Vendredi 22 Novembre 2024
(photo © Gautier DUFAU | gdphotos.fr)
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16.12.2016
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A l’occasion du 50ème anniversaire de l’Association des Œnologues de Bordeaux, qui sera marqué ce soir par un exceptionnel dîner de gala au Palais de la Bourse de Bordeaux, rencontre avec son président Nicolas Guichard. Œnologue, consultant et « winedesigner », il nous invite à mieux connaître cette profession encore méconnue, sur laquelle circulent beaucoup d’idées reçues.
Nicolas Guichard, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis né en Normandie, une partie de ma famille est originaire de Bourgogne, ma grand-mère paternelle avait des vignes sur la montagne de Corton. J’ai vécu à Cahors au milieu des vignes, ce qui m’a donné envie de faire du vin. Je suis de formation scientifique (biologie, biochimie), mais je voulais un métier « intellectuel » que l’on puisse exercer à la campagne. Je suis donc venu à l’œnologie par choix, avec une certaine évidence. J’ai fait le DNO (Diplôme National d’Œnologue) à Bordeaux. Mon premier stage de vinification s’est déroulé à Sauternes, au château Rieussec. Puis j’ai travaillé au côté de Denis Dubourdieu, qui nous a quittés récemment. Plus tard, j’ai travaillé du côté de Saint-Emilion, sur la Rive Droite. J’y suis resté.
Ce qui me plait dans ce métier de conseil que j’exerce depuis 1998 (son laboratoire existe depuis 5 ans et compte 45 propriétés, NDLR), c’est la transformation du produit, d’où ce concept de « design des vins » que j’applique à mon approche – technique, esthétique, culturelle, sociologique et de marché. La matière première que je travaille, c’est le raisin, et le raisin est très différent d’un lieu à l’autre, même au sein d’une même appellation. J’essaie d’avoir une approche de terroir, de parcellaire, ce qui est très bourguignon à la base, mais qui a gagné tout le monde, même ici à Bordeaux.
Et vous êtes président de l’Association des Œnologues de Bordeaux, qui fête cette année ses 50 ans…
Je suis entré dans l’association en 1997, d’abord en tant que secrétaire, et j’en suis le président depuis 2002. Ce sont des mandats de deux ans renouvelables, et j’espère pouvoir passer la main prochainement : le cap symbolique de ce 50ème anniversaire était une étape importante. L’association compte aujourd’hui plus de 500 membres sur les quelque 2000 œnologues recensés à Bordeaux. Son rôle initial était d’abord d’éditer la revue technique de la Faculté d’Œnologie, puis de fil en aiguille elle a organisé différents événements, des dégustations thématiques, des repas professionnels, des remises de diplômes, une « matinée des œnologues » qui réunit chaque année des conférences, des passerelles avec d’autres associations d’œnologie françaises ou européennes… C’est un lieu d’échange et de partage de connaissances, à but non lucratif, qui vit sans subventions et s’autofinance avec les cotisations d’adhérents et les différents événements que nous organisons.
La question qui peut intéresser les lecteurs de « Terre de Vins » : c’est quoi, et ça fait quoi, un œnologue ?
Dans l’esprit du grand public, œnologie est parfois confondu avec œnophilie, voire même avec sommellerie. Œnologue, c’est d’abord un titre, qui a été créé en 1955 par décret ministériel, et qui sanctionne un cycle de formation (comme médecin, avocat, notaire…) C’est un niveau BAC+5, avec à la clé un Diplôme National d’Œnologue, qui donne le droit d’exercer ce métier. C’est donc un terme que l’on ne peut pas utiliser à tort et à travers. Au-delà de ça, qu’est-ce que ça fait, un œnologue ? Plein de choses. Tous les œnologues ne font pas du vin, tous les vins ne sont pas faits par des œnologues. Il y a des œnologues qui donnent des cours, des formations, font du technico-commercial, travaillent dans le négoce, certains ont des laboratoires d’analyses, d’autres font du conseil, en vinification, en certifications environnementales… Il y a une grande variété de parcours et de façons d’exercer ce métier.
Est-ce que l’on considère que l’œnologie, c’est quelque chose qui traite uniquement de la transformation du raisin, ou bien elle intervient en amont, à la vigne ?
Potentiellement, l’œnologue peut intervenir à tous les stades, mais cela dépend de la sensibilité de chacun. A titre personnel, je ne fais pas de conseil en lutte phytosanitaire (mis à part sur les antibotrytis). Néanmoins je peux intervenir dans la date de récolte, donner des orientations sur les volumes qui vont être rentrés au chai et la qualité des raisins qui vont être récoltés (c’est bien normal, car quand il y a un problème sur les vins on est bien obligé de revenir en amont…)
Un œnologue c’est à la fois un médecin, un pompier, un accompagnateur ? Est-ce qu’il intervient uniquement quand il y a un souci, ou bien aussi quand les choses vont bien, quand la vendange est saine et à parfaite maturité ?
Le métier a évolué. Au début, les gens allaient voir l’œnologue quand le vin était malade. Puis au fil du temps, on est passé du curatif au préventif. Aujourd’hui, on est plutôt dans la médecine chinoise, on s’occupe des vins pour qu’ils ne soient pas malades. C’est un suivi qui s’étale sur toute l’année, pour aider les viticulteurs à faire des choix stratégiques (taille, effeuillage, éventuels traitements…) et, un mois avant les vendanges, on commence à goûter les raisins – et on ne quitte plus le vin jusqu’à ce qu’il quitte le chai. Maintenant, on anticipe beaucoup les problèmes, ce qui est bien meilleur pour la qualité des vins.
Dans l’esprit de certaines personnes, un œnologue est parfois perçu comme un chimiste qui va forcément trafiquer les vins avec des intrants, est-ce que c’est forcément ça ?
Je ne peux pas parler pour les autres. En ce qui me concerne, je n’ai aucun produit à vendre. Cela ne veut pas dire que mes clients n’en utilisent pas, mais je suis clairement dans une démarche de réduction des intrants auprès de mes clients, jusqu’à faire des vins sans soufre. La technique évoluant, on est revenu de certaines dérives dans les pratiques œnologiques, qui avaient lieu justement parce qu’on allait voir le « médecin » pour soigner le vin malade. Il ne faut toutefois pas oublier qu’avant même que l’œnologie arrive, on mettait parfois des produits très dangereux dans le vin pour le rendre « marchand ». L’apparition de l’œnologie a permis de faire le ménage là-dedans. Il n’en reste pas moins qu’il a pu y avoir, et qu’il y a parfois encore un conflit d’intérêt chez certains professionnels qui vendent des produits directement à leurs clients. Cela peut endommager l’image de la profession, mais les dérives de certains ne doivent pas être généralisées à tous. Et dans tous les cas, il ne faut pas toujours mettre sur le dos de l’œnologie les turpitudes de la viticulture : quand la vigne est plantée n’importe où ou que les raisins ne sont pas sains, ou pas mûrs, on ne peut pas faire de miracle. On est parfois arrivé à des discours où certains veulent paraître « plus blancs que blancs », prétendent ne rien mettre dans leurs vins, mais ne sont au final pas si transparents.
En parlant d’image, comment voyez-vous l’émergence de certains « winemakers » de renommée mondiale ?
Pour la notoriété c’est plutôt positif, cela a contribué à mieux faire connaître ce métier, mais ces professionnels ne représentent qu’eux-mêmes. Quand certains sont mis en avant sans même avoir leur diplôme d’œnologie, cela peut créer des agacements, mais j’ai dépassé ce stade.
Aujourd’hui, quel poids a l’œnologie dans la viticulture bordelaise ?
Il y a 6500 œnologues formés en France depuis les années 1950, dont 2000 à Bordeaux. C’est le plus gros centre de formation en nombre, donc forcément, les années passant, il y en a de plus en plus. On peut dire que le poids grandit dans toute la filière. En ce qui concerne le consulting, on ne le trouve pas qu’à Bordeaux, il se déploie un peu partout, même si les plus célèbres se trouvent ici.
Quelle est votre perception du bio, de la biodynamie, et de la place que ces pratiques vont occuper à Bordeaux dans les 15 ans à venir ?
On peut l’examiner d’abord comme une demande sociétale : c’est un peu le revers de la médaille de l’urbanisation. Les gens, consommateurs comme décideurs, sont de moins en moins en lien avec la nature. Et on peut avoir l’impression que certains, qui demandent à l’agriculture d’être plus pure que pure, oublient que la nature peut parfois être très cruelle, que l’on peut perdre une récolte entière à cause de la maladie – ce sont parfois les mêmes qui vous font un procès dès qu’ils entendent un coq chanter à l’aube. Du reste, les vins bio ne sont pas forcément meilleurs que les conventionnels. Ils sont plus exigeants à produire, demandent plus de temps passé à la vigne, mobilisent plus de main d’œuvre (difficile à trouver, avec de la pénibilité), ils utilisent du cuivre qui n’est pas inoffensif et non lessivable, bref ce n’est pas aussi simple qu’on voudrait le croire… Cela étant dit, je suis convaincu que l’avenir va vers moins de chimie, c’est l’évidence. J’accompagne des viticulteurs qui se convertissent au bio. Mais certains ne sont pas toujours préparés aux conséquences sur la récolte, de même que les consommateurs ne sont pas toujours prêts à payer plus cher leur bouteille.
Pour rester sur la thématique du bio, quel regard portez-vous sur le récent débat au niveau européen de faire figurer (ou pas) l’origine des levures utilisées dans la vinification ?
Il faut savoir que les levures qu’on a dans le vin sont pratiquement les mêmes que celles qu’on utilise pour faire du pain, ou de la bière. Alors pourquoi emmerder le vinificateur et pas le boulanger ? Je ne suis pas contre, mais je ne vois pas l’intérêt d’axer sur les levures plutôt que sur n’importe quel autre intrant. Certains se disent très fiers d’utiliser des levures indigènes, mais ça ne les empêche pas de chaptaliser : est-ce que ce n’est pas dénaturer davantage le produit ? Quant à la recherche de pureté ou de transparence absolue, cela peut conduire parfois à des excès dangereux. Est-ce que le vin est un produit alimentaire comme les autres, ou un produit culturel ? Si c’est un produit alimentaire comme les autres, on peut finalement indiquer sur la contre-étiquette tous les produits qui ont été utilisés dans son élaboration. Mais en France, c’est un peu plus compliqué que ça… Je pense que c’est d’abord un travail de pédagogie, d’éducation à faire auprès du public pour qu’il sache ce qu’il consomme. L’information n’est pas l’éducation.
L’œnologie, vous la voyez évoluer comment dans les prochaines années ?
Si l’on retrace l’histoire de l’œnologie, il y a eu grosso modo d’abord un cycle curatif, puis un cycle préventif. Le prochain cycle sera d’utiliser de plus en plus des produits issus de la nature, voire même se passer au maximum des produits (traitements, intrants), pour être au plus près du raisin. Cela veut dire d’aller vers toujours plus de maîtrise technique, de connaissance des outils pour réduire l’utilisation des sulfites… Cela s’accompagnera d’un changement des goûts du consommateur, car le vin est un produit vivant, et cela relève aussi d’un travail d’éducation.
Pour finir, vous l’avez mentionné tout à l’heure : Denis Dubourdieu, grande figure de l’œnologie à Bordeaux, nous a quittés cette année. Vous avez collaboré avec lui, quel souvenir en gardez-vous ?
Denis Dubourdieu, c’était le dernier grand. Il faisait partie des grandes figures de l’œnologie bordelaise, dans la lignée des Émile Peynaud… Pour moi, cela a été une rencontre importante, car c’est lui qui m’a fait valider mes choix d’aller vers une formation très scientifique. Il m’a fait toucher du doigt le fait que faire du vin, c’est faire de la science, même si l’on en tire un produit concret. Cela m’a permis d’être très à l’aise dans la compréhension de ce qui se passe, et c’est d’ailleurs en lien avec la dégustation. L’œnologie, c’est faire de la science en goûtant, et c’est ce qu’il m’a démontré.
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