Accueil Un champagne au nom africain pour les Africains

Auteur

AFP

Date

22.12.2017

Partager

Dans un lounge chic d’Abidjan, des clients ivoiriens dégustent un champagne particulier. Laurent-Perrier ? Veuve Clicquot ? Moët et Chandon ? Non : du Dian Diallo…

« C’est la première marque de champagne qui porte un nom africain », explique son créateur Dian Diallo, un Guinéen de 40 ans haut en couleur, chapeau vissé sur la tête et lunettes à la mode. « Ce n’est en aucun cas un champagne ‘africain’ parce que ça n’existe pas, un champagne africain ! », précise-t-il : le Dian Diallo « a été élaboré dans l’art et le savoir-faire de la méthode traditionnelle champenoise de A à Z, de la vigne jusqu’à l’embouteillage. Tout a été fait en Champagne » dans le respect de l’appellation d’origine contrôlée (AOC), dit-il.

Dian Diallo, qui a étudié en France le management, les sciences économiques et le marketing, connait bien le secteur. Avant de se lancer en 2017, il a travaillé une dizaine d’années pour des grandes marques de champagne. « Je me suis aperçu que les Africains consommaient beaucoup plus de champagne doux et fruité (…), beaucoup plus de sec ou demi-sec. C’est parce que le brut a le côté acidulé qu’ils n’apprécient pas », explique-t-il. « En apportant une petite dose de sucre de canne, on enlève complètement cette amertume dans le brut ». Ce qui permet « d’adoucir un peu le champagne afin que ça soit délicieux » sans être « trop sucré ».

Plus de sucre

L’ajout de sucre de canne est un classique en Champagne et Dian Diallo se met alors en quête d’un champagne qui lui convient. « J’ai eu un très bel accueil et je me suis associé avec un vigneron, Rémi Jacques, à Baye », dont la famille fait du champagne depuis 1932. Objectif : vendre de ce pétillant en Afrique, en rapport avec les attentes du public sur place. M. Diallo « est passé il y a une paire d’années », a rencontré l’épouse de M. Jacques et lui a annoncé son projet, raconte le vigneron champenois.

En termes de cépages, le champagne Dian Diallo « tradition » est composé « de 50% pinot meunier, 30% pinot noir et 20% chardonnay, ça donne un champagne souple, tendre, facile à déguster avec une pointe de fraîcheur, qu’on peut prendre à tous les moments de la journée », explique Rémi Jacques. « Mais il n’y a pas d’adaptation à un ‘goût africain’, on n’est pas dans un produit industriel : c’est du champagne ! », précise-t-il.

Dian Diallo vend plus de 10.000 bouteilles par an en Afrique (Côte d’Ivoire, Nigeria, Liberia, Cameroun, Gabon, Guinée, Burkina Faso). Il dit profiter d’un « engouement très fort pour le champagne et pour les produits de luxe en Afrique », à la faveur d’une classe moyenne au pouvoir d’achat croissant. S’il entend séduire le public africain par la qualité de son produit, il joue aussi sur la fibre continentale : « Il y a une vraie fierté des Africains de voir un Africain évoluer dans ce milieu fermé », assure Dian Diallo.

« Nom un peu bizarre »

Ce spécialiste du marketing invite une clientèle huppée à des dégustations dans des hôtels et des endroits chics des capitales africaines. Patricia Dje Dje, publicitaire, fait partie des heureux élus : « J’en ai goûté quatre différents », dit-elle en évoquant la gamme Dian Diallo qui compte notamment un champagne « tradition », un rosé et un blanc de blanc. « Pour nos palais sous les tropiques oui, ça peut aller ! Je ne les trouve pas spécialement sucrés, mais c’est vrai qu’avec le mélange des cépages, peut-être que le sucre ne se sent pas », dit-elle. « On a ici en Côte d’Ivoire toute une gamme de champagne, on a le choix sur le plan des prix et des marques », souligne-t-elle.

Si elle se dit « fière » qu’un Africain réussisse dans le champagne, elle trouve néanmoins « un peu bizarre » ce nom de champagne Dian Diallo, « parce que le champagne initialement n’a pas une connotation africaine ». « Il y a des vins pétillants sud-africains qui sont excellents mais qui ne peuvent pas s’appeler champagne parce qu’ils sont pas en région de Champagne », remarque Mme Dje Dje.

Et comme « l’Africain reste quand même sensible à tout ce qui vient de l’extérieur, à tout ce qui a une certaine notoriété et qui est un peu ‘blanc’ (occidental), ça peut aussi être un frein », un tel nom. « Mais pas un frein qui ne peut être levé. »

Par Patrick FORT à Abidjan et Fanny LATTACH à Reims pour AFP

BONUS : L’Afrique, un marché de niche mais « à forte croissance » à terme pour le champagne

« Ambassadeur » de la France, le champagne s’exporte partout à travers le monde, allant jusqu’à se faire une place en Afrique, où il semble promis à une forte croissance. « Plus on est loin de la France, plus le champagne est un produit de luxe », rappelle Thibaut le Mailloux, directeur de la communication du Comité Champagne, l’organe institutionnel de l’appellation.

Comme sur les autres continents, il n’existe pas un, mais des marchés hétérogènes selon les pays, d’autant que « le champagne en Afrique, ce n’est pas nouveau : ce qui change, c’est que ce continent va connaître une forte croissance à moyen-long terme », ajoute-t-il.

En 2017, environ 4,9 millions de bouteilles ont été expédiées sur le continent, soit une progression de 7% en dix ans, selon le Comité Champagne. Mais seulement deux marchés dépassent le seuil des 500.000 bouteilles vendues : le Nigeria et l’Afrique du Sud. Une demande émerge également au Cameroun, au Gabon et au Sénégal.

Les marchés africains ne représentent cependant que 3,25% de l’export total de champagne… Quelques bulles, comparées au trio de tête des expéditions : Royaume-Uni (27,76%), Etats-Unis (23,10%) et Japon (12,87%). Le marché du champagne en Afrique est encore « confidentiel », cantonné à « des milieux particuliers, des gens qui ont bien réussi, qui font des affaires et ont un réseau », selon Maxime Blin, vigneron à Trigny, en Champagne. Il s’est lui aussi lancé dans l’aventure africaine voici sept ans, via un importateur lui permettant d’expédier 2.500 bouteilles par an au Togo, soit 2% de sa production annuelle.

Mais ce marché pourrait « à l’avenir amener de la clientèle et connaître une belle évolution », assure-t-il. « Je suis allé deux fois là-bas pour faire des dégustations, de la promotion, rencontrer les clients. Les Africains aiment beaucoup le champagne, pour eux c’est un marqueur social, parce que si on en achète, c’est qu’on a les moyens ».