Vendredi 22 Novembre 2024
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09.10.2013
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Jean-Luc Thunevin, dont le château Valandraud vient d’être promu Premier Grand Cru Classé du dernier classement de Saint-Emilion, s’est allongé « sur le divin » à l’occasion de notre hors-série Saint-Emilion, sorti hier. Morceaux choisis.
Agé de 62 ans, Jean-Luc Thunevin a été révélé au monde du vin il y a tout juste vingt ans. Précurseur des fameux « vins de garage », il possède aujourd’hui 24 hectares de vignes en Saint-Emilion dont le célèbre château Valandraud (récemment promu Premier Grand Cru Classé de Saint-Emilion), le second vin Virginie de Valandraud et Clos Badon. Il est également propriétaire du Clos du Beau-Père à Pomerol, du Domaine des Sabines en Lalande de Pomerol, de quelques hectares en appellation Bordeaux d’où est issu « Bad boy », du domaine Thunevin-Calvet dans en Roussillon, de cinq boutiques de vente de vin à Saint-Emilion et d’une maison de négoce. Le gamin arrivé d’Algérie à l’âge de neuf ans, petit employé de banque dans une agence locale de Dordogne, a gravi tous les échelons et fait aujourd’hui partie des grands du vin. Il s’est allongé sur le divan à l’occasion du hors-série Saint-Emilion de « Terre de vins », actuellement en kiosques.
Sur son arrivée dans le monde du vin, après avoir été employé de banque pendant 12 ans…
Le coup de bol surgit quand je viens à Saint-Emilion, en 1984. Je tombe sur Alain Paillard, qui tenait une épicerie dans la grande rue et gagnait bien sa vie. Ce village devait être intéressant. Je trouve alors une maison à acheter : nous y installons un dépôt vente qu’on appelle pompeusement « Le Drugstore ». Cela me donne ensuite l’idée d’un bar à vin qui n’existait pas. Au bout d’une semaine, on était à la mode ! On accueillait l’intelligentsia libournaise, la gauche caviar et les copains. L’année suivante, on ouvre un deuxième restaurant… jusqu’à avoir une dizaine de boutiques. J’étais un entrepreneur fou et suis devenu négociant en 1988. C’est là, à force d’être dans le vin, que je me suis dit : pourquoi ne ferait-on pas le vin nous-mêmes ?
Sur le début « des vins de garage »…
En 1990, on achète une vigne à Fongaban, le vallon de Fongaban, et on apporte à l’époque les raisins à la cave coopérative de Saint-Emilion. C’est en 1991 que l’on fait le vin dans ce qui n’était pas un garage mais un atelier. Comme je ne suis pas allé trop à l’école, j’avais dans mon sac beaucoup de place pour l’imagination. Je n’avais pas appris à faire le vin, je n’étais donc pas formaté. Je n’avais aucune idée de la façon de faire. On comprend qu’il faut avoir des jolis raisins qui ne se touchent pas. C’est ainsi qu’en 1992, on sort l’un des meilleurs vins de Bordeaux et… on explose le microcosme. […] La petite intelligentsia nous a trouvés bien gonflés mais comme j’achetais du vin à l’époque, j’étais aussi intéressant pour tous ces gens. Je dois aussi une partie de mon succès aux gens qui disaient du mal de moi, ils m’ont fait exister.
Sur son influence sur le goût du bordeaux…
C’était quoi le goût du bordeaux ? C’était celui du cabernet pas mûr. Je n’ai rien inventé, il suffit de lire les livres d’Emile Peynaud pour comprendre que l‘on était au début du changement d’une époque moderne. 1982 incarne les prémices d’un vin moderne. Après 1990 aussi. Ce qui a fait qu’on était polémiques, c’est qu’on était peu respectueux des usages et c’était notre prix : on a vendu Valandraud plus cher que les premiers, Cheval Blanc, Ausone, Lafite, Mouton… Notre recette : notre vin était différent, noir et mûr.
Sur son statut de « garagiste » qui lui colle à la peau…
C’est moi qui me le colle à la peau. On aimerait me l’enlever mais je souhaite le garder. Pour accéder au premier cru, il fallait enlever ce mot de garagiste. Mais on en peut savoir où l’on va que si l’on ne sait d’où l’on vient. Je suis né garagiste et je le revendique. Je suis l’un des premiers crus mais je suis le premier garagiste. C’est ainsi qu’est né un courant dans le monde entier. Ce statut de garagiste, il n’est pas question que j’en fasse abstraction. Je le revendique.
Sur le classement de Saint-Emilion…
Pour moi, il représente une consécration. Je pense que j’aurais pu être dans les A mais personne n’était avec moi pour le penser. Pierre Lurton dit « le plus difficile pour un premier cru, c’est les deux cents premières années ». On oublie que des vins mythiques aux Etats-Unis sont des créations récentes. Je ne dis pas qu’on ne postulera pas au prochain coup. Mais on ne peut pas y arriver sans être accolé à un milliardaire. Quand tu vois les sommes investies à Angelus ou Pavie… A moins d’un miracle. Et je crois aux miracles. […] Paradoxalement, Alain Vauthier (Ausone) et Pierre Lurton (Cheval Blanc) m’aiment bien et je crois que je ne les embête pas. A l’inverse d’Angelus ou de Pavie, je ne veux pas leur voler leur place. […] Avec Alain Vauthier, nous avons une grande divergence au sujet du classement. Angelus et Pavie apportent un équilibre par rapport à la rive gauche qui a cinq premiers grands crus. Ausone, quel est le problème ? Il était là avant.
Sur ses révoltes…
Moi qui me revendique de gauche, je suis scandalisé qu’on soit contrôlé par l’administration fiscale comme si on était un repris de justice. J’ai droit à un contrôle fiscal tous les trois ans. C’est une drôle de société. Le comportement des banques me révolte également: chaque fois ils me demandent tellement de renseignements ! Ce ne sont pas des relations équilibrées alors que l’argent des banques sert en réalité à prêter pour spéculer, pour l’Espagne ou la Grèce… Cela me heurte. […] Cela fait rire tous mes copains, qui sont de droite ou d’extrême droite. On a tous un copain juif ou arabe. Je suis leur Arabe de service.
Propos recueillis par Rodolphe Wartel. Photo Jean-Bernard Nadeau.
Retrouvez l’intégralité de l’interview dans « Terre de Vins » hors-série Saint-Emilion, actuellement en kiosques.
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