Vendredi 22 Novembre 2024
De gauche à droite : Fabrice, Denis, Florence et Jean-Jacques Dubourdieu.
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Date
28.07.2016
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A la fois chercheur, œnologue, professeur, consultant, propriétaire… cet éminent homme de vin bordelais est décédé mardi dernier d’un cancer. Son fils Jean-Jacques partage quelques souvenirs de son père avec « Terre de Vins ».
« J’étais très proche de mon père. Avant même de parler de tout aspect professionnel, on avait beaucoup de connivence et de complicité. On aimait passer du temps ensemble. C’est d’abord pour moi une grande perte sentimentale, évidemment. J’ai aussi eu la chance de travailler pendant plus de dix ans à ses côtés. Depuis mon plus jeune âge, j’ai eu le privilège d’avoir le professeur à domicile et de faire avec lui des travaux pratiques. C’est assez unique. Je me souviens, en 1993, j’avais douze ans. Il m’avait mis à disposition quelques raisins de Clos Floridène. C’était ma première vinification à ses côtés. J’en garde un souvenir merveilleux. On avait sorti cent bouteilles, que nous dégustions chaque deux ou trois ans pour voir leur évolution.
Mon père était quelqu’un de vraiment unique. J’ai vite compris que ce n’était pas un papa comme les autres. Il partait tôt le matin, il rentrait tard le soir. Il était chercheur et enseignant, vigneron le week-end. C’était un héros pour moi. J’étais déjà fasciné avant même de prendre conscience de quelque aspect médiatique que ce soit. Quand j’étais enfant, au mois de juillet, une fois que ses cours étaient finis, il se faisait une joie de repartir dans ses vignes, il veillait sur les effeuillages, il montait sur le tracteur… Cette double vie lui créait un emploi du temps incroyable, mais il adorait ça ! Il tirait de la force de chacune de ses activités pour en nourrir les autres. Il avait une personnalité hors norme, et il savait déployer force de travail et courage dans sa vie professionnelle comme récemment dans la maladie. J’ai également le souvenir de quelqu’un qui a œuvré pour les autres, de manière désintéressée, c’était sa façon d’aider son prochain. Je l’ai vu aider des générations d’étudiants dans ses cours, et sur nos propriétés viticoles pour ceux qui y passaient en stage. Mon père était un méritocrate. Il aimait les gens qui avaient du mérite. On a été élevés avec mon frère dans cette ambiance, ça donne beaucoup de repères.
Dans sa vie professionnelle, ce n’était pas juste le scientifique qui sortait tout droit de son laboratoire. Ses différentes casquettes étaient intimement liées. C’est pour ça qu’il était écouté et respecté dans les deux mondes, par ses voisins et ses confrères dans la production, tout comme par les propriétaires dans sa mission de conseil. Ils lui faisaient confiance, car c’était l’un des rares consultants à essayer d’abord chez lui ce qu’il conseillait ensuite aux gens. Et il le faisait non pas sur deux, mais sur près de 140 hectares ! Quand il impulsait une direction, il ne le faisait pas juste parce que c’était dans l’air du temps, mais parce que c’était prouvé scientifiquement et testé chez lui sur le terrain.
En toute discrétion, sans jamais chercher la médiatisation, il aimait, en tant que scientifique, le mot juste, les choses exactes. Il combattait, parfois de manière assez caustique, les inexactitudes et à-peu-près que l’on peut parfois rencontrer dans le monde viticole. Il savait être un homme de compromis mais aussi faire valoir son point de vue quitte à ce que ça puisse froisser, non pas pour exister à tout prix, mais juste pour amener de la précision dans les domaines où il avait des connaissances établies. Il avait la rigueur de ceux qui sont arrivés loin par la force du travail, sans trafic d’influence, juste par la persévérance et l’entêtement. Il avait de ce fait parfois même une certaine forme d’intransigeance. Mais elle était largement tolérée dans la mesure où il se l’appliquait en premier lieu à lui-même, et qu’il montrait simplement l’exemple. »
Les obsèques de Denis Dubourdieu auront lieu demain matin (vendredi 29 juillet) à 10h30 en l’église de Saint-Vincent de Barsac.
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