Vendredi 22 Novembre 2024
Auteur
Date
16.05.2024
Partager
Hier soir, Terre de Vins et La Grande Cave conviaient les amateurs au Palais de la Bourse de Bordeaux pour la 3e édition de cet événement incontournable. Une quarantaine de domaines des deux rives bordelaises attendaient les 600 participants pour leur faire découvrir en avant-première leur millésime 2023, alors que pendant ce temps, dans les étages, se déroulait une master class d’excellence dédiée au 3e grand cru classé de Margaux château Palmer. Prise d’ambiance d’une soirée sous le signe de la dégustation, de la pédagogie et du prestige.
Il y a quelques semaines, partout dans le vignoble bordelais, les professionnels du vin découvraient le millésime 2023. En ce mercredi soir, c’était au tour des amateurs présents de se prêter au captivant mais parfois épineux exercice de la projection, pour tenter d’imaginer ce que deviendrait le millésime 2023 après son élevage, à l’heure de sa commercialisation dans plus d’un an. Pour les aider, ils pouvaient compter sur les précieux commentaires des propriétaires ou des représentants des propriétés fidèles au rendez-vous, mais aussi sur la présentation simultanée d’un autre millésime prêt à être commercialisé, donnant un bon aperçu du style de chaque nectar dans quelques années.
Propriétés et amateurs conquis
« Je ne pensais pas que les particuliers pouvaient être si sensibles et intéressés pour goûter les primeurs, qui sont parfois compliqués à appréhender, mais je suis ravie de voir le dynamisme et l’attrait que cet événement suscite auprès d’eux », se réjouissait Isabelle Davin, œnologue des châteaux Léoville-Poyferré, Moulin Riche et Le Crock. De l’autre côté de l’allée et sur l’autre rive, même son de cloche pour la directrice générale du saint-émilionnais grand cru classé Jean Faure, qui participait pour la première fois à la manifestation. « Après avoir vu des professionnels, nous voulions rencontrer en direct les consommateurs », expliquait-elle. Et la soirée fut à la hauteur de ses attentes, avec « des dégustateurs curieux et intéressés, dont de nombreux jeunes, qui trouvent génial de pouvoir goûter en primeurs. »
Au rang des amateurs enthousiastes justement, François Mesure participait pour la première fois à cet événement « avec l’envie de découvrir ce millésime et de discuter avec les vignerons. » Et après quelques dégustations médocaines, parmi lesquelles les châteaux Phélan-Ségur et Sociando-Mallet, il saluait « un 2023 déjà très harmonieux, qui donne du plaisir à la dégustation malgré sa précocité. » A quelques pas de là, Jean-Claude Boussières et son complice Jean-Jacques prédisaient eux aussi « un beau 2023 en devenir, avec l’appui notamment des millésimes livrables qui aident à voir l’évolution possible. »
L’excellence de Palmer en master class
Autre temps fort de cette soirée, un moment suspendu autour de cinq vins de l’icône margalaise en biodynamie château Palmer, coanimé par Sylvie Tonnaire (directeur de la rédaction, Terre de Vins) et Mathieu Doumenge (grand reporter, Terre de Vins), aux côtés de deux invités de marque : Thomas Duroux, directeur général de château Palmer depuis vingt ans, et Fabrice Sommier, Meilleur Ouvrier de France en Sommellerie et président de l’Union de la Sommellerie Française.
Pour se mettre en jambes (et en papilles), un petit coup d’œil dans le rétroviseur sur le 3e grand cru classé. Son histoire débute probablement au milieu du XVIIe siècle, à l’heure du début de développement de la plupart des vignobles actuels. Palmer s’appelle alors domaine de Gasq et ses vins sont déjà largement reconnus, jusqu’à la cour de Louis XV au XVIIIe siècle. Le domaine doit son nom actuel à un major général de l’armée de Wellington, prénommé Charles Palmer. Cet Anglais débarque à Bordeaux, où il acquiert une belle propriété à Cenon, laissant en héritage son nom au parc Palmer et au Rocher de Palmer. C’est lors d’un voyage à Paris en diligence que son chemin croise celui d’une belle et jeune veuve, prénommée Madame de Gasq. Propriétaire d’un magnifique domaine malheureusement en situation économique fort difficile, elle part signer son acte de vente à Paris. Par le miracle des longs trajets de jadis et de négociations restées dans l’intimité de cette diligence, Charles Palmer est le nouveau propriétaire du vignoble à l’arrivée à Paris. Devenant très connu à la cour de Londres, Palmer connaît sa première grande heure de gloire. Au début des années 1850, le domaine est acquis par les deux frères Pereire, fondateurs d’Arcachon, qui investissent amplement, faisant notamment édifier le légendaire château figurant encore sur les étiquettes actuelles. Vendue aux enchères après la première guerre mondiale, la propriété sera rachetée conjointement par quatre familles de négociants, dont les Sichel et les Mälher-Besse, les 4e et 5e générations familiales étant toujours aux manettes.
Côté terroir, Palmer compte 100 hectares, dont 66 de vignes, ainsi que des prairies et forêts, capitales pour l’écosystème général. Le terroir est constitué de graves de dix-huit types différents, catégorisables en deux types majeurs : des graves légères avec une forte proportion de sables, les plus connues de l’appellation Margaux, à l’origine de vins fins et délicats, mais aussi des graves plus spécifiques à Palmer avec une proportion d’argiles plus importante. Relativement âgé, « le vignoble se situe autour de 45 ans de moyenne d’âge et présente un encépagement assez unique pour son appellation, avec une proportion quasi-égale de cabernet sauvignon (47%) et de vieux merlots (47%) plantés sur de grands terroirs, agrémentés d’un soupçon de petit verdot (6%). Un équilibre qui donne leur personnalité à nos vins », précise Thomas Duroux.
Dans les grands crus bordelais, il est de tradition de produire deux vins : le grand vin et le second vin, fréquemment conçu avec les lots non-utilisés pour le premier vin, qu’il s’agisse de jeunes vignes ou n’ayant pas le niveau requis pour l’intégrer. Ainsi confectionné jusqu’en 1997, La Réserve du Général, rebaptisé Alter Ego, sera doté à partir de 2005-2006 de son identité propre, notamment suite à une étude approfondie des terroirs pour mieux en comprendre la constitution. Dans cet exercice comparatif sur cet emblème bordelais qu’est le 2019, « outre les différences aromatiques, une importante différence de textures est perceptible entre les deux vins, représentant deux expressions d'un même lieu », constate le directeur. Alter Ego 2019 dévoile ainsi « un grain de très grande précision, comme de la soie », et « château Palmer une texture toujours fine mais plus dense, délicate mais plus enrobante, comme un noble velours. »
Conquis par Alter Ego 2019, Fabrice Sommier apprécie « sa franchise, sa fraîcheur, son côté très net et enrobant, sa finesse, sans aucune austérité, avec une belle richesse et une jolie gourmandise. Très agréable, ce vin juteux déploie une longueur et une intensité sur le cassis, très fruits rouges. » A savourer « avec une belle entrecôte épaisse, bien grillée accompagnée d’une béarnaise et de frites maison. » Quant à lui, « avec ses notes de fruits, de réglisse et sa pointe de menthol en final, château Palmer 2019 amène fraîcheur, longueur et belle tension. Déjà de grande buvabilité, il est digeste, gourmand, friand, mais aussi doté de puissance et de tension lui assurant un beau potentiel de garde. » A savourer par exemple avec des « ris de veau laqué et fruit secs, un foie de veau, ou une locale lamproie au vin rouge. »
Avec ses dix ans d’âge, ce millésime revêt une double importance pour Thomas Duroux, célébrant la première décennie du directeur au sein du domaine, mais aussi en tant que premier millésime intégralement conduit en biodynamie. Dès la fin des années 2000, cette pratique culturale a éveillé la curiosité de Thomas Duroux et de la directrice technique Sabrina Pernet. « On entendait beaucoup parler de biodynamie sans bien comprendre de quoi il s’agissait, et ça nous semblait souvent un peu perché », confie le directeur, qui avoue néanmoins « avoir eu l’occasion de goûter plusieurs fois des vins très intéressants. » D’abord « par curiosité, nous avons donc mené un essai comparatif en 2008-2009 sur une petite parcelle de merlot découpée en deux » avec l’appui du spécialiste en la matière Matthieu Bouchet. Le résultat ? « Intéressant, avec des rendements similaires à ceux du vignoble conduit de façon classique, et un vin produit pas plus mauvais que vin produit traditionnellement ». Étendu en 2011 à des cabernets sauvignons, l’expérimentation révèle « de nouvelles sensations, avec l’impression que le lien entre le vin et la parcelle est plus lisible, et des détails comme révélés. » 2012 marque une nouvelle étape, avec « le déploiement d’une vision holistique du domaine, en le regardant dans son ensemble comme un organisme vivant dont tous les organes doivent être en harmonie, ce qui a révolutionné notre approche », pour sortir deux ans plus tard le premier château Palmer 100 % issu de raisins conduits en biodynamie.
Dithyrambique Fabrice Sommier considère ce Palmer 2014 comme « une bouteille d'anthologie. C’est vraiment la patte des grands vinificateurs de faire un grand vin dans un millésime compliqué, rappelle-t-il. Ce vin a pris son temps d'attendre que la bouteille soit prête. Il raconte une histoire, a une sublime longueur, il est étiré, avec un savant équilibre entre bois et texture du vin, une finale dense et de belle complexité avec un amer tendre, très agréable. C’est un vin qui donne vraie leçon d'humilité ! » A déguster par exemple « avec une volaille rôtie, une côte de veau, ou du chocolat. »
Fait atypique, ce millésime 2014, déjà commercialisé en primeur en 2015, sera remis à la vente auprès des négociants en septembre prochain, dix ans après sa récolte. Une idée originale initiée à Palmer en 2010 en suivant la doctrine de la grande figure de l’œnologie Emile Peynaud, « qui préconisait d’attendre toujours au moins dix ans avant d’ouvrir un grand vin de Bordeaux. » Depuis, le domaine commercialise la moitié de sa production en primeur et conserve l’autre à la propriété, dans des conditions de garde parfaite, pour ne la proposer que le dernier jeudi de septembre.
Né d’une climatologie exceptionnelle, avec un arrêt de croissance précoce de la vigne favorable à la qualité à la mi-juillet, ce 2009 est « le genre de millésime qui se fait tout seul, sourit Thomas Duroux. C’est aussi un millésime très important pour moi, le premier où j'ai commencé à comprendre le détail des particularités de Palmer. » A la clé, selon Fabrice Sommier, « un bel ambassadeur de son millésime, franc, net, solaire, que l’on pourrait même supposer géographiquement originaire d’ailleurs à l'aveugle, tant il est gourmand, avec sa bouche de fruits confits, fruits rouges, poivre, sa pointe finale de truffe et sa longueur sur le côté croquant. Un vin à carafer, puis à déguster avec « des plats de soleil, comme des aubergines ou des poivron confits, ou encore un tartare de veau. »
Proposé en vin de France, cette cuvée est née d’une rencontre insolite de Thomas Duroux en Californie en 2005. Celle avec « l’un des plus grands collectionneurs qu’il m’ait été donné de rencontrer dans ma carrière », possédant une cave éblouissante de quelque 50 000 flacons rares et précieux. Au fil de l’entrevue, agrémentée de la dégustation de vieux millésimes de château Palmer, ce collectionneur raconte au jeune directeur qu’il a déjà eu dans sa cave une bouteille hors du commun, sur laquelle était mentionné « Château Lafitte hermitagé ». Courante au XIXe siècle, la pratique d’ « hermitager les vins », consistait à utiliser un peu de syrah de la mythique appellation des Côtes du Rhône L’Hermitage, « à l’équilibre proche des grands vins de Bordeaux, avec des tanins très fins, des alcools jamais exagérés et des belles acidités », pour modifier l’assemblage final des plus grands vins de Bordeaux. De retour en terres bordelaises, Thomas Duroux soumet l’idée à son conseil d’administration, qui donne son feu vert. A partir de 2006 donc, quand les millésimes fonctionnent à l’unisson dans les deux vignobles, le cru classé de Margaux produit 4000 à 5000 bouteilles de ce vin à base de 90 % de Palmer et 10 % de syrah pouvant provenir, selon les traits du millésime bordelais, des appellations cornas, l’hermitage, saint-joseph ou côte-rôtie. « Laissé à la libre inspiration des équipes, sélectionnant ce qui semble le plus représentatif du millésime », cette cuvée est un ovni, intégrant sur 2020 45 % de petit verdot, 45 % de cabernet sauvignon et 10 % de syrah.
Pour Fabrice Sommier, qui avait déjà eu l’occasion de goûter ce type de vins, « cette cuvée est un bel hommage à la tradition, qui amène le côté ‘’velvet’’, avec une bouche sur la rose, des notes de tabac, une belle dimension. A la fois gourmand, puissant, riche, d’une grande densité, avec des tanins pas du tout austères, très rond en finale et avec un fruit déroutant, ce vin peut se suffire à lui-même, mais se prêtera aussi volontiers à un accord tout en simplicité avec un jambon serrano ou jabugo. »
Château Palmer, côté actualités
Dans le thème de la soirée, la première actualité du cru classé de Margaux, ce sont bien sûr les primeurs, avec « un drôle de millésime 2023, au printemps compliqué et au début d’été peu propice au fameux arrêt de croissance favorable à la qualité », expose Thomas Duroux. Fort heureusement, « deux petits miracles de chaleur survinrent fin août et début septembre, avec des vendanges débutées le 11 septembre pour quasiment un mois. » A la clé, « des vins très différents de ce à quoi on s’attendait début août, de très grande harmonie, subtilité et profondeur, qui nous plaisent beaucoup ! »
Autre actualité, des travaux en cours sur le domaine depuis deux ans et demi, « pour réorganiser notre propre petit village, afin de le mettre au service de cette vision holistique. » Sur cette véritable ferme margalaise, est pratiquée la viticulture, mais aussi le maraîchage, l’arboriculture et l’élevage. « Depuis longtemps experts dans le raisin, nous voulons essayer de le devenir également sur nos productions de la ferme, et de valoriser ces produits à travers deux lieux dont l’ouverture est prévue bientôt », annonce le directeur. Ainsi, une cantine vigneronne proposera non seulement les repas quotidiens aux 70 employés, mais sera également ouverte aux gens de passage et aux locaux souhaitant savourer « un menu ouvrier à la Palmer ». De façon complémentaire, dans le château, une table célébrant la très grande gastronomie locale et française, tenue par le chef Jean-Denis Le Bras (passé par La Grande Maison à Bordeaux et ayant officié durant vingt ans chez Pierre Gagnaire), fera partie de l’expérience proposée aux grands amateurs du monde entier en visite à Palmer.
Photos ©A. Viller
Articles liés