Accueil Actualités Bernard Magrez, “Le Dernier Pape” à nu

Bernard Magrez, “Le Dernier Pape” à nu

homme de dos

Capture d'écran issue du documentaire "Le Dernier Pape" diffusé à partir du 15 mars sur Prime Video

Auteur

Frédérique
Hermine

Date

13.03.2025

Partager

Le Dernier Pape, documentaire sans complaisance ni concession, nous raconte en 76 mn le parcours d'un des hommes d'affaires les plus puissants du monde du vin, Bernard Magrez, qui n'a eu pour ambition qu'une revanche sur la vie à travers la réussite de son entreprise devenu empire envers et contre tous. Terre de Vins l'a visionné en avant-première.

« On me pose des questions, j'y réponds même si ça ne m'arrange pas. Je ne vois pas pourquoi à mon âge je cacherai la vérité ». Bernard Magrez, bientôt 89 ans, a toujours été cash. C'est sans doute la raison pour laquelle les réalisateurs Stéphane Reynaud, Alexandre Donot et Alexandre Westphal l'ont choisi pour ce documentaire produit par Eric Nebot d'Hill Valley et qui sera diffusé à partir du 15 avril de chaque côté de l'Atlantique sur Prime Video (groupe Amazon). « Et parce que les Américains aiment bien les histoires de gens qui ont réussi en rencontrant beaucoup de difficultés ». C'est d'ailleurs le moins que l'on puisse dire du départ dans la vie de ce fils de maçon, maltraité par un père brutal qui prenait plaisir à l'humilier. Comme lorsqu'à la suite de notes médiocres, il l'oblige à aller à l'école, avec accroché dans le dos, une pancarte d'auto-désignation « Je suis un fainéant ». Il n'aura alors de cesse de prouver le contraire avec hargne et détermination. « Je n'ai hérité de rien dans la vie » aime à rappeler l'homme d'affaires. « Mes poches étaient vides quand mon père m'a mis dehors à 13 ans et collé dans un internat à Luchon dans les Pyrénées pour passer un CAP de scieur de bois. Je ne veux pas jouer les Cosette mais c'était rude et ça forge le caractère. Là-bas, j'étais avec un certain François Pinault qui avait le même âge que moi, ne parlait pas beaucoup. On s'entendait bien et on est parti à 16 ans trouver du boulot ».

« Mon père gère son entreprise en autocrate »

Le biopic pourrait presque ressembler à un conte de fées si ce n'est que la vie n'est pas toujours en noir et blanc. Ce documentaire poignant n'est pas qu'une belle histoire car si Bernard Magrez affiche un parcours enviable de brillant homme d'affaires du vin, à la tête d'un empire d'une quarantaine de domaines viticoles dont quatre grands crus classés, il semble avoir laissé quelques blessés sur le bord du chemin. A commencer par ses propres enfants qui travaillent "bon gré Magrez" avec leur père mais avec qui il n'entretient que des relations professionnelles. Et d'ailleurs aucun ne l'appelle papa, parfois Bernard pour Philippe et « je ne l'appelle pas » pour sa fille Cécile qui frappe fort. Elle l'accuse de ne penser qu'à son travail, de n'avoir aucune empathie et de n'aimer que le conflit. « Mon père gère son entreprise en autocrate, aime avoir tous les jours des problèmes et les régler, accapare ses collaborateurs même le week-end. Nous n'avons jamais pris de vacances tous les quatre avec ma mère Marie-Line ». 

«  Il n'y a aucune traitrise; c'est le reflet de ce que j'ai dit  »

Le producteur Eric Nebot l'avait invité à regarder le film en avant-première, seul dans une salle fin 2024. Quand nous l'avons l'interrogé quelques temps plus tard sur son sentiment après le visionnage, Bernard Magrez, sans ciller, assume ses propos et se déclare nullement étonné des réactions qu'il suscite, y compris de la part de ces enfants. « Ils ont exprimé ce qu'ils ressentaient. Ils ont un peu mon tempérament, ils parlent vrai, même s'ils n'ont pas eu à se battre comme moi dans la vie et s'ils ont eu la chance de faire de belles études. Je reconnais que ce n'est pas facile de travailler avec moi, je peux être un peu brutal, mais ils auraient pu aller travailler ailleurs. Pour ce qui est du film, il n'y a aucune traitrise; c'est le reflet de ce que j'ai dit ». Il n'avait d'ailleurs pas demandé à le voir avant sa sortie et le reportage a été financé en toute indépendance par le département Production de Hill Valley, agence spécialisée dans le placement de produit basée entre Paris, New York et Los Angeles. Ce qui lui importe le plus, au fond, c'est de s'être vengé de son père, simplement en ayant une piètre opinion de lui. « Il pensait que je ne réussirais jamais, c'est ça ma revanche. Ce qui m'a donné l'idée d'un vin avec sur la bouteille 'Si mon père savait' ».

Dans le train de la GD

Au fil des images, Bernard Magrez aime rappeler les principales étapes de son parcours car il a depuis longtemps compris l'intérêt du story-telling : ses débuts chez Cordier, la chance de rencontrer à 21 ans, un directeur du Crédit Commercial de Bordeaux qui l'a aidé à reprendre une petite entreprise d'importation de porto en barriques. Et puis il monte dans le train de la Grande Distribution qui démarre tout juste au début des années 60 en saisissant une opportunité. « A 23 ans, le libre-service était déjà bien installé aux Etats-Unis et une société leader de caisses enregistreuses a invité quelques personnes intéressées à aller là-bas. Dans l'avion, j'ai rencontré Marcel Fournier [co-fondateur de Carrefour], Jean Cam [fondateur de Rallye], et Gérard Mulliez [fondateur de Auchan]. On s'est lié d'amitié avec Fournier, il m'appelait dès qu'il ouvrait un magasin pour prendre mon porto et ça a démarré comme ça. Après j'ai lancé Malesan et le whisky William Peel qui m'ont bien réussi ». Bernard Magrez raconte aussi son admiration pour le milliardaire rouge, Jean-Baptiste Doumeng, « son pragmatisme mercantile et sa personnalité hors du commun. A son enterrement, j'ai même fait un malaise », avoue l'homme d'affaires bordelais. « Il m'a appris beaucoup sur la découverte de l'humain » (sic). L'autodidacte bordelais est d'ailleurs passionné par toutes les biographies des hommes d'affaires qui ont réussi. Il n'a de cesse d'entretenir une posture de « gagnant intraitable comme un toréador pour dominer le risque » et avoir enfin sa revanche par la réussite.

Bernard Magrez ©DR

Des mécénats multiples

Malgré son dévouement indéfectible à son entreprise et son acharnement à toujours la voir grandir, il se montre très détaché sur l'après Magrez et ne semble pas particulièrement préoccupé par l'avenir de ses châteaux, y compris le fleuron du groupe, Château Pape Clément. « Je tiens même plus à La Tour Carnet qui est un vrai combat avec 800 000 bouteilles vendues dans le monde entier, seulement 200 000 à Pape Clément, » nous confie-t-il. « La bataille du vin aujourd'hui est mondiale et le consommateur cherche toujours plus d'innovations et des émotions différentes comme dans la mode. C'est la force des grands groupes comme ceux de François Pinault, Bernard Arnault ou des Ricard d'y répondre ». L'homme qui aurait voulu être un artiste semble plus attaché au Stradivarius qu'il a acquis il y a plus de 10 ans pour le confier à de jeunes musiciens et les aider à se faire connaître. En matière de mécénat, on apprend aussi dans le documentaire qu'outre les différentes start-up qu'il soutient, il participe à l'achat de matériel pour la lutte contre le cancer, soutient l'institution des Apprentis d'Auteuil et finance un orphelinat en Thaïlande... M. Magrez dit avoir mis ses affaires en ordre mais n'a aucun souhait particulier pour la pérennité de l'entreprise. « Bien sûr, beaucoup de marques perdurent après la disparition de leur créateur. Certaines peuvent même traverser le temps avec une communication efficace et sans erreur de stratégie. Mais quand je serai dans la caisse en bois, je ne serai plus là pour le voir et mes enfants feront ce qu'ils voudront avec ce gros paquebot ».