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Étienne Moly, l’expatrié de Saumur

Auteur

Lucie
de Azcarate

Date

15.10.2024

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Pour sa seconde vie, après vingt ans d’expatriation dans le secteur industriel en Californie puis en Nouvelle-Zélande, Étienne Moly a posé ses valises et celles de sa famille à Distré, au cœur du vignoble de Saumur. Le vigneron d’adoption aborde ce nouveau tournant de carrière comme une ultime destination : pour s’enraciner.

Il n’est pas exceptionnel que la vigne et le vin suscitent des vocations, parfois tardives, chez des passionnés qui n’héritent pas d’un domaine. Plus rares, en revanche, sont les néo-vignerons qui préfèrent le défi de constituer un domaine de toute pièce plutôt que d’en acquérir un. Mais la difficulté ne rebute pas Étienne Moly, au contraire, il se méfie du confort qui « empêche de vivre intensément et de prendre des risques ».  

Le goût du vin et de vinifier 

Son goût pour le vin, Étienne le doit à un encadrant de l’École supérieure de commerce de Reims qui l’initie aux vins de Bordeaux ; un Château Pape Clément 1990 fut déterminant. Le virus inoculé, la passion couvera encore pendant vingt ans, le temps d’une carrière dans l’industrie. Avec le cumul d’un diplôme en ingénierie et d’un cursus en école de commerce, le groupe Péchiney lui propose un poste en Californie. Il décolle en juin 2001 et laisse derrière lui Aurélia, son amoureuse, qui termine ses études. Elle le rejoindra en 2003 à San Francisco. Là-bas, Étienne trouve le moyen de vinifier « en amateur » à deux reprises grâce à une amitié vigneronne made in Napa Valley. D’abord une barrique de zinfandel, le Château Farnault, du nom de jeune fille d’Aurélia, sonne comme une déclaration. Puis, pour le millésime 2004, la cuvée L’Orange bleue (cinq barriques de merlot) trouve discrètement preneurs auprès de ses amis et de restaurateurs locaux. Lorsque leur vie californienne s’achève, Aurélia et Étienne se marient en septembre 2005 et les Moly s’envolent vers la Nouvelle-Zélande début 2006. 

L’impossible confort

À Auckland, Étienne part de rien, ou presque : avec un ordinateur et une belle motivation, il développe l’activité d’Alcan (ex-Péchiney) pour les capsules et les coiffes dans un contexte professionnel rude. Mais le couple Moly s’épanouit dans cette nouvelle vie ; Jules (2009) et Simon (2016) agrandissent la famille. Devenu consul honoraire, Étienne, féru de rugby, est aux premières loges pour la Coupe du monde de 2011. Côté vin, sa passion se nourrit de ce paradoxe : après avoir découvert le bordeaux à Reims, il devient incollable sur les climats de Bourgogne à 18 600 km de Beaune. La vie d’expatrié ménage des raccourcis selon son propre aveu : « En Nouvelle-Zélande, j’ai eu l’opportunité d’intégrer la Confrérie des Chevaliers du Tastevin du Clos de Vougeot et j’ai fréquenté des ministres français grâce à mon mandat de consul honoraire. » Mais « cette vie de cocagne » n’illusionne pas celui qui se méfie du confort et de l’engourdissement qu’il entraîne. Alors Alcan bien implanté en terre de All Blacks, il se donne un nouveau défi.  

Etienne Moly ©Aurélio Rodriguez
Etienne Moly ©Aurélio Rodriguez

Créer le Domaine Moly

Étienne veut devenir un vrai vigneron, pas un investisseur. Encore en poste, il passe par correspondance un BTS viti-œno, cherche une région pour s’implanter. Ce sera Saumur, un terroir apte à faire de grands rouges et de grands blancs. Romain Guiberteau (Domaine Guiberteau, Saumur) rencontré au cours de ses pérégrinations, le pousse à larguer les amarres et l’engage comme ouvrier viticole. Étienne et toute sa famille débarquent en France au printemps 2020… en pleine épidémie de Covid.  En janvier 2021, les Moly achètent 2 hectares et demi. Pour celui qui taille le soir et vendange avec ses proches le week-end, les débuts sont modestes et difficiles. Mais il tient à faire ses classes : « Cette aventure vigneronne intervient à la moitié de ma vie ce qui m’oblige à aller vite : comme si je venais de rentrer en jeu à la mi-temps d’un match et que je devais marquer deux essais ! » Bien sûr, l’ancien cadre dirigeant a parfois des doutes, mais il ne porte pas seul le domaine : comme il tient à le préciser, le nom de Moly c’est pour Aurélia et Étienne. Son épouse, qui travaille à la cave coopérative de Saumur, lui apporte un regard affûté par une carrière internationale en marketing et un goût sûr en dégustation. Désormais, leur cave est prête, attenante à leur maison rénovée, le vignoble compte plus de 4 hectares et Étienne, qui se consacre maintenant à 100 % à leur domaine, se sent plus vivant que jamais en accomplissant son ambition : « faire [ses] meilleurs vins ». 

Terre de Vins aime : Les Sybarites 2022 (Saumur Champigny)

Ce cabernet franc aux reflets pourpres s’exprime au nez sur la violette puis des arômes plus gourmands de fraise et de crème de cassis. L’attaque souple sur des tanins bien mûrs se prolonge avec de la douceur, une légère amertume soutient la finale. C’est un vin généreux au boisé fondu, marqué par la chaleur du millésime. À boire maintenant pour accompagner des paupiettes de veau aux pruneaux.  24 €