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[Vinitech-Sifel] Viticulture moins standardisée et machines plus adaptables

Gilles Brianceau

Gilles Brianceau est directeur d’Inno’vin, le cluster de la filière vitivinicole en région Nouvelle-Aquitaine © Fabrice HARDY - Accolades digitales

Auteur

Yves
Tesson

Date

27.11.2024

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Intelligence artificielle, automatisation, robotisation, captation de carbone, bioprotection : la viticulture et l’œnologie de demain sont en marche au salon Vinitech. Gilles Brianceau, directeur d’Inno’vin, le cluster de la filière vitivinicole en région Nouvelle-Aquitaine, fait le point sur les dernières avancées

L’automatisation et la robotisation ont longtemps été l’apanage de l’industrie. Aujourd’hui, elles concernent de plus en plus l’agriculture, qu’en est-il de la viticulture ?

Pendant longtemps, on n’y a pas cru, et la viticulture était même à la traîne sur l’agriculture. Prenez la machine à vendanger, alors qu’il existe des moissonneuses depuis déjà un siècle, elle a été très difficile à mettre au point. Il y a trente ans encore, elle abîmait les raisins, fragilisait les plants, aujourd’hui le résultat est bluffant. Quant à la robotisation, on en n’est qu’au début, mais on progresse vite. Un des freins réside dans la plus faible polyvalence des robots viticoles par rapport aux tracteurs, l’exploitant devant, pour le moment, avoir plusieurs robots, un pour chaque tâche. Une solution consiste à passer par la prestation, c’est ce qu’a fait Vitirover pour ses robots tondeuses. Une autre, et c’est le choix de Monarch, une société américaine qui vient de lever 128 millions de dollars, est de développer non pas des robots, mais des tracteurs autonomes, où l’intelligence artificielle vient en renfort, mais où l’homme peut reprendre la main, et qui peuvent ainsi conserver plus facilement une polyvalence.

Il faut aussi donner le temps à la réglementation d’évoluer pour que les robots puissent réellement travailler en toute autonomie, sans surveillance. Enfin, nous sommes encore dans une logique où le robot doit s’adapter à la configuration de la vigne. Bientôt, ce sera l’inverse, on verra des évolutions en termes d’écartement, de hauteur, de palissage, pour adapter la vigne aux robots… C’est aussi l’un des grands obstacles au développement des innovations en viticulture par rapport au reste de l’agriculture. Lorsqu’il s’agit de faire pousser du blé en Australie ou en France, la méthode est la même. Au contraire, en viticulture, chaque région a ses règles, il n’y a pas deux vignes conduites de la même façon, on se heurte à un manque de standardisation, les machines doivent donc être beaucoup plus adaptables.

Côté œnologie, quelles sont les innovations phares ?

Dans les chais, les progrès touchent moins le domaine de la robotisation que celui de la microbiologie. Laffort a mené beaucoup de travaux, par exemple sur l’adaptation des levures aux nouveaux profils de moûts liés au changement climatique. L’un des grands enjeux réside dans la désalcoolisation face à des raisins de plus en plus sucrés. Certaines levures produisent un peu moins d’alcool, même s’il faut reconnaître que la marge de manœuvre est faible. Elle est plus forte en revanche sur l’acidité. Il y a beaucoup de choses également autour de la bioprotection, pour permettre de réduire les doses de SO2 (dioxyde de soufre), en utilisant des micro-organismes qui neutraliseront d’autres micro-organismes néfastes.

On a enfin des évolutions sur les analyses en continu. Onafis et Winegrid ont développé des capteurs que l’on place sur les cuves qui permettent de mesurer les paramètres de fermentation en temps réel : température, densité, etc. On peut anticiper ainsi, par exemple, les fermentations languissantes à distance. Toutes ces données pourront être exploitées demain par l’IA et améliorer encore notre connaissance de ces processus chimiques.

On assiste aussi à la création de chais de plus en plus écoconçus…

De grands progrès ont été réalisés dans la récupération du CO2 émis lors des fermentations alcooliques, notamment grâce à la société CO2 Winery, qui a développé des techniques pour permettre son réemploi dans la vinification. Après avoir été purifié, il sert alors à inerter les cuves, au lavage, ou à réduire d’un ou deux degrés le titre alcoolique à la fermentation par des phénomènes de stripping. Cette année, CO2 Winery a même lancé, avec le soutien du CIVB, une bourse au CO2 pour les vignerons.

Wine Pilot, de son côté, a développé un système de management des émissions de CO2. Aujourd’hui, le vigneron fait un bilan carbone à l’instant T, qu’il devra refaire dans un ou deux ans pour voir s’il s’est amélioré sur tel ou tel point. Là, c’est un système dynamique où il peut simuler l’impact d’une nouvelle pratique sur son bilan, y compris des achats de fournitures afin de devenir plus responsable dans le choix des fournisseurs. En sachant que, depuis le 1ᵉʳ janvier, toutes les entreprises de plus de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires doivent faire du reporting extra-financier. Elle a même créé une plateforme dédiée aux interprofessions, un outil accessible, plus simple pour les petits vignerons, qui en répondant à différents formulaires, pourront avoir une vision de leurs émissions et se positionner par rapport aux objectifs de la filière. Pour les interprofessions, cela représente en même temps une opportunité de collecter plus rapidement et largement ces informations.

Qu’en est-il en matière de nouveaux contenants ?

On voit arriver plein de choses, les globes en verre, les amphores, le renouveau du béton… Biopythos va sortir pour Vinitech une nouvelle cuve en céramique grand contenant. Ce foisonnement résulte d’abord de la volonté des vignerons de segmenter de plus en plus leurs gammes, pour faire du parcellaire, des cuvées spéciales… Mais aussi d’une tendance à une forme de naturalité qui se traduit par un retour vers des matériaux plus anciens, qui paraissent plus authentiques. Certaines initiatives sont étonnantes. Samuel Delafont (S. Delafont Barrels), un négociant du Languedoc, a créé des barriques en inox. On obtient le même mouvement du vin et les mêmes échanges avec les lies, mais avec une hygiène supérieure, une oxygénation contrôlée, et sans le marquage gustatif des tanins du bois. Il faut regarder ces contenants indépendamment les uns des autres, sans a priori et sans se dire que c’est une mode. Chaque vigneron recherche une certaine typicité, et le contenant doit être adapté à ce positionnement. Cela encourage le vigneron à tester, expérimenter, ce qui est une vertu. Une innovation, ce n’est jamais blanc ou noir, elle convient à certains, pas à d’autres.