Vendredi 22 Novembre 2024
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01.03.2012
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Propriété viticole bicentenaire, le Château Lanessan était classé au rayon des « belles endormies » du Haut-Médoc. Depuis un peu plus de deux ans, la nouvelle directrice Paz Espejo insuffle une nouvelle jeunesse au domaine… et révolutionne le style des vins.
Nous arrivons à Cussac-Fort-Médoc, à un battement d’ailes de Saint-Julien et à un jet de pierre de Gruaud-Larose, qui trône en illustre voisin. En quittant la départementale pour nous avancer sur un petit chemin, nous sommes accueillis par des têtes de chevaux – la marque de fabrique, ou plutôt l’identité, l’âme des lieux depuis la fin du XIXème siècle. En passant devant le Château Lachesnaye, on se croirait un peu en Ecosse. Et en arrivant enfin au Château Lanessan, nous voici définitivement en Angleterre : le château d’inspiration tudorienne (échafaudé par l’architecte bordelais Henri Duphot), le parc de huit hectares, le jardin et sa serre, les écuries en fer en cheval transformées en musée de calèches, tout ici témoigne d’une touche « so british » et si classiquement bordelaise. Ce n’est pourtant ni une Anglaise, ni une Ecossaise, ni même une Bordelaise qui nous accueille à Lanessan, mais la plus Espagnole des œnologues du Médoc, Paz Espejo.
Paz Espejo est directrice du Château Lanessan depuis août 2009. Cette Madrilène a de fortes attaches bordelaises (elle y a fait ses études d’œnologie et s’est illustrée dans d’importantes maisons de négoce, telles que Calvet ou Cordier) mais est également riche d’expériences internationales : elle a officié comme « flying winemaker » en Espagne et en Italie, et a beaucoup travaillé sur les vins du Nouveau Monde. Son passage chez Cordier lui a enfin permis de tutoyer les Grands Crus bordelais (Grand Puy Ducasse, Meyney, Rayne Vigneau). L’étape suivante de ce parcours remarquable était naturellement de prendre la direction d’un domaine. Mais il fallait que le défi soit à la hauteur de ses ambitions. Aussi, lorsque la famille Bouteiller lui a proposé de reprendre les rênes du Château Lanessan, Paz Espejo n’a pas hésité.
L’heure du renouveau
L’histoire du domaine remonte au moins au XIVème siècle, mais c’est à la fin du XVIIIème siècle, grâce à la famille Delbos, que Lanessan se dote d’un vignoble. Passé de justesse à côté du classement 1855, le vignoble se développe rapidement dans les années 1880 : c’est à cette époque qu’il s’enrichit d’un nouveau cuvier et de ses fameuses écuries, le cheval étant la grande passion du propriétaire de l’époque. Au début du XIXème siècle, Marie-Louise Delbos épouse Etienne Bouteiller et, depuis, le domaine est toujours dans la même famille. Dans les années 60, la propriété s’agrandit avec les châteaux Lachesnaye et Sainte-Gemme. Lanessan s’installe comme une belle référence du Haut-Médoc, capable de rivaliser certaines années avec ses illustres voisins. Mais au tournant des années 2000, le vignoble peine à rester dans la course d’un « mondovino » de plus en plus concurrentiel : les vins ont-ils un style trop classique ? L’image du domaine est-elle trop datée ? Lanessan s’est-il trop reposé sur ses lauriers ?
Paz Espejo témoigne : « je connaissais bien sûr les vins de Lanessan, je connaissais surtout le potentiel du domaine lorsque la famille Bouteiller m’a proposé d’en prendre la direction. Tout en m’inscrivant dans l’héritage de la propriété, mon rôle était d’apporter une nouvelle énergie, un nouveau style et un nouveau positionnement ». Arrivée en août 2009, Paz Espejo est d’abord intervenue sur la date des vendanges et sur la vinification de ce millésime. Mais c’est à partir du millésime 2010 qu’elle a vraiment imposé sa marque : sur la conduite de la vigne (travail des sols, enherbement, nouvelle approche de la taille et de l’effeuillage), dans la vinification (sélections parcellaires, extractions douces, petits remontages quotidiens, contrôle des températures) et sur l’élevage (douze mois en barriques, un tiers de bois neuf, un tiers de barriques d’un an, un tiers de barriques de deux ans). Son objectif déclaré étant de produire « des vins plus gras, plus ronds, élégants, complexes, qui se détournent des notes torréfiées pour aller vers un fruit expressif et suave ». Le renouveau est palpable sur le millésime 2010 (mis en bouteille l’été prochain), sur lequel la rupture de style avec les millésimes précédents est criante. La combinaison de cabernet-sauvignon (60%) et de merlot (36%) apporte un bel équilibre entre structure, fraîcheur et gourmandise. Le petit verdot (4%), auquel Paz est très attachée, apporte une petite touche d’épices. Le 2011 s’annonce déjà davantage sur la finesse, avec de jolies notes réglissées.
Crus Bourgeois en débat
L’autre travail de Paz Espejo a consisté à repenser en profondeur l’intégralité de la gamme du Château Lanessan. Identifier les spécificités, les identités et les styles de chaque vin (Lanessan bien sûr, mais aussi le second vin Les Calèches de Lanessan et le « voisin » Château Sainte-Gemme), redynamiser l’image (nouvelles étiquettes, nouveau logo, nouvelle signalétique pour accéder à la propriété) et harmoniser l’accueil au domaine : du musée du cheval aux visites en calèche en passant par la formule « winemaker d’un jour » et la boutique / espace dégustation (avec de nombreux produits et accessoires estampillés « Lanessan »), le château s’impose comme une jolie étape oenotouristique dans le Médoc.
Tous ces efforts ont contribué à replacer, en deux années, Lanessan parmi les vins à suivre – et à redécouvrir – du Haut-Médoc. D’aucuns s’interrogent d’ailleurs sur le fait que le château n’ait pas intégré la dernière reconnaissance des Crus Bourgeois. Pour Paz Espejo, la raison est claire : « la nouvelle charte des Crus Bourgeois n’autorise qu’un seul vin par propriété à postuler. Nous avons décidé de privilégier Sainte-Gemme à Lanessan, non par indifférence envers l’Alliance des Crus Bourgeois – qui fait au contraire un travail remarquable – mais parce que j’estime que cela ne peut que profiter à Sainte-Gemme, car cela va nous obliger à hisser la qualité, alors que Lanessan est déjà une marque à part entière ». Une prise de position qui ne fait certainement pas l’unanimité au sein de l’Alliance, mais pour Paz Espejo, l’essentiel est ailleurs : continuer de travailler à rendre au pur-sang Lanessan son allure d’antan.
Mathieu Doumenge
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