Jeudi 26 Décembre 2024
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02.01.2012
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Frère Jean-Jacques passe le plus clair de son temps dans la solitude et une sereine contemplation, mais une fois par semaine le moine chartreux vêtu de sa robe de drap blanc quitte la cellule de son cloître pour une importante mission. Sa tâche est d’analyser la très puissante et quelque peu mystérieuse liqueur verte qui connaît un regain de popularité dans les bars les plus branchés de New York et ailleurs aux États-Unis.
Jean-Jacques serait l’un des deux hommes qui connaît les ingrédients secrets de la Chartreuse, une liqueur à 55°, aux arômes médicinaux et vendue à l’origine comme un élixir de jouvence contenant un mélange très confidentiel de près de 130 herbes, plantes et épices.
« Est-ce bien le travail d’un moine d’élaborer une liqueur ? » interroge le frère à la barbe broussailleuse tout en gardant un œil attentif sur une rangée de cuves en inox appartenant à la distillerie de la Chartreuse dans l’est de la France. « Dans l’ordre religieux, tout le monde n’est pas d’accord. »
La Chartreuse a vu ses ventes augmenter de 40% aux États-Unis l’an passé, en partie grâce au puissant renouveau de la « mixologie », où des barmen hyper-compétitifs ne cessent de rechercher de nouvelles recettes de cocktails.
La boisson a aussi bénéficié de son apparition dans une conversation anodine de bar dans le film de Quentin Tarantino, « Boulevard de la mort » (Death Proof) de 2007. Jouant le rôle du barman dans son propre film, le réalisateur offre une tournée de Chartreuse à quelques clients déjà bien imbibés. Quand ils lui demandent ce qu’ils boivent, Tarantino répond : « Chartreuse, une liqueur si bonne que l’on a nommé une couleur en son honneur » (en anglais, le mot « chartreuse » signifie également la couleur jaune/vert vif).
Antoine Munoz, le directeur général de Chartreuse Diffusion, qui commercialise la boisson, admet que la hausse des ventes n’était pas prévue. « Le film de Tarantino a créé un incroyable buzz », raconte-t-il, tout en indiquant que ses employés ont consacré des heures supplémentaires pour embouteiller le plus d’élixir vert que possible.
Ce n’est pas la première fois que cette boisson est à la mode aux États-Unis. À la fin des années 70, c’était un ingrédient très recherché pour un cocktail chic appelé « Swamp Water » (eau du marécage), dont la demande se tarit quand la mode passa.
Les méthodes de fabrication de la Chartreuse n’ont pas changé depuis plusieurs siècles. Elle est toujours élaborée par les moines chartreux de Voiron, un village pittoresque au pied du massif de la Chartreuse. Les ingrédients principaux sont cultivés localement, mais des composants plus exotiques proviennent d’Inde, de Sri Lanka et de Chine, selon Frère Jean-Jacques.
Le moine qui a fait ses vœux il y a 3 décennies et qui a passé les 15 dernières années à fabriquer la Chartreuse, supervise une grande partie de la création de la boisson depuis un ordinateur du monastère. Mais il se rend aux chais de la Chartreuse et à la distillerie chaque semaine pour contrôler les derniers lots. Les chais sont les plus grands du monde pour une liqueur : ils abritent 1, 6 millions de litres de cette boisson.
La Chartreuse est vieillie environ 3 ans en vieux foudres de chêne. Jean-Jacques et un autre moine sont les seuls à connaître la liste complète des ingrédients, déclare Munoz. Par précaution, ils ne sont pas autorisés à voyager ensemble dans la même voiture. La célèbre version verte de la Chartreuse est vendue depuis 1764, mais il existe une version jaune, moins forte et plus sucrée depuis 1838. « La Chartreuse est une liqueur complexe » affirme Emmanuel Renaut, cuisinier en chef au restaurant deux étoiles, Les Flocons de Sel, à Megève. « La version jaune nous fait voyager au Moyen Orient : les épices, le curry, l’anis, la réglisse et le safran ».
À la fin de 2011, les États-Unis étaient en voie de devenir le deuxième marché au monde pour la Chartreuse, dépassant l’Espagne. Dans le monde entier, chaque année plus de 1, 5 millions de bouteilles de la Chartreuse sont vendues et les exportations sont en hausse de 10 %, selon la société. La Chartreuse est une des boissons préférées au bar très branché de l’East Village de New York, Death & Co., où la version jaune est un composant important, bien qu’utilisé avec parcimonie, du célèbre cocktail le « Fresa Brasa ».
« C’est vraiment un alcool magnifique et un ingrédient précieux » déclare Joaquin Simo, barman d’un pub style clandestin de l’époque de la prohibition, qui arbore un nœud papillon. « C’est ce que tous les barmen boivent ».
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