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Philippe Fezas, « Promesse de gascon »

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

24.01.2025

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Au domaine Chiroulet, Philippe Fezas a repris il y a trente ans le flambeau de ses parents. Il a hissé les vins de ce coin béni du Gers, riche de grands terroirs argilo-calcaires, parmi les références des Côtes-de-Gascogne. Et a notamment su, dans un océan de cépages blancs, donner leurs lettres de noblesse aux cuvées en rouge.

« Promesse de gascon » : ne vous fiez pas à la connotation historiquement dépréciative de cette expression, datant d’une époque où les soldats natifs de Gascogne vantaient leur courage à la guerre sans toujours se montrer aussi vaillants que D’Artagnan. Oui, les Gascons savent tenir leurs promesses, et quand ils le font, on ne regrette pas d’avoir accordé sa confiance. Prenez donc le temps de le constater en explorant les chemins bucoliques du Gers – rare département qui ne soit pas traversé par une autoroute.

Laissez-vous gagner par le charme vallonné de ses paysages, par l’accueil chaleureux des autochtones et, surtout, par leur culture du bien manger et du bien boire. Une culture que la famille Fezas perpétue au moins depuis 1893 – plus ancienne date attestant de l’existence d’une ferme en polyculture dans ce beau coin de campagne aux portes du Lot-et-Garonne, entre Montréal et Condom, à une encablure des jolis villages de Fourcès et Larressingle.

©Raphaël Reynier

À cette époque, l’exploitation est sous le nom des Capmartin. C’est le mariage d’Albert Fezas avec Suzanne Capmartin qui va enclencher le changement de patronyme, même si, Albert étant fait prisonnier pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est bien Suzanne qui continue de faire tourner la ferme – comme nous le rappelle la bicyclette fièrement exposée sous la grange telle une relique sacrée. En matière de vignes, c’est surtout la production d’armagnac qui est alors prioritaire, le vieillissement des eaux-de-vie assurant un précieux « trésor de guerre ».

De l'armagnac aux vins tranquilles

La part du vignoble destinée à la distillation s’élève actuellement à 5 hectares, sur les 50 que totalise la surface foncière du domaine Chiroulet : l’armagnac a progressivement cédé, au cours des cinquante dernières années, la part du lion aux vins tranquilles. Une évolution fort répandue sur le plan local, impulsée par l’apparition des Vins de Pays du Gers en 1968, rebaptisés Côtes-de-Gascogne en 1974 (reconnus enfin IGP depuis 2009). L’originalité de Chiroulet est d’avoir su conserver une part importante d’encépagement rouge, à une époque où dans les parages, tout le monde plantait du blanc.

Chiroula, « le vent qui siffle »

C’est Michel Fezas, incarnant la troisième génération à la tête du domaine, qui a eu le flair de conserver ces variétés, en premier lieu pour se distinguer dans la production de Floc de Gascogne, vin de liqueur élaboré à partir de moût de raisin et d’armagnac. Aujourd’hui, cette proportion de cépages rouges (17 hectares sur 50, répartis entre merlot, cabernet franc, cabernet sauvignon, tannat et marselan) constitue l’une des singularités du domaine, et un incontestable atout dans sa profondeur de gamme. Michel Fezas a 87 ans, et son épouse Arlette, 82. S’ils sont encore bien présents, et sur le pont lorsqu’il s’agit d’accueillir les visiteurs au domaine, cela fait quelque temps que les rênes de l’exploitation sont passées entre les mains de leur fils Philippe.

C’est lui qui, au milieu des années 1990, a amorcé la transformation de l’exploitation familiale. Œnologue et ingénieur agricole, formé à Purpan, il roule sa bosse entre Californie et Roussillon. Le fait d’être allé voir ailleurs a certainement favorisé le déclic : « J’ai réalisé que nous avions la chance d’avoir de superbes sols de calcaires lacustres, d’argiles, de silts, de molasses, formés durant le Miocène, il y a 20 millions d’années. J’ai aussi réalisé que, dans un océan de vin blanc, nous avions la chance d’être richement pourvus en rouge, sur des terroirs à fort potentiel. Le tout dans un environnement à la biodiversité préservée, avec 100 hectares de forêts, et l’influence du chiroula, le "vent qui siffle" en gascon, qui préserve l’état sanitaire des raisins. »

Fezas domaine Chiroulet
©Raphaël Reynier

« La nature, pour être commandée, doit être obéie »

En 1994, Philippe Fezas produit son premier vin rouge ; l’équivalent d’une barrique à l’occasion de son mariage, prototype de ce qui deviendra sa cuvée phare, Terroir Gascon. La voie est tracée : il étend le vignoble, peaufine une viticulture méticuleuse, et place Chiroulet sur la carte des grands vins du Sud-Ouest, en premier lieu grâce à ses cuvées en rouge… Sans toutefois renoncer au blanc ! En bon adepte de feu Denis Dubourdieu, Philippe croit au potentiel du sauvignon sur calcaire et en plante une quinzaine d’hectares, au côté des petit et gros manseng. Jonglant aussi bien avec des blancs secs qu’avec des moelleux et des liquoreux, il développe au fil des ans une gamme complète et cohérente, où s’invite aussi bien une cuvée Terra Nostra faisant la part belle au cépage tannat (l’enfant terrible du pays), qu’une récente référence de fines bulles baptisée Indigène.

Ne renonçant jamais à une innovation, tout en sachant respecter la tradition qui a fait la force du domaine (« Je n’oublie pas que c’est le floc de Gascogne qui a permis de payer mes études »), Philippe Fezas a constamment un pied dans ses vignes et un autre dans l’univers de la tonnellerie, étant consultant depuis trente ans pour la maison Seguin Moreau : « J’ai toujours été fasciné par la notion d’élevage, dans la façon dont elle civilise, sublime et complexifie les vins ».

La relève de la cinquième génération ?

À 56 ans, le vigneron gascon n’est pas près de lever le pied. Après avoir édifié un nouveau bâtiment de stockage et 1200 m2 de panneaux photovoltaïques lui permettant bientôt d’être excédentaire en production d’électricité, il prévoit de nouveaux travaux pour améliorer l’outil réceptif.

Prochaine étape, la relève de la cinquième génération ? Pour l’instant, ses enfants se donnent du temps : son fils Marius a fait les Arts et Métiers à l’ICAM de Toulouse, tandis que sa fille Julie s’est orientée comme son père vers Purpan, avec un passage du DUAD (Diplôme Universitaire d'Aptitude à la Dégustation) et une expérience en cours chez un Cru Classé de Graves. De quoi, peut-être, envisager l’avenir avec sérénité, et continuer de préserver ce bijou de Gascogne où la vie semble plus apaisée : citant le philosophe anglais Francis Bacon, Philippe Fezas souligne que « la nature, pour être commandé, doit être obéie ». Voilà un programme qui mérite d’être suivi. Promesse de Gascon.

« Terre de Vins » aime

Dans la gamme de Chiroulet, le vin rouge brille en majesté. Si la cuvée Terroir gascon est l’incontournable carte de visite du domaine, on sera aussi avisé d’ouvrir une bouteille de Grande Réserve 2020, assemblage de merlot (60 %) et tannat (40 %) ayant bénéficié d’un élevage d’un an en fûts. Structuré, élégant et séveux, ce vin affirme haut et fort son identité du Sud-Ouest (18,30 €).

Mais puisque nous sommes en Gascogne, on ne peut ignorer les blancs, qui représentent tout de même les deux tiers de l’encépagement. La Côte d’Heux 2022, 100 % gros manseng, est un super blanc en équilibre entre gras et vivacité, offrant de superbes perspectives de garde qui ne font que le bonifier (13,20 €). Enfin, côté liquoreux, la cuvée Vent d’Hiver, 100 % petit manseng passerillé, est un modèle d’harmonie entre tension et fraîcheur. Le 2021 est actuellement disponible à la vente, mais si vous pouvez mettre la main sur le 2017 et ses arômes exceptionnels de truffe blanche, foncez sur l’occasion (19,50 €).

Ce reportage est issu du magazine « Terre de vins » numéro 101 paru en novembre 2024. Nos différentes formules d'abonnements papier et/ou numérique sont à retrouver en suivant ce lien.





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