Jeudi 21 Novembre 2024
Le Réserve, dernière nouveauté de la maison Billecart-Salmon ©DR
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25.10.2024
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Faire évoluer le style de son brut sans année représente toujours un véritable défi pour une maison. On ne parle pas en effet d’une cuvée de niche de quelques milliers de bouteilles, mais du cœur du réacteur, de la carte de visite qui dépasse souvent le million d’exemplaires. C’est donc un travail de fond sur plusieurs années. La maison Billecart-Salmon, qui sera présente à Bordeaux Tasting, est arrivée au bout de ce processus et vient de dévoiler la nouvelle version de cette cuvée, autrefois baptisée Brut Réserve et devenue Le Réserve. Explications.
Lorsque Mathieu Roland-Billecart a pris la tête de la maison en 2018, il a été frappé par la largeur de la gamme, très belle, mais sans doute trop touffue. « C’est un peu comme les vignes, de temps en temps, il faut savoir tailler, pour qu’elles s’expriment mieux » explique-t-il. Par ailleurs, la manière de présenter la cuvée principale de la marque, à savoir son non-vintage, comme une simple entrée de gamme, lui déplaisait. Mathieu a donc souhaité que ce travail de recentrage se fasse au bénéfice de cette cuvée. « Il y a eu deux victimes et un nouveau bébé. Les cuvées éliminées ont été le Brut nature et le Vintage. Dans le même temps, en m’inspirant de ce que font les Bordelais, nous avons créé un second vin, Inspiration 1818 (clin d’œil à la date de la création de Billecart-Salmon), commercialisé sous la marque Charles Le Bel. »
Le principe d'Inspiration 1818 est en effet de permettre d’être davantage sélectif dans les vins qui intègreront le non vintage de la maison, désormais baptisé Le Réserve. « Lorsque j’ai dégusté les vins clairs de 2017 et 2018, j’ai constaté que certains, sans présenter de défauts particuliers, ne correspondaient pas au style que nous recherchions. Billecart-Salmon n’est pas un groupe avec plusieurs maisons, nous ne pouvions donc les revendre à une filiale qui les auraient exploités pour sa marque, d’où la création de cette nouvelle cuvée, de qualité, élaborée avec le savoir-faire de la maison, mais à un prix 35 % inférieur. C’est un peu l’équivalent de ce qu’est le restaurant bistronomique ouvert en annexe d’un restaurant étoilé. »
Pour propulser plus loin Le Réserve et donner davantage encore de définition au vin, la maison a aussi décidé de restreindre davantage les crus où elle s’approvisionnait, en excluant notamment 50 hectares de la vallée de la Marne, trop argileux et donnant un style trop anguleux à son goût, pour se focaliser désormais dans ce secteur sur les villages de Damery, Venteuil, Leuvrigny et Festigny.
La suppression du Brut nature et du Vintage a permis d’augmenter la proportion de vins de réserve dans Le Réserve, pour atteindre 71 % dans la dernière édition et gagner ainsi en profondeur. « Notre Brut nature était de qualité et n’avait pas les défauts des autres bruts natures types parce que nous utilisions beaucoup de vins de réserve et de soléra. Or, nous avions besoin de cette ressource. C’est là sans doute le changement le plus important de la nouvelle version du non-vintage dont l’assemblage intègre désormais 15 millésimes différents remontant jusqu’en 2006. Bien-sûr, nous aurions pu arriver à ce stade différemment, en achetant comme le font certaines maisons des vins de réserve à l’extérieur. Mais ils n’auraient pas bénéficié de la méthode spécifique de vinification de Billecart, notamment de la fermentation à basse température. »
Pour gagner en densité, la maison a aussi augmenté la proportion de vins vinifiés sous bois qui est passée de 4 % à 8 % et a prolongé le vieillissement sur lie, de 30 mois à 50 mois ! Enfin, elle a déployé sur l’ensemble de ses cuvées, l’emploi de la fameuse nurserie, cette cuverie dédiée spécialement aux vins de réserve utilisés pour les liqueurs de dosage et qui se compose de 51 micro-cuves. « Ce sont autant d'ingrédients, avec des vins de réserve dont certains remontent à 2008. La nurserie constitue l’équivalent de la boîte à épices d’un grand chef cuisinier. Tous ces vins ont de fortes personnalités, il s'agit de très beaux pinots noirs, de très beaux chardonnays, et parfois aussi des assemblages de Nicolas François que l’on a choisi de ne pas tirer intégralement. »
Mathieu raconte l'origine de ce magnifique outil : « Je n’étais pas enthousiasmé par le principe d’une liqueur maison. Pour moi, cela écrase les gammes, cela donne le même goût, la même direction à toutes les cuvées. Nos champagnes se répartissent entre quatre savoir-faire, celui du rosé, du sous bois, du chardonnay, et de l'assemblage traditionnel. L’idée est de les laisser s’exprimer chacun pleinement. Par ailleurs, lorsque l’on voit que notre domaine propre est cultivé presque à 100 % en bio et que nous avons même 10 hectares sur le point d’être certifiés Demeter, au-delà de l’aspect environnemental, quel est l’intérêt de tous ces efforts pour arriver à une meilleure expression du terroir si c’est pour ensuite tout uniformiser ? »
Au contraire, grâce à cette nurserie avec une gamme très large, Florent Nys, le chef de caves, peut sélectionner une liqueur différente pour chaque cuvée et en souligner ainsi au plus près les spécificités. « Il faut savoir que notre comité de dégustation passe autant de temps à choisir le dosage, qu’à définir l’assemblage. » Florent et son équipe peuvent même pousser le vice jusqu'à changer de liqueur de dosage lorsqu’ils changent de format. On le sait, l’expression d’un vin n’est pas la même dans une demi-bouteille, une bouteille ou un magnum…
Toutes ces modifications dans le vin ont permis d’aboutir à un dosage très réduit, d’à peine 3 grammes sur la dernière édition (base 2020), qui justifie d’autant plus la suppression du Brut nature. Ce faible dosage est aussi l’explication de l’évolution du nom. « Quel sens y aurait-il à continuer à parler de Brut Réserve, alors que nous sommes en Extra-Brut ? » On notera à ce titre la précision des données délivrées lorsque l’on entre le code de chaque bouteille sur le site My Origin.
La maison ne se contente pas de fournir le dosage, mais intègre également la quantité de sucre résiduel, ce qui donne un total de 3,6 grammes. « La communication sur les dosages est souvent biaisée. Il nous est arrivé plusieurs fois de déguster des bruts natures de certaines marques et de nous dire qu’il y avait quelque chose qui clochait. Après analyse, on s’apercevait qu’il y avait plusieurs grammes de sucre résiduel ! »
En dégustant le Réserve et en le comparant aux précédentes éditions, on a envie de paraphraser Verlaine. Cette cuvée n’est « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». Elle est sans doute un peu plus complexe grâce à la superposition des millésimes, un peu plus concentrée aussi, et si elle a conservé la même proportion de meunier (40 %), qui lui donne cette touche fruitée, Billecart-Salmon n’a pas son pareil pour lui donner une expression élégante que peu de maisons et vignerons réussissent à atteindre sur ce cépage.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas la maison Billecart-Salmon, sachez qu'elle animera une master class lors du salon Bordeaux Tasting les 14 et 15 décembre prochains, consacrée à sa cuvée Rosé et sa cuvée Elisabeth Salmon (millésimes 2007, 2008 et 2012). Réservez vos places sans attendre !
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