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Armand Heitz : « Le vin sans alcool est un produit sans racines »

Armand Heitz dans ses vignes avec un agneau dans les bras

©Jib PETER

Auteur

Lucie
de Azcarate

Date

15.01.2025

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Armand Heitz, qui a repris le domaine familial en 2013 à Chassagne-Montrachet, produit du vin et entretient son lien avec la nature en diversifiant ses activités. Aujourd’hui à la tête d’un domaine de 250 ha, dont une ferme en polyculture-élevage, il cultive des céréales utilisées pour produire de la farine et de la bière, élève des vaches et des moutons, possède des ruches et met en place un potager en permaculture. Bien qu’occupé par cet écosystème foisonnant, il prend régulièrement la parole sur LinkedIn et a accepté d’échanger avec nous sur les sujets brûlants de ce début d’année : le vin sans alcool et le dry january.

Dans une récente tribune, publiée sur LinkedIn, vous fustigez le vin sans alcool, pourquoi ?

Il me semble que ce procédé n’est pas cohérent dans la mesure où il contrevient aux règles naturelles. Le vin est un produit ancien, naturel. La fermentation aboutit à une stabilité que l’homme essaie de préserver le plus longtemps possible. Aujourd’hui, on s’interroge sur la désalcoolisation, notamment pour venir en aide à la viticulture touchée par la déconsommation. Or, cet argument ne me paraît pas valable. À mon sens, il vaut mieux rééduquer le consommateur plutôt que de condamner systématiquement la consommation d’alcool. Comme on ne fait pas l’effort de s’attaquer à l’origine du problème, de le traiter à la racine, on se tourne vers une solution artificielle.

À ce propos, vous faites un parallèle entre vin sans alcool et transhumanisme…

J’ai évoqué ce concept fort à dessein, afin d’interpeller les consciences. Avec le transhumanisme, l’homme rompt avec sa nature, assisté, entouré de machines et éloigné de la réalité. C’est le même principe pour la désalcoolisation qui déconnecte le vin de la nature…

Et de son terroir ?

C’est évident. Quand vous faites subir à un produit une telle transformation, on ne peut plus le lier à son terroir. Avec mon domaine, je défends au contraire le terroir sans filtre. L’homme est complètement perdu en ce moment et le seul lien qui peut le ramener à quelque chose de concret, c’est le lien avec la terre, avec une entité géographique. Si vous voulez du sans alcool, prenez de l’eau, des jus de fruits, des kombuchas ou des thés fermentés qui ont plus de cohérence.

Vous reprochez également au vin sans alcool son coût écologique ?

Je remarque que le vin est un produit très stable : il contient assez d’alcool pour se stabiliser et ne requiert donc pas de conditions d’hygiène aussi poussées que pour la bière – que je produis également. Lorsqu’on produit du vin, il est donc possible de réduire au minimum les interventions. Pourtant, avec le sans alcool, on nous vend une solution interventionniste et une machinerie énergivore et je ne peux m’empêcher de m’interroger : a-t-on la marge écologique pour supporter tout ça ? Je ne pense pas.

Qu’évoque pour vous l’engouement pour le dry january ?

Déjà, je m’interroge sur l’importance de cette mode. Ce qui est sûr en revanche, c’est que cette tendance est entretenue par les médias qui créent l’illusion d’une « hygiène de vie » alors que nous sommes sédentaires, que nous mangeons trop gras, trop salé et trop sucré. Mais je n’ai pas entendu qu’il y ait un mois sans sucre ou sans sel. Par ailleurs, je remarque que nous sommes encore influencés par une tendance anglo-saxonne. Dans notre culture, nous avons aussi nos périodes d’abstinence, notamment pendant le carême. Les moines, qui pourtant introduisirent la viticulture en Bourgogne, l’observaient. Ainsi, dès l’origine, la tempérance accompagne la consommation de vin.

Quelles seraient vos recommandations pour une consommation responsable ?

Il faut être bien dans sa tête pour avoir une consommation raisonnée d’alcool. Beaucoup de personnes ont des vies qui manquent de sens. Si vous buvez pour vous retourner la tête, il est fort à parier que cela aura un impact négatif sur votre santé. Si, en revanche, vous êtes attentifs à vos sensations, à chaque fois que vous boirez du vin, vous aurez une expérience différente, en lien avec la nature. Le vin permet d’être en connexion avec le vivant, c’est pourquoi je défends une boisson aux effets légèrement euphorisants plutôt qu’on se reporte vers une consommation d’antidépresseurs. Si en éliminant l’alcool de nos vies nous tombons dans ce travers, je préfère mettre en garde : l’hygiénisme fait fausse route.