Jeudi 21 Novembre 2024
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16.01.2015
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Il y a 140 ans, Madame Pommery lançait le premier champagne brut avec, en ligne de mire, le marché anglais. Elle provoqua une véritable mutation de la production et des goûts en matière de champagne.
Au XIXème siècle, le goût des champagnes était bien différent de celui d’aujourd’hui !
Les grands marchés export novateurs qu’étaient alors la Russie ou les Pays Baltes, appelaient des champagnes possédant deux qualités : beaucoup de mousse et un goût sucré. On avait même calibré le « goût russe » !
Jeune veuve (1856) à la tête d’une maison de champagne à peine plus âgée, Jeanne Alexandrine Louise Pommery savait qu’elle aurait difficilement accès à ces marchés dominés par les grandes marques qu’étaient déjà Moët & Chandon et Veuve Clicquot Ponsardin. Elle se tourna alors vers des destinations plus traditionnelles comme la Grande-Bretagne pour en étudier précisément les goûts.
Dans une lettre datée de 1867, son agent commercial anglais, Adolphe Hubinet, lui confirme : « il leur faut du champagne sans sucre, un vin qui ressemblerait à un très vieux cognac, qui serait mousseux, mellow, velouté, bien fondu, aussi sec que possible mais sans âcreté. […] Tout me fait croire que nous aurions dans un temps rapproché la vogue pour le vin sec. »
Diminuer la liqueur… donc tout changer
Visionnaire, Madame Pommery ? Partiellement, car l’idée courait déjà et plusieurs maisons faisaient des essais de dosage à la baisse, avec des succès mitigés. Car les vendanges – variant considérablement d’une année sur l’autre – donnaient parfois des vins très verts. Le sucre ajouté en fin de process (la « liqueur d’expédition ») était alors un élément indispensable au goût équilibré et plaisant du champagne.
Appuyée par son chef de caves Olivier Damas, Jeanne-Alexandrine Pommery reprend le problème à la base. Diminuer la quantité de liqueur finale n’est possible que si les raisins de départ sont bien mûrs. Chez les Champagnes Pommery, commence alors une démarche pour acquérir des vignes de qualité dans les meilleurs finages, et retarder les dates de vendange.
En cave, Olivier Damas fait évoluer les vins, travaille différemment les assemblages et l’élevage.
Enfin, vient l’aspect financier, car pour compenser le sucre, il faut aussi de la patine, plus de vieillissement en cave, donc la constitution de stocks avec l’immobilisation financière qui en découle. Henri Vasnier est alors administrateur et directeur financier du Domaine Pommery. Il connaît l’Angleterre où il a vécu, comprend le potentiel qu’évoque le commercial Adolphe Hubinet, et dotera Mme Pommery des moyens pour mener à bien sa transformation.
Au printemps 1874, pour la première fois, un lot de champagne est dégorgé et habillé sans le moindre ajout de liqueur d’expédition, ce qui en fait un « champagne nature », appelé également à l’époque « champagne brut ».
Aujourd’hui, la réglementation est précise : pas d’ajout de liqueur pour le « brut nature, pas dosé ou dosage zéro » ; moins de 6g/l pour l’extra-brut ; moins de 12 g/l pour le brut, etc. Et de nos jours, le brut représente plus de 85 % des ventes de champagne !
A l’occasion des 140 ans de cette création, la Maison Pommery propose la très belle exposition « Bleu Brut » dont un des volets fait découvrir un peu mieux Mme Pommery, sa personnalité, ses idées novatrices et son œuvre.
Exposition « Bleu Brut » tous les jours jusqu’au 30 juin au Domaine Pommery, 51100 Reims. Visite de l’exposition, des caves et dégustation à partir de 13 €.
Joëlle W. Boisson
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