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[BORDEAUX] Brigitte Bloch : « faire entrer le vin dans la ville »

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

14.03.2021

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Quel cap pour le vin avec la nouvelle majorité élue autour de Pierre Hurmic à Bordeaux en 2020 ? Pour répondre à cette question, nous avons interrogé Brigitte Bloch, en charge notamment du tourisme et de l’économie du vin au sein du conseil municipal.

Conseillère municipale en charge du tourisme et de l’économie du vin, Présidente de l’Office de Tourisme et des Congrès, Vice-présidente de Bordeaux Métropole en charge du tourisme, des événements et équipements métropolitains, Brigitte Bloch est, entre autres casquettes, la « Madame Vin » de la nouvelle majorité élue à la mairie de Bordeaux en 2020 autour du candidat écologiste Pierre Hurmic. Travaillant depuis près de vingt ans dans le développement touristique régional, elle est également Directrice Développement et Innovation au sein du Comité régional du tourisme d’Aquitaine et Vice-Présidente du Conseil supérieur de l’Œnotourisme et du pôle Œnotourisme de Atout France – et, à ce titre, fait partie des membres du jury des Trophées de l’Œnotourisme. Cet éventail de responsabilités lui permet de porter un regard transversal sur les enjeux touristiques (et œnotouristiques) de la région bordelaise, et sur la place du vin dans une ville qui a « viré au vert » avec son nouveau maire.

Brigitte Bloch, comme beaucoup de grandes villes et régions françaises, Bordeaux a a vu son activité touristique fortement touchée par la Covid-19. Quel diagnostic portez-vous sur la situation, et quelles solutions sont proposées par la mairie et la métropole ?
S’il fallait donner un seul chiffre : en 2020, l’Office de Tourisme a enregistré une baisse de fréquentation de l’ordre de 73%, avec 172 000 visiteurs contre 642 000 en 2019. C’est l’ensemble du tissu touristique qui a été frappé, dont notamment le secteur CHR (Café-Hôtellerie-Restauration) : pour donner un autre indicateur, nous avons enregistré 3,74 millions de nuitées en 2020, soit 41% de moins qu’en 2019. Pour soutenir la filière, Bordeaux Métropole et la Mairie de Bordeaux ont présenté un vaste plan d’aide au tourisme : création d’un fonds d’aide aux loyers, fonds d’aide à la trésorerie, fonds d’aide digital, mise en place d’un différé de reversement de la taxe de séjour, gratuité des terrasses élargies, suspension des loyers pendant la fermeture des restaurants hébergés par la ville, subvention d’aide et de relance à l’Office de Tourisme de 1,4 million d’euros, mise en place des opérations « Bordeaux nous réunit » pour les voyages d’affaires, « Bordeaux nous envoie balader » pour soutenir les visites guidées, et dès la réouverture des restaurants, l’opération « Restez dormir à Bordeaux, nos hôtels vous font les prix doux » à destination des Néo-Aquitains, en attendant une série d’optimisations en 2021, notamment une rallonge de 500 000 euros au plan de relance.

Qu’en est-il du tourisme au départ de Bordeaux et à destination du vignoble ?
Là aussi, le bilan est sans appel : alors que l’Office de Tourisme avait enregistré 470 excursions « clés en main » au départ de Bordeaux dans le vignoble, il y en a eu 38 en 2020. Sur un panel de 40 châteaux interrogés, on a mesuré une baisse de 70% du nombre de visiteurs. Il faut toutefois souligner qu’il y a eu des performances tout à fait encourageantes pendant la période estivale, avec des paniers moyens supérieurs à la moyenne.

Ce n’est pas un secret, la filière vin a elle aussi été durement touchée par la crise. Comment caractériseriez-vous la relation entre la nouvelle équipe municipale et le monde du vin ?
Une nouvelle équipe est en place, le maire Pierre Hurmic a ses convictions, notamment environnementales. En face, les acteurs de la filière ont leurs habitudes, leurs traditions. Ce que je ressens, c’est que pour l’instant on ne sait pas vraiment comment s’épauler. Le monde du vin n’a certes pas besoin de la mairie pour tourner, en revanche il attend un soutien d’un ordre symbolique. J’essaie d’œuvrer en ce sens. Nous avons prévu de faire avec le maire plusieurs visites dans des propriétés viticoles – qu’elles soient en bio ou en transition – afin de créer des contacts concrets. Lorsqu’il a reçu le Premier ministre en février, le maire l’a interrogé sur ce que le gouvernement comptait faire en soutien de la filière face aux taxes américaines. Mais la question environnementale reste centrale, et Pierre Hurmic a beaucoup échangé avec le CIVB sur l’impératif de sortir des produits CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques), la nécessité de clarifier le label HVE qui peut créer de la confusion chez le consommateur, l’importance d’accompagner les vignerons dans une transition bio… Il y a aujourd’hui une grande attente en ce sens, qui n’est pas partisane mais sociétale – il suffit de voir qu’une chaîne publique diffuse un téléfilm sur la question des pesticides dans la viticulture – et qui dépasse largement le seul cadre du vin.

De façon concrète, quelles actions entendez-vous mettre en place en faveur du vin ?
Mon souhait est de vraiment « faire entrer le vin dans la ville » : de la même façon qu’il y a des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, je voudrais qu’il y ait un « chemin du vin » dans la ville de Bordeaux intra-muros, un parcours permanent, patrimonial et vivant, qui associe des commerces, des cavistes, des bars à vins, des événements culturels, proposant des arrêts emblématiques pour les visiteurs. Nous réfléchissons encore à la matérialisation et à la signalétique, à la façon dont on rendra ce parcours accessible (carte, appli…) et nous envisageons d’étendre ce parcours à toute la métropole en utilisant le tramway ou le vélo. Le vin, c’est ce qui fait la notoriété mondiale de Bordeaux, mon souhait est que l’on puisse vraiment le vivre dans la ville. Nous espérons inaugurer ce parcours pour la saison 2022.

Quelle place occupera la Cité du Vin dans ce parcours, et quelle place occupe-t-elle dans les projets de la municipalité ?
La Cité du Vin sera bien sûr pleinement incluse dans ce parcours (nous réfléchissons notamment à une appli commune qui pourrait être aussi utilisée par les visiteurs de la Cité dans le cadre du parcours permanent). Un très bon travail a été fait pour le rayonnement de la Cité auprès des touristes internationaux, j’aimerais maintenant que les Bordelais se l’approprient davantage dans leur quotidien. Par exemple par une meilleure utilisation du jardin de la Cité pour y faire des animations culturelles, mais aussi par des tarifs préférentiels pour les résidents. Il y a beaucoup de choses à imaginer pour rapprocher la Cité de la ville et en faire un véritable lieu de vie. Il est clair que la Cité du Vin a souffert elle aussi de la pandémie, et a dû revoir son modèle économique en fonction d’une affluence réduite. Comme elle est très bien gérée, sa situation n’est pas, à ce stade, préoccupante, malgré les difficultés rencontrées ces derniers mois. Beaucoup de réflexions ont été engagées de leur côté pour rebondir suite à la situation sanitaire et pour établir un plan sur six ans, qui trace la ligne des évolutions et investissements à venir. De notre côté, la Cité du Vin ayant vocation à être pleinement un équipement métropolitain, et dans la mesure où la ville de Bordeaux est propriétaire du bâtiment, nous souhaitons assurer notre par de co-financement de façon partagée entre la ville et la métropole. À titre personnel, j’ai très à cœur de tendre des passerelles entre les élus et les équipes de la Cité, qui est un point majeur de l’attractivité de la métropole.

Un mot sur Bordeaux Wine Trip, la marque œnotourisme de l’interprofession des Vins de Bordeaux reprise par Gironde Tourisme ?
Je pense qu’il était bon de s’éloigner du concept de « route des vins », qui est finalement peu adapté à la configuration du vignoble bordelais – ou plutôt des vignobles, avec leurs paysages et leurs identités diverses. Communiquer ensemble sous une seul bannière, c’est une bonne idée, mais il faut du temps pour que tout le monde – professionnels comme visiteurs – se l’approprie. La clé, c’est de rendre l’offre simple et lisible : 80% des visiteurs en vacances dans le vignoble ne sont pas des connaisseurs.

Pour vous et pour l’équipe dont vous faites partie, quelle est la place de Bordeaux et son vignoble en tant que « capitale du vin » ?
Il y a eu d’énormes progrès ces dernières années, mais il reste encore beaucoup à faire : pour faciliter les réservations, rendre l’offre accessible, rendre les réservations plus fluides. Il faut que les visiteurs de passage en région bordelaise puissent plus facilement s’orienter vers les châteaux qui reçoivent. On a labellisé « Vignobles et Découvertes » 700 domaines en Gironde, c’est très bien, mais ça n’aide pas le client à choisir. Il faut structurer, catégoriser l’offre, optimiser les outils de savoir-faire, et s’adapter davantage aux attentes des clients. Cela étant dit, Bordeaux a quand même de solides arguments, qu’il s’agisse de l’Office de Tourisme, Bordeaux Wine Trip, la Cité du Vin, la contribution à Visit French Wine, et bien sûr Bordeaux Fête le Vin…

Justement, quid de l’édition 2021 de Bordeaux Fête le Vin, compte tenu du contexte sanitaire ?
Nous travaillons vraiment au plus près du CIVB sur ce sujet. Il est évident que la manifestation ne pourra pas se tenir sous sa forme habituelle sur les quais. Il est également évident qu’elle ne pourra pas se tenir, comme cela a été un temps envisagé, de façon répartie sur trois ou quatre sites. On réfléchit aujourd’hui à une formule « éclatée » sur toute la métropole, avec des dégustations sur réservations dans des endroits originaux, secrets, insolites, couplées à des animations, des spectacles, et potentiellement des espaces type « École du Vin » également sur réservation, avec une circulation très balisée. Si les restaurants sont rouverts, nous voulons les associer pleinement, ainsi que les bars à vins, les cavistes, pour que cela irrigue tout le territoire. À ce jour, rien n’est annulé ni acté, nous sommes en discussion avec la préfecture, nous gardons aussi un œil sur le budget car cela s’annonce beaucoup plus coûteux – tout en attendant une affluence moindre – mais c’est l’orientation vers laquelle nous nous dirigeons, si nous pouvons tenir l’événement aux dates prévues, du 17 au 20 juin.