Dimanche 22 Décembre 2024
(photos E. Perrin)
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Date
28.02.2020
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Parrain de la dernière édition du Tour des Cartes, Patrick Bruel s’est prêté au jeu de l’interview dans le dernier numéro de Terre de Vins. Amateur de longue date, le chanteur-acteur s’est récemment investi dans la production de vin dans le Vaucluse. Entretien.
De tournées en tournages, Patrick Bruel mène sa carrière tambour battant. Mais il a un refuge, tout près de l’Isle-sur-la-Sorgue, dans le Vaucluse : une vaste maison de famille, le domaine de Léos, posée au pied de terrasses calcaires plantées d’oliviers donnant l’huile H, multi-récompensée. Cet été, l’artiste a démarré les plantations pour réaliser son grand rêve : faire du vin.
Quels sont les vins que vous aimez ?
Je n’ai aucune région préférée. Je suis très épicurien. Je pense que les vins doivent toujours être accompagnés par des plats, des rencontres, des gens, des situations, des moments de vie. Il y a une échelle de valeurs, de qualités. Un grand maître de chai, un jour à Bordeaux, m’avait dit : « Un grand vin est un vin que tu aimes. » Je viens de boire une cuvée spéciale d’un côte-de-nuits très intéressant. Le pinot noir s’adaptait-il à ce qu’on a mangé à midi ? Probablement pas, mais c’était un moment de convivialité. Hier soir, avant le concert, j’ai bu un très bon vin avec Claude Sérillon et Drucker : Puech-Haut. C’était très bon, charpenté. Il avait les cépages de notre région, syrah, grenache, carignan.
Vous buvez avant les concerts ?
Pas toujours. Il y a toujours du vin, mais je n’en bois pas toujours. On a tous pensé, un moment, que bordeaux était salutaire avant de chanter, jusqu’au jour où, après avoir fait un duo avec Roberto Alagna, j’ai dit : « Bordeaux est bon pour la voix. » Il a dit : « Bordeaux n’est pas bon pour la voix, comme l’alcool n’est pas bon pour la voix. » Hier soir, je chantais aux arènes de Nîmes. Avec Puech-Haut et les sublimes arènes, la voix est sortie magnifique, j’aurais pu chanter en ténor…
Quelle est votre relation au vin ? À quand remonte la révélation ?
Il y a très longtemps. Cela remonte au moment où ma mère s’est remariée avec un homme dans les Deux-Sèvres. Le grand-père adoptif m’a porté une grande affection. Il m’a initié aux cartes, aux échecs, au bridge, au cheval, au ski, et un jour, dans un déjeuner de famille, il y avait cette bouteille de vin qui circulait de manière religieuse. « Je peux en avoir ? » ai-je demandé. « Ça ne va pas ? » m’a-t-on répondu. Lui m’a servi un verre. J’étais en train de boire un château-lafite 1929. C’est le premier vin que j’aie bu de ma vie. J’avais 12 ans, ça a été quelque chose ! Plus tard, je ne suis pas passé par la case « alcools forts » de l’adolescence. Assez vite, j’ai commencé à apprécier le bon vin avec des repas. Progressivement, comme ça, un jour le déclic a commencé à se faire. Souvent, le vendredi, on allait chez Michael Goldman avec de quoi manger. Lui, il s’occupait du vin. Il avait 6 000 bouteilles ! On a fait des verticales, des horizontales… Un jour, il a fait une verticale de 1916 à 1979 sur des pomerols ! Ça commençait par château Gazin, château de Sales, on est passés par Petrus… C’était des moments formidables.
Des rencontres vous ont-elles marqué ?
Il y a la rencontre avec Philippe Faure-Brac (Meilleur Sommelier du monde), rencontre très importante. On a créé un club, le 12/20. Tous les trois mois, on faisait un dîner organisé par l’un des six couples avec une dégustation à l’aveugle dirigée par Faure-Brac. C’était un excellent exercice. On a vécu des moments de folie totale, ce moment où vous êtes touché par la grâce, vous faites un « strike » ! Heureusement que Philippe Faure-Brac est là pour en témoigner. Il y a des choses incroyables qui se sont passées dans ces moments à l’aveugle. J’ai aussi été invité dans les châteaux…
Vous avez été plusieurs fois intronisé…
La Jurade de Saint-Émilion, pour ses 800 ans, était un grand moment ! On avait tout suivi : les trois jours, les déjeuners, les dîners… Un soir, j’avais dit à Vincent Lindon : « On peut pas laisser tous ces cadavres… » Alors, en quittant le dîner, on a emporté des bouteilles entamées. C’était merveilleux ! Il y avait Ausone, Cheval Blanc, Petrus… Ça s’est fini à 6 ou 7 heures du mat’. Le réveil était moins fabuleux. Il fallait mettre la cravate et aller à la procession. Et quand ils m’ont appelé, j’étais très flatté, très touché.
J’ai également été intronisé à Giscours. C’est un plaisir d’être invité à ces cérémonies, elles sont toujours formidables. Le départ du Beaujolais nouveau est aussi sympathique. C’est le plaisir de découvrir des vins. En réalité, je suis très curieux. Les vins du monde m’intéressent également. J’ai fait la route des vins à Cape Town, j’ai fait la Napa Valley… La Californie est un extraordinaire réservoir de vins. Il faut arrêter le cliché qui veut que le vin américain ne soit pas bon. Quand ils s’y mettent vraiment, ils font de bons vins. J’ai beaucoup d’intérêt également pour les vins espagnols, mais, ma grande lacune, c’est l’Italie : je n’ai pas de repères.
Et votre propriété en vallée du Rhône, alors ? Quel est le projet ?
Ici, la première vigne que l’on voit, c’est de la syrah. Lilian Bérillon nous a fourni les plants. Ensuite, il y a du grenache de l’autre côté, et du cabernet. On vient de planter, il y a moins de trois mois. On va peut-être planter une petite parcelle de blanc, cela serait génial de mettre un peu de viognier par ici. Bref, on a planté 4,5 ha au total. L’huile me procure beaucoup de satisfaction : dès la première année, on a eu la médaille de l’Afidol, en seconde et troisième année idem, puis de l’or au Concours général agricole. Elle a quelque chose, cette huile, elle est à base d’aglandau. Et la récolte 2019 est meilleure encore. Mais le vin, c’est un temps long. Mes enfants, j’espère, l’apprécieront.
Comment se compose ce terroir à L’Isle-sur-la-Sorgue, où vous avez investi ?
On va continuer à aller de surprise en surprise avec ce terroir. Des gens très compétents comme Stéphane Derenoncourt sont venus apporter des études très précises. Au départ, on a mis entre parenthèses le vin et on est partis sur l’huile. L’huile, c’était possible, les arbres étaient là. Le vin, non. Pour le vin, on a de grands voisins : Trévallon, Hauvette, où s’inspirer de la Grange des Pères. À Châteauneuf et ses 13 cépages, il y a Stéphane Ogier, à Saint-Joseph, Étienne Montez, ils poussent l’ordre établi, c’est formidable. On est dans cette envie d’excellence. Après, cela va dépendre, comme d’habitude, du travail.
Le projet, c’était le vin ou c’était la maison ?
La maison… mais je me suis toujours dit : « Un jour, dans ma vie, je ferai du vin. » J’ai cette maison depuis 2007, j’ai la place, il y a le terroir, il y a ce qu’il faut, et j’aime profondément la syrah. À l’époque, on voulait une maison en Provence. Ici, on est aux portes du Lubéron, on voit les Alpilles. On cherchait une maison qui nous plaise. Amanda a eu un coup de cœur. On a également eu un coup de cœur pour les propriétaires, qui sont des gens incroyables. Aujourd’hui, avec Joël, l’ancien propriétaire, on s’occupe de l’huile d’olive et avec Carole de la plantation !
Et on a eu cet été une récompense Épicures pour notre huile. On est très pointilleux sur les points de vente. Robuchon, Ducasse, la Grande Épicerie, le Phébus, etc. Guy Savoy a été le premier à goûter l’huile, je n’aurais jamais lancé quelque chose sans le lui faire tester, il a dit : « C’est prodigieux. » On est en association avec Alain Ducasse pour produire un chocolat avec 26% d’huile d’olive, c’est une innovation, on a travaillé très dur, c’est une grande fierté. Il est tellement bon… On n’est pas attachés aux rendements. Je pourrais faire ça pour faire une opération financière, mais ça ne l’est pas. On essaie de s’auto-financer. Sur le domaine de 22 hectares, 4,5 sont plantés en vignes, 17 en oliveraie. On va faire 23 000 bouteilles, peut-être. C’est trop pour le filer à ses copains et pas assez pour le commercialiser…
Ça veut dire que vous voulez développer la superficie ?
On va installer une marque, ce n’est pas mon nom qui compte. Le vin de quelqu’un de connu, c’est très compliqué ; Carole Bouquet fait un vin exceptionnel, ce n’est pas le cas de tout le monde. On doit anticiper les problèmes : si, dans trois ans, le vin est très bon, on va devoir replanter. Le vin, c’est aussi pour mes deux enfants, Oscar et Léon. J’ai adoré leur réaction aux vignes, aux olives… le rapport à la terre, à la nature. L’arrivée des abeilles a été l’un des plus beaux jours de ma vie : on m’a offert 14 ruches pour le 14 mai, mon anniversaire. Les abeilles sont très actives, vont dans nos champs de lavande… Il faut expliquer au monde entier que cet insecte est en danger d’extinction. L’abeille est tout un symbole.
Le vin est donc vraiment une passion…
Le vin est un miracle. Ce que c’est, ce que ça représente, sa couleur, sa beauté…
La cave de Patrick Bruel, elle est comment ? Bordeaux, Bourgogne et vallée du Rhône ?
Oui, 95% de vins français, 30% de bordeaux, 30% de bourgogne, puis le rhône est arrivé plus tard et a pris beaucoup de place. La vraie question, c’est que je n’aurai pas le temps de les boire toutes. Mes caisses de Romanée-Conti, il faut que je les ouvre… Mais il faut les ouvrir avec ceux qui les comprennent. Il faut que je sois plus léger avec ça, il faut que je désacralise… En vins de Bordeaux, il y a tout, rive droite, rive gauche. Chaque rive a ses plaisirs, je ne suis pas sectaire. Il y a aussi des coups de cœur. Le Domaine de Chevalier, en blanc, reste très très haut, sans offenser le Haut-Brion qui est aussi très haut. Le premier vin blanc que j’aie bu et aimé était un Domaine de Chevalier 1973. Il y a une géographie exceptionnelle, la forêt les protège. On a passé ce moment avec eux, c’était merveilleux. Mais une grande occasion, c’est aussi un match de foot avec deux copains avec un peu de comté. Pour les 20 ans du Bistro du Sommelier, Philippe Faure-Brac a sorti les 20 plus grands vins de l’histoire. Il a tout sorti, c’était fou. Il est venu voir ici au début de l’été, il était content du projet, fier. C’est un gars formidable.
Propos recueillis par Sylvie Tonnaire et Rodolphe Wartel, photographies Emmanuel Perrin.
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