histoire de ces vignes anciennes, de ces terres rudes soumises au gel et au dégel, et des mains passionnées qui les cultivent.

Son cépage médiéval, le jacquère, aurait pu disparaître lors d’un glissement de terrain, en 1248, sans la détermination des hommes. Je reste attachée à ce vin sec, minéral. J’aime son acidité calcaire, son goût de silex, et en dessous comme enfouie sous la pierre, la douceur d’une pomme ou plus loin encore, des agrumes. 

La romancière Astrid de Laâge vit désormais en Charente-Maritime où elle anime des ateliers d’écriture. Son dernier roman « De la main d’une femme » (Grasset 2023) évoque son ancêtre Charlotte Corday.