Lundi 23 Décembre 2024
(photo Jean-Bernard Nadeau)
Auteur
Date
23.11.2016
Partager
Les urnes ont rendu leur – premier – verdict dimanche : la Primaire de la Droite et du Centre, qui doit désigner le candidat des Républicains à l’élection présidentielle, se conclura par un face-à-face entre François Fillon (44, 2%) et Alain Juppé (28, 4%). Quelle est la position de ces deux hommes politiques à propos du vin ? Après François Fillon, voici Alain Juppé.
Fillon ou Juppé ? L’ancien premier ministre ou l’ancien premier ministre ? L’homme de la Sarthe ou celui de la Gironde ? Dimanche prochain, le deuxième tour de la Primaire de la Droite et du Centre départagera les deux finalistes. Comment se positionnent les deux hommes par rapport au sujet qui nous intéresse ici, à savoir le vin ? Nous l’avons vu pour François Fillon, examinons maintenant Alain Juppé.
La Cité pour emblème
Bien sûr, quand on est maire de Bordeaux, le rapport au vin est scruté de près. L’homme qui a su impulser le renouveau de la capitale girondine et la propulser comme la « destination la plus tendance au monde » (dixit le Lonely Planet) est aussi celui qui a soutenu l’ambitieux projet de Cité du Vin, inaugurée en juin dernier en compagnie de François Hollande. Ce jour-là, Alain Juppé s’était permis de citer Cicéron : « les hommes sont comme les vins : avec le temps, les bons s’améliorent et les mauvais s’aigrissent ». Un clin d’œil évident à ceux de ses adversaires qui critiquent son âge…
La Cité du Vin, qui remporte un franc succès depuis son ouverture, est un projet porté par Alain Juppé et Sylvie Cazes, comme nous le rapportions dans notre hors-série sorti en juin : dès son premier mandat de maire de Bordeaux en 1995, il avait eu l’idée « de bâtir un lieu où l’on pourrait parler du vin sous tous ses aspects et attirer les visiteurs pour qu’ils viennent découvrir le vignoble. Mais ça pas fonctionné. Le monde du vin était sceptique. Le projet n’était peut-être pas tout à fait adapté ». C’est finalement en 2008 que l’idée va prendre forme, s’appuyant sur la nécessité de convertir le vignoble bordelais à l’œnotourisme. « En 2000, rappelle-t-il, nous avions 2 millions de touristes alors qu’on en comptait près de 6 millions en 2015. Le monde du vin a bien compris qu’il était temps d’ouvrir les routes des propriétés ».
Entretien avec « Terre de Vins »
Au-delà de la Cité du Vin, quelle est la position d’Alain Juppé sur ce produit emblématique (culturellement, économiquement) de sa ville, de sa région et du pays qu’il ambitionne de présider ? Dans « Terre de Vins » n°31 (septembre 2014), il s’était prêté pour nous au jeu de l’interview. En voici quelques morceaux choisis (propos recueillis par Benoît Lasserre et Rodolphe Wartel) :
Vous souvenez-vous de votre premier verre de vin ?
De façon précise, non. Mais j’ai des souvenirs de mon adolescence. Quand j’avais une grosse grippe ou une bronchite en fin de parcours, on disait qu’il fallait me redonner « un peu de sang » et j’avais droit à un fond de verre de Bordeaux.
Buvait-on du vin dans votre famille ?
Mon père était un bon buveur. Il avait une assez jolie cave, relativement modeste, essentiellement composée de bordeaux, ce qui était somme toute normal. Bordeaux était le point de référence. Mon grand-père y vivait et ma tante habitait à Pessac l’Alouette. Cela dit, un jour, mon père avait cédé à un représentant en vin d’Arbois (Jura, ndlr) qui lui avait vendu un grand nombre de bouteilles qu’il avait fallu boire.
D’une façon plus générale, gardez-vous en mémoire une émotion liée au vin ? Un vin peut-il d’ailleurs vous émouvoir ?
Oui sûrement. J’aime le vin. C’est une boisson extraordinaire par sa diversité, ses subtilités. J’aime bien découvrir toutes sortes de vin avec des expériences parfois un peu difficiles. Lors de mon premier voyage en Grèce, j’avais trouvé que le résiné, c’était pas mal. Sans doute à cause de la plage et du soleil. J’avais rapporté à mon père une bouteille de résiné comme cadeau de vacances. Un jour, mon père l’a débouchée et elle a fini dans l’évier avec un cri d’horreur ! Mais j’aime tous les vins du monde. Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de me rendre au Chili et j’y ai notamment découvert un cépage qui existe chez nous d’ailleurs, le carménère…
On a le sentiment tout de même que vous avez mis du temps à apprivoiser cette tribu du vin. Vrai ou faux ?
Oui, peut-être. Chaban avait la réputation de ne pas trop s’y intéresser. Je ne sais pas si c’est exact. Et moi, j’avais aussi un petit préjugé : ma mère, qui est landaise depuis plusieurs générations et appartenait à la petite bourgeoisie, avait une sorte de complexe à l’égard des Chartrons qui représentaient la grande bourgeoisie bordelaise, fermée et inaccessible. Je me suis rendu compte que c’était en fait un milieu extrêmement hétérogène où il y a certes les grands négociants mais aussi ceux qu’on appelle les petits viticulteurs.
Je pense qu’en retour, il y a eu aussi des réticences de la part du monde du vin à l’égard de mes projets comme la Fête du vin ou la Cité des civilisations du vin. Mais je me suis toujours montré disponible à l’égard du monde du vin. Sur le plan politique ou parlementaire, en combattant le lobby anti-vins. Et puis on m’a souvent sollicité pour des déplacements, notamment à Hong-Kong. Chaque fois que j’ai pu y aller, je l’ai fait. Le maire de Bordeaux s’intéresse au vin. Je pense que nos relations, aujourd’hui, sont bonnes.
Votre discours à la Fête de la fleur en juin dernier a lâché prise et a défendu de façon décomplexée le vin et le plaisir autour du vin. Quelque chose s’est-il « débloqué » dans cette relation au vin ?
Je prends du plaisir avec le vin, je ne le cache pas. Quand on parle du vin à Bordeaux, c’est tout de suite les enjeux économiques, les emplois… Oui, très bien. Mais il y a d’abord le plaisir du vin. Avec modération, un mot que je n’omets jamais. On ne peut pas nier que le vin procure une satisfaction pour tous les sens : l’odorat, la vue, le goût, presque le toucher… Regarder la robe d’un château d’Yquem c’est un plaisir pour les yeux.
En France, peut-on réussir dans la politique sans aimer le vin ?
Je crois qu’il y a un exemple célèbre… Ça n’empêche pas de finir à l’Elysée. Et Chirac n’était pas non plus un buveur de vin. Il préférait la bière. Je me souviens de ce sommet franco-britannique à Bordeaux, en 1996. On avait organisé à la mairie un repas en tout petit comité avec les chefs d’Etat et de gouvernement. J’avais demandé à Jean-Pierre Xiradakis, de La Tupina, de sortir quelques bonnes bouteilles. Chirac arrive et lance à John Major, le Premier ministre britannique : « John, would you like a beer ? » « Oh yes, excellent idea, Jacques ! », lui avait-il répondu. Le lendemain, pour le repas officiel avec une centaine de personnes, j’avais prévenu Chirac que c’était du vin qui serait servi et qu’il n’y aurait pas de bière !
Si vous deviez emporter une seule bouteille de vin lors d’un séjour en amoureux avec votre épouse Isabelle…
Ça dépend. Si je veux lui faire plaisir, c’est une bouteille de champagne. Si je veux me faire plaisir, c’est un vin rouge, plutôt du Médoc. Je me refuse toujours à classer les vins par préférence pour ne vexer personne. Xiradakis aime bien me faire découvrir des vins qui ne sont pas du tout connus comme des Côtes-de-Blaye ou des Côtes-de-Bourg. J’étais même convaincu que la réputation des très grands vins était excessive ou surfaite. Mais j’ai récemment dégusté un Petrus et j’avoue que j’ai quand même eu un choc.
Faisons de la fiction. Vous êtes élu président de la République, que changez-vous en faveur du vin ? Modifiez-vous la loi Evin ?
D’abord, c’est une hypothèse dans laquelle je ne veux pas me placer. Faut-il modifier la loi Evin ou essayer de l’appliquer intelligemment ? Quand on veut la modifier, c’est plutôt pour la durcir, donc on peut vivre avec. Le lobby anti-vin est, c’est vrai, puissant en France et il faut prêter attention à ce qu’il dit. L’objectif de santé publique est tout à fait respectable. Quand vous voyez l’état de la jeunesse qui se laisse aller à toutes sortes d’excès, il faut aussi marquer la frontière à ne pas franchir. Il est bon que des gens rappellent que la surconsommation d’alcool est nuisible pour la santé et constitue un fléau. La consommation excessive de vin, ce n’est pas bien. Comme partout, il a des ayatollahs qui vont jusqu’à dire zéro verre de vin. Il faut aussi contrebalancer cet excès.
Articles liés