Vendredi 22 Novembre 2024
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11.07.2017
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2 000 ceps sur une montagne de schistes ! Dans le Pas-de-Calais, deux viticulteurs charentais, Henri Jammet et Olivier Pucek, ont tenté l’expérience. Depuis 2011, tout le village d’Haillicourt, dans le bassin minier lensois, est devenu viticole. Ce premier vin de terril, le « Charbonnay », a même trouvé le chemin de tables étoilées.
Depuis le versant sud de cette montagne noire, la vue embrasse tout le village d’un coup. Des jardins, des champs de colza aux formes géométriques et les silhouettes d’autres terrils se découpent, plus loin. 75 % de pente, un escalier posé à flanc de terril, au milieu de 20 rangs de vigne de 100 mètres de long, voilà le premier résultat d’un défi singulier.
« Et dire qu’il y a encore quelques années je n’étais même jamais monté sur un terril ! », plaisante Henri Jammet, viticulteur charentais. En 2009, c’est une rencontre avec Olivier Pucek, un Nordiste exilé en Charente, qui change la donne. À l’époque, Olivier est directeur de cabinet du président du Conseil général de Charente. « Il est venu me voir pour me demander des conseils, parce qu’il voulait planter des vignes. Et puis de fil en aiguille, il s’est mis à me parler des terrils… ». De celui d’Haillicourt, en particulier : en contrebas, on aperçoit le toit de la maison du père d’Olivier Pucek.
Produire un bon vin « tout in haut de ch’terril », dans une région au climat défavorable et sans aucune culture viticole, voilà ce que propose Olivier à Henri. « L’idée était suffisamment saugrenue pour me plaire », sourit Henri.
Le sol noir, pentu et particulièrement filtrant, n’est pas très fertile. Mais il absorbe la chaleur et la restitue. « La vigne pousse modestement, et c’est très bien, elle préfère largement les sols pauvres ! », explique encore le vigneron.
Pendant longtemps, les démarches entreprises pour obtenir les droits de plantation ne donnent rien. « On a fait la demande, ça a traîné pendant un an ou deux, et puis en 2011 on a finalement planté les premiers pieds sans autorisation. La presse est venue, et on a enfin obtenu une autorisation, mais à titre expérimental », raconte Henri. Dès lors, mille contraintes s’imposent à eux : « Déjà, pour installer le vignoble, il a fallu tout monter à dos d’homme. La pente nous oblige à travailler intégralement à la main, cela coûte vraiment très cher », précise Olivier.
Pour lancer le projet, il a fallu monter une SARL, avec six sociétaires. Outre Henri et Olivier, elle rassemble une pharmacienne, un pneumologue, un chargé de mission et un député du Nord. Un investissement initial de 42 000 €, complété pour un tiers par la commune d’Haillicourt. Le reste, c’est un peu de débrouille : le pressoir, rangé dans le presbytère de la commune, a été remonté de Charente, de même que cuves et fûts, entreposés dans une salle près de l’église.
Sur le terril, le travail ne manque pas : bénévoles de tout bord et Johann, Haillicourtois à mi-temps, tous s’attellent à l’entretien et aux vendanges du micro-vignoble surplombant les corons. « Au début, beaucoup de pieds ont crevé, à cause de la sécheresse. Il aurait fallu arroser ; mais ici, c’est impossible », note Olivier, en détachant du sol un fraisier sauvage qu’il dépose délicatement sur l’une des marches de l’escalier. La première récolte a lieu en 2013. Elle est maigre : 110 litres seulement. La production est doublée l’année suivante, et atteint 340 litres en 2016. « En régime de croisière, il nous faudrait au moins 1 000 litres. Mais ce qu’on voulait, c’est d’abord un vin qui sorte de l’ordinaire : et ça, c’est gagné ! », s’amuse-t-il.
Le choix s’est porté sur un chardonnay greffé sur 101-14, donc peu vigoureux et précoce. « Avec ce climat, on savait qu’on pouvait faire ici un très bon blanc, mais pas forcément un rouge exceptionnel », indique Henri. En 2014, une première dégustation à l’aveugle est organisée chez Marc Meurin, un chef étoilé de la région. « On était une cinquantaine, et le Chardonnay a tenu sa place parmi des vins à 30 € la bouteille », se félicitent les deux viticulteurs. Il a également les faveurs du chef Nicolas Pourcheresse, aux commandes du restaurant gastronomique de l’hôtel Clarance, à Lille.
C’en est fini de l’expérimentation : la libéralisation des règles en matière de vente de vins sans indication géographique (VSIG) permettra bientôt aux producteurs du « Charbonnay » de s’adresser directement aux particuliers. « Nous avons obtenu des droits de plantation à titre commercial pour une surface de 40 ares en 2015 », confirme Henri Jammet. La même année, 500 nouveaux pieds ont été plantés en haut du terril. Henri Jammet et Olivier Pucek rêvent désormais de parvenir à 1 hectare à l’horizon 2020, avec un salarié à temps plein. À Haillicourt, la greffe a pris.
CARTE D’IDENTITÉ
Le « Charbonnay » est encore un vin confidentiel et rare : jusqu’en 2016, la vente n’était pas autorisée, puisque l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao) considère le Pas-de-Calais comme un territoire non viticole, au même titre que le Finistère ou l’Eure-et-Loire. Pour s’en procurer, il fallait adhérer (moyennant 40 euros) à une association, 2 Bis & Tertous, créée en 2013 au moment de la première récolte. En contrepartie, une bouteille était cédée.
Une mesure adoptée à Bruxelles, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, permet désormais la production de vin n’importe où dans le pays. Ce cru d’exception sera commercialisé auprès du grand public en 2018.
Article publié dans « Terre de Vins » n°48, actuellement dans les kiosques.
Texte Clémence de Blasi, photographies Charles Delcourt.
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