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03.04.2012
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« Le gourou du vin » : c’est le titre du livre de Michel Rolland, attendu en librairie le 4 avril. En pleine semaine des Primeurs, tout un symbole ! A cette occasion, Terre de Vins a rencontré le plus célèbre des « flying winemakers ». Qui, comme à son habitude, ne mâche pas ses mots.
Présente-t-on encore Michel Rolland ? L’œnologue-consultant libournais est celui qui a façonné la figure moderne du « flying winemaker », au fil d’une longue carrière consacrée à arpenter les vignobles et les chais du monde entier. De son Pomerol natal aux plus grands châteaux des deux rives de Bordeaux, des confins du Nouveau Monde aux propriétés émergentes d’Inde et de Chine, Michel Rolland a déployé son savoir-faire aux quatre coins de la planète. Le genre de trajectoire qui vous forge une renommée internationale. Mais qui vous attire, aussi, son lot d’inimitiés, de préjugés et de polémiques. Évidemment respecté, forcément critiqué, souvent attaqué, Michel Rolland ne laisse jamais indifférent. À 65 ans, sans ralentir la cadence, il jette un œil dans le rétroviseur pour nous faire partager, dans son livre « Le Gourou du Vin » (Editions Glénat), son point de vue sur le chemin parcouru. Et répond aux questions de Terre de Vins.
Michel Rolland, pourquoi une biographie ? Pourquoi maintenant ?
Ce n’est pas tout à fait une biographie. Beaucoup de gens m’ont demandé de raconter mon histoire, et je me suis décidé à le faire. C’est vrai que c’est une histoire assez originale, que personne d’autre n’a vécue, et que selon moi, personne d’autre ne vivra. J’ai connu la viticulture mondiale à un moment où tout changeait, j’ai été au bon endroit au bon moment. Cela m’a permis de débroussailler à la fois Bordeaux, les Etats-Unis, l’Amérique du Sud, l’Afrique du Sud, l’Inde même… J’ai vécu des choses assez uniques et le but était de raconter cet itinéraire. Je ne suis plus un perdreau de l’année, comme on dit, et il m’a semblé que c’était le bon moment pour tout partager. Mais ce n’est pas non plus un bilan !
Vous entamez votre livre en écrivant : « Il s’est dit tant de choses à mon sujet. Beaucoup de bruits et peu de vérités. Beaucoup de polémiques et peu d’honnêtetés, l’essentiel étant le plus souvent escamoté. » Quelles sont les vérités que vous avez voulu rétablir avec ce livre ?
Il est bien normal de ne pas faire l’unanimité. Cela étant, certaines personnes ont dit ou écrit des choses malhonnêtes à mon sujet, notamment celles qui m’ont accusé d’incarner une « globalisation du goût », ce qui est une connerie monumentale. Ceux qui m’ont présenté comme un ayatollah préconisant sans cesse les mêmes recettes, alors que c’est l’antithèse de ce que je fais… Du coup, je règle quelques comptes, c’est vrai. Je me fous de me justifier, j’ai quarante ans de métier derrière moi, et parmi tous ceux qui m’ont décrié, aucun n’a ma longévité ni ma légitimité. Mais je voulais rétablir certaines choses, pour le public, pour les consommateurs, pour qu’ils ne pensent pas qu’ils ont été idiots de boire les vins élaborés par Michel Rolland.
Parmi les comptes que vous réglez dans votre livre, il y a bien sûr Jonathan Nossiter, l’auteur du film « Mondovino » (2004), et du livre « Le Goût et le Pouvoir » (2007), dans lesquels vous n’apparaissez pas à votre avantage. Mais aussi Jacques Dupont, Périco Légasse…
Oui, je taille quelques costards, c’est vrai. Avec un bémol pour Jacques Dupont (journaliste au magazine Le Point, NDLR), qui est quelqu’un que j’aime bien, même si nous n’avons pas toujours des relations au beau fixe. Il a juste commis l’erreur à une époque de me traiter comme un « produit parkerisé », ce qui est une absurdité, car les vins les mieux notés par Parker sont généralement les vins Moueix, pas les miens. C’est honnête, ça ? Non, c’est du travail de con, pour le dire avec mon franc-parler. Pareil pour Périco Légasse (journaliste au magazine Marianne, NDLR) : il a toujours écrit du mal sur moi, sans jamais prendre la peine de me rencontrer ou me poser une question directe, en trente ans de métier. J’estime que c’est une faute professionnelle.
Et Mondovino ? Estimez-vous que votre apparition dans le film vous a porté préjudice ?
Pas du tout. Rien ne m’a porté préjudice, et surtout pas « Mondovino ». Mais il y a deux choses que je déplore. D’abord, Nossiter est foncièrement malhonnête dans sa démarche, il a fait un film rempli de poncifs et de facilités pour faire du fric. Mais à la rigueur, passons. Ma critique ne porte pas sur lui – d’ailleurs il a plus ou moins disparu de la circulation, et à mon avis on ne le reverra jamais dans le monde du vin. Elle porte sur l’engouement, le suivisme de la presse française autour de ce mec. D’ailleurs beaucoup en sont revenus depuis. On a crié au génie à l’époque, alors que c’était un génie truqueur : le montage est grotesque, tous les gens qui me connaissent ont bien vu que c’était manipulé, et cela n’aurait dû tromper personne. Mais la polémique était trop tentante ! Il n’y a qu’en France que l’on trouve un tel simplisme…
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent, au même titre que Robert Parker ou d’autres « winemakers », d’être l’artisan d’une uniformisation du vin ?
Rien. Je n’ai rien à répondre, et je m’en fous. Qu’ils apprennent juste à goûter les vins, et à se comporter comme des professionnels. Vous savez tout de même qu’après la sortie du film, le journal Libération a organisé une dégustation à l’aveugle opposant les « vins de terroir » présentés dans le film aux vins « Rolland-Parker ». Le verdict a été dramatique pour lesdits « petits vins », notamment le Pommard de Montille. Je ne m’en réjouis pas particulièrement, mais on pouvait s’en douter ! Cela prouve juste que Nossiter a enfumé tout le monde, et moi le premier d’ailleurs, car je lui ai répondu avec mon enthousiasme, je suis du pain béni pour un gars comme lui. Mais je ne vais pas changer maintenant…
Toujours à propos de Robert Parker. Vous lui consacrez un chapitre entier dans le livre…
Oui, il y a trois raisons à cela. D’abord, je pense que Bordeaux devrait un jour rebaptiser une avenue à son nom, tant il a fait du bien à ce vignoble. Ensuite, Robert Parker et moi, nous sommes « nés » au même moment : nous avons le même âge, et nous avons connu des carrières assez parallèles. Enfin, sur la durée, personne n’a fait ce que Parker a fait. On peut ne pas être d’accord avec lui, mais personne n’a signé une « œuvre » aussi colossale sur le vin ! Où que vous soyez dans le monde, il reste la référence. C’est un tour de force qui se prolonge depuis trente ans. Je voulais aussi combattre certaines idées reçues, selon lesquelles il n’aime que les vins bodybuildés… Ce qui est totalement faux. Avant tout, même s’il lui arrive de se tromper, Robert Parker est un dégustateur exceptionnel, et je raconte dans le livre quelques anecdotes à ce sujet, bluffantes et véridiques.
Quel est « style » Michel Rolland, le fil conducteur de vos vins ?
Le « style », dès le départ, c’était de s’efforcer de ramasser des raisins mûrs. Cela semble aller de soi aujourd’hui, mais il y a quarante ans ce n’était pas évident ! Il a fallu un vrai travail de fond sur les techniques et les mentalités pour atteindre cet objectif : obtenir de bons raisins, à bonne maturité. Cela a entraîné certaines pratiques qui n’existaient pas, comme les vendanges vertes, les effeuillages, qui ne sont pas systématiques, mais on a cherché tout ce qui pouvait contribuer à améliorer la qualité de la matière première. On est toujours confronté à une matière, et il ne s’agit pas de la traiter de la même façon partout, en Argentine ou à Pomerol. Il faut essayer de comprendre – et je ne dis pas que j’ai tout compris – pour obtenir les plus jolis raisins, car on a toujours de meilleurs vins avec de beaux raisins qu’avec de bons oenologues !
Vous qui faites tellement de vins dans tellement de pays, où est votre goût personnel ?
Mon vrai goût personnel, c’est Pomerol. C’est là que je suis né : j’adore le merlot, et j’adore le merlot de Pomerol. Je voyage beaucoup, et Pomerol, j’y reviens toujours, c’est ma madeleine. Après, je suis le plus œcuménique des œnologues, je peux boire de tout, tant que c’est bon.
C’est quoi, un grand vin, pour vous ?
C’est face au temps que l’on juge les grands vins, dans leur capacité à conserver leur qualité aromatique à travers les années. A Bordeaux, on sait où sont les grands terroirs, donc on sait où sont les grands vins. Mais il faut aussi regarder ailleurs. Par exemple, comme je le cite dans le livre, Harlan Estate en Californie est sans doute, aujourd’hui, la plus consistante des verticales au monde ! Vingt millésimes consécutifs d’exception, je pense qu’aucun autre vin au monde ne peut en dire autant.
De quoi êtes-vous le plus fier dans votre parcours ?
Je ne suis fier de rien. J’ai énormément travaillé, mais j’ai aussi eu une part de chance. J’ai fait des vins dans vingt pays, pour une centaine de domaines, j’ai fait de très belles rencontres qui ont enrichi ma vie, et je suis assez heureux de cette trajectoire, c’est tout. Les choses se sont fait simplement : ma découverte du vin dans les vignes de mon père à Pomerol, ma formation d’œnologue, ma rencontre avec une autre œnologue qui est devenue ma femme, nos débuts en commun. J’ai vite compris que ma vocation n’était pas d’être un homme de laboratoire, mais d’arpenter les vignes, d’être au contact des viticulteurs. J’ai beaucoup dialogué avec mes clients, et c’était une forme de nouveauté à l’époque ! Puis l’international est venu par hasard, une Américaine qui m’a demandé des conseils, et tout s’est construit de fil en aiguille.
Une émotion de dégustation ?
J’en ai eu tellement… J’ai eu d’abord la chance, quand j’avais 20-25 ans, d’avoir de très bonnes relations avec le curé de Pomerol, qui avait une très bonne cave. J’ai eu la chance grâce à lui de goûter tous les 1947 de Pomerol, qui était une très grande année. C’étaient mes premières grandes émotions. Par la suite, j’ai eu l’opportunité de goûter tout ce qui s’est fait de grand, notamment à Bordeaux, donc je ne suis pas frustré de ce côté-là…
Votre livre sort en pleine Semaine des Primeurs à Bordeaux. Quel regard portez-vous sur ce millésime 2011 ?
Ce que je dirais, c’est qu’il serait dommage que l’on étouffe le millésime 2011 dans l’œuf sous prétexte qu’il arrive après 2009 et 2010. C’est un millésime que l’on aurait été heureux de faire il y a quelques années ! Il n’est certes pas au niveau des deux précédents, mais on ne doit pas le considérer comme mauvais pour autant. On a bien travaillé sur ce millésime, sur les sélections, sur la précision. Même s’il est moins homogène, il y aura de très grands vins. C’est le terroir et l’exigence qui font la différence. Après, sur la question du marché : il ne faut pas oublier que beaucoup de propriétés bordelaises vendent à des prix qui ne sont même pas rémunérateurs, alors on ne va pas leur demander de baisser les prix ! Concernant les très grands vins en revanche, un ajustement des prix semble logique. Il y a aussi la provenance de la demande. Je pense aux Etats-Unis, qui ont connu des problèmes économiques et n’ont pas été acheteurs en 2009 et 2010 : ils seront certainement contents de revenir dans le jeu avec ce millésime 2011.
Faites-vous partie de ceux qui redoutent une explosion de la « bulle bordelaise » ?
Si la bulle doit exploser, ce ne sera pas cette année. Pour une raison simple : ceux qui ont vendu très cher en 2009 et 2010 n’ont pas besoin d’argent. Donc, s’il n’y a pas de marché sur le 2011, ils garderont, et attendront des jours meilleurs. Donc la bulle n’explosera pas.
Quel regard portez-vous sur les marchés émergents, notamment la Chine ?
La Chine est un marché qui monte en puissance, et part dans tous les sens. Néanmoins, c’est un vrai marché, qui va se structurer. Les quelques hérésies, comme l’explosion du prix du Lafite, vont s’égaliser. Les Chinois comprennent que le marché du vin n’est pas si simple que ça, il s’inscrit sur le long terme, prend du temps. Parallèlement, la consommation va aller en augmentant. La Chine est donc un horizon très prometteur, surtout pour Bordeaux qui y est arrivé en pionnier.
De votre côté, quelle est votre implication en Asie ?
Depuis août 2011, je suis le consultant de Great Wall, le premier groupe chinois. Mon intervention se situe à deux niveaux : les aider à améliorer la qualité de leur vin, et contribuer à former leurs équipes. Je ne vais pas vous mentir, pour l’instant je n’ai pas vu de grand terroir en Chine, mais je suis sûr que l’on peut y produire du bon vin. Je me suis aussi lancé en Inde : le marché se développe très lentement, mais c’est le challenge qui m’a plu, le côté « hors piste ». Alors je ne dis pas que nous avons fait du grand vin, mais on a fait du bon vin.
Après la Chine et l’Inde, quels seront les prochains défis de Michel Rolland ?
Vu mon âge, je ne crois plus trop aux défis. Mais je m’intéresse à tout. Je crois beaucoup à la Mer Noire. Je conseille déjà des propriétés dans cette région (Turquie, Bulgarie, Arménie), et je crois qu’il y a là-bas un très fort potentiel, beaucoup de choses vont s’y développer… Puis, si je dois avoir un défi, ce sont mes sept collaborateurs : pour le moment, ils n’ont pas le « sourcing » sur leur nom, donc ils se « sourcent » sur le nom de Michel Rolland. Je ne voudrais pas que la source se tarisse d’un coup, donc je vais continuer pour eux.
Propos recueillis par Mathieu Doumenge
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