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Les Champenois ont-ils exagéré leurs prix ?

Auteur

Yves
Tesson

Date

22.01.2025

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La sous-performance champenoise en termes de volumes en 2024, avec seulement 271 millions de bouteilles vendues (-9,2 %), soulève de multiples questions chez les professionnels. La Champagne est-elle simplement le baromètre d’une économie française morose et d’un contexte politique incertain depuis la dissolution ? Assiste-t-on à un désamour pour le champagne ? Ou bien, les Champenois, avec l’emballement des ventes en 2021 et 2022, ont-ils exagéré leurs prix et perdu un consommateur qui apprécie toujours le produit, mais pas au point de vider son portefeuille ?

Les Champenois se sont-ils enflammés depuis le Covid sur les augmentations de prix ? La question est sur toutes les lèvres. Pour David Ménival, directeur de la filière champagne au Crédit Agricole, il s'agit d'une certitude. « En 2022 et 2023, les Champenois ont augmenté en moyenne de 20 % leurs prix sur le B to B. Or les intermédiaires doivent vivre également, et ces acteurs ont rajouté eux-mêmes 20 %, si bien que le consommateur final a été confronté à une hausse de 40 % sur la même période. Même face à des amateurs avertis qui connaissent la qualité du champagne, il faut pouvoir la digérer. »

Voilà pourquoi les marques qui possèdent leurs propres filiales de distribution, dont elles peuvent contrôler les augmentations, s’en sortent un peu mieux. C’est aussi la raison pour laquelle les vignerons qui pratiquent la vente directe auprès du consommateur ont continué à avoir en 2024 de bons résultats, puisque même s’ils ont augmenté leurs prix, ils n’ont pas subi cette hausse des intermédiaires. C’est peut-être enfin ce qui explique en partie la moindre baisse du marché français (-7,2 %) par rapport à l’export (-10,8 %), l’export passant systématiquement par des intermédiaires.

A-t-on réellement créé de la valeur en si peu de temps ?

Par ailleurs, aux yeux du consommateur, certes, l’augmentation des coûts de production, liée à celle de l’énergie, à l’inflation, à la montée du prix du raisin, pouvait justifier une part de la hausse des prix, mais certainement pas sa totalité. Pour légitimer le reste, on a beaucoup parlé de création de valeur, mais la valeur n’est pas une simple augmentation de prix, elle ne se décrète pas, elle est fonction de l’image renvoyée.

« Sommes-nous allés trop vite ou trop loin ? J’aurais tendance à répondre trop vite. Il est peu probable que le produit et son image aient beaucoup changé en deux ans, surtout lorsque l’on sait qu’entre le début de la production d’un flacon et sa commercialisation s’écoule en moyenne un laps de temps de quatre ans. En revanche, le positionnement actuel des prix, s’il est survenu sans doute trop tôt, n’a rien d’absurde et correspond à ce que la Champagne est en droit d’espérer dans les années à venir. »

Même son de cloche chez Pierre Desanlis, directeur de l’Union Champagne et de Champagne de Saint-Gall. « Certes, l’augmentation des prix a réduit les ventes de champagne. Mais pour les bruts sans année, elle a permis de nous distinguer définitivement des prosecos et des crémants, qui appartiennent désormais à une autre gamme et avec lesquels on n’effectuera plus de comparaison. »

Un contexte international qui ne s’est pas modifié en 2024 par rapport à 2023

Lorsque l’on regarde le contexte économique international, là-encore, de toute évidence, il apparaît que c’est cette augmentation démesurée pratiquée par les Champenois qui constitue le premier élément capable d’expliquer la sous performance de 2024. Car il ne s’est rien produit en 2024 par rapport à 2023 qui puisse justifier un tel ralentissement, la guerre en Ukraine était déjà là, et n’a pas d’impact majeur sur les grands marchés du champagne que sont les États-Unis, le Royaume-Uni, ou le Japon… L’inflation en 2024 a même diminué.

Et pourtant, les 271 millions de cols expédiés représentent une performance encore moindre que celle de 2009, au lendemain de la terrible crise financière mondiale de 2008… Par ailleurs, à la différence de 2023, cette fois, la baisse des volumes n’est pas compensée par le maintien du chiffre d’affaires, dont les premières prévisions nous disent qu’il repasserait juste en dessous de la barre des six milliards. On notera toutefois que ce chiffre reste très honorable et ne diminue pas dans les mêmes proportions que celui des expéditions.

Les cuvées premium enregistrent le plus grand retrait en volume

Pierre Desanlis souligne que ce sont les cuvées premiums qui, en volume, ont enregistré le plus grand retrait. « Le fait est que les Champenois ont parfois répercuté de manière indifférenciée l’augmentation de leurs coûts de production sur les entrées de gamme et sur les cuvées spéciales. Or, une augmentation de 10 % sur un brut sans année à 30 euros, n’a pas le même impact psychologique qu’une augmentation de 10 % sur une cuvée à 150 euros. »

Les bons résultats des coopératives en grande distribution en France en décembre (plus 16,2 % par rapport à décembre 2023) confirment cette attention particulière de la clientèle aux prix et cette absence de désamour du champagne. « Même si, là aussi, les prix ont un peu augmenté, ces bouteilles restent abordables. Pour le consommateur français, avoir sur la table pour Noël, une bouteille de champagne plutôt qu’un crémant, cela fait toujours mieux », indique David Ménival.

Pierre Desanlis insiste tout de même sur la perte de terrain du champagne par rapport aux crémants. « Les allocations qui ont été mises en place en 2022 et l’impossibilité face à l’explosion ponctuelle de la demande de répondre favorablement à tous les importateurs ont ouvert des marchés aux crémants, qu’aujourd’hui, nous ne pouvons récupérer. »

Quid des perspectives de 2025 ?

Comment va se comporter le marché du champagne en 2025 ? Le marché américain, premier marché d’export du champagne, constitue la grande incertitude avec l’arrivée de Donald Trump et la possibilité d’une augmentation des taxes. Mais le contexte pourrait aussi être très favorable. Ainsi, l’augmentation des droits de douane aux États-Unis sur les produits en provenance du Canada, du Mexique et de la Chine pourrait amener ces trois grands pays à réorienter leurs échanges vers l’Europe et à lui accorder des conditions plus favorables…

Une chose est certaine, de grands mouvements s’annoncent. Quant au champagne, rappelons que l’intervention personnelle de Bernard Arnault, au cours du dernier mandat de Donald Trump, avait permis de ramener le président américain à la raison. La présence du président de LVMH lors de l’investiture, semble montrer que cette relation ne s’est pas altérée. Pour Pierre Desanlis enfin, le fait que la Champagne continue à attirer de grands investisseurs internationaux est un signe très positif, qui montre tout le crédit et le potentiel dont elle jouit encore, malgré cette baisse de volumes.