Vendredi 25 Avril 2025
©Thierry Gaudillère / UPECB
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Date
25.04.2025
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En 2025, l’appellation crémant de Bourgogne célèbre ses 50 ans et saisit l’occasion de cet anniversaire pour revenir aux origines de la bulle bourguignonne à travers trois siècles d’histoires. Aujourd’hui, avec la sortie du livre « Bulles, l’histoire singulière du crémant de Bourgogne » écrit par l’historien Thomas Labbé, l’Union des Producteurs et Elaborateurs de Crémant de Bourgogne (UPECB) exhume avec fierté un passé trop longtemps oublié.
A quoi sert l’histoire ? Pour Pierre du Couëdic, délégué général de l’UPECB : à rétablir l’appellation crémant de Bourgogne dans ses droits. La déformation professionnelle oblige certainement le docteur en droit rural. Depuis trop longtemps, les producteurs de Crémant de Bourgogne demandent à l’INAO la révision du décret d’appellation afin de pouvoir revendiquer des lieux-dits sur les étiquettes de certaines cuvées. En vain. Dans cet entretien, il nous explique pourquoi cette requête lui semble légitime au regard de l’histoire.
Parce que l’histoire des crémants de Bourgogne ne commence pas en 1975 avec l’AOC Crémant de Bourgogne. L’effervescence en Bourgogne a beaucoup plus de 50 ans, elle est même multiséculaire puisqu’elle remonte au XVIIIème siècle. La mémoire collective l’a occulté en faisant de la Bourgogne une région traditionnelle des grands vins tranquilles, en blanc comme en rouge, et en laissant la légitimité historique de la bulle à la Champagne. D’ailleurs la littérature historique, s’est focalisée sur le champagne si bien que les autres vins effervescents, souvent anciens, comme la blanquette de Limoux ou les autres crémants, ne bénéficient pas de cette image d’authenticité indissociable de la maîtrise du passé.
En 2015, nous avons sorti un premier livre : Crémant de Bourgogne, deux siècles d’effervescence chez Dunod. Même s’il y avait une partie historique, il était assez généraliste et revenait sur le produit et son élaboration. Néanmoins, nous nous sommes aperçus que nous connaissions mal l’histoire de l’effervescence en Bourgogne et que celle-ci était beaucoup plus riche qu’il n’y paraissait. En 2022, nous avons donc mandaté deux docteurs en histoire de l’université de Bourgogne : Thomas Labbé et Guillaume Grillon, co-fondateurs du cabinet d’études historiques PArHis (Patrimoine-Archive-Histoire), pour travailler spécifiquement sur l’histoire des effervescents en Bourgogne. Leur mémoire d’une soixantaine de pages a confirmé notre intuition tout en étendant notre champ d’expertise. Grâce à ce premier travail, nous savions que revenir sur l’histoire des vins effervescents en Bourgogne ne serait pas vain et changerait la perception que nous avons du crémant de Bourgogne. Nous leur avons donc confié ce projet afin de rétablir ce passé qui nous échappait. En effet, la mémoire collective a occulté ce que représentaient autrefois les vins effervescents de Bourgogne. Loin d’être anecdotique, cette production était intégrée aux autres vinifications de la région et à la méthode parcellaire. Si bien qu’on trouvait des Clos de Vougeot ou des Gevrey-Chambertin effervescents…
Il y a une rupture nette dans la chronologie des effervescents de Bourgogne. Au XVIIIème siècle ces vins commencent à devenir populaires à mesure qu’on maîtrise mieux l’effervescence, notamment en Angleterre dès la décennie 1720 comme en attestent une pièce de théâtre irlandaise et un opéra anglais qui mentionnent les « sparkling burgundies ». Ces vins sont exportés dans le monde entier. Thomas Labbé a eu accès à des livres de comptes du XIXème et du début de XXème siècles qui révèlent que, non seulement les effervescents de Bourgogne étaient expédiés jusqu’en Chine, mais qu’en plus ils étaient très bien valorisés. Evidemment, les Bourguignons pouvaient rencontrer des difficultés. Notamment parce que leurs effervescents, essentiellement élaborés à partir de pinot noir, étaient plus fruités, ce qui leur était parfois reproché. Toutefois, le véritable déclin des effervescents de Bourgogne date du décret-loi de 1935 qui institue la doctrine de l’INAOQ (ancêtre de l’INAO). Du jour au lendemain, un vigneron qui produisait du Gevrey-Chambertin rouge, blanc et effervescent ne pouvait plus faire que du Gevrey-Chambertin tranquille rouge prévu lors de la création de l’appellation le 11 septembre 1936. Les appellations d’origine contrôlée entraînent une spécialisation des régions viticoles. La Bourgogne devient, ce qui est encore le cas aujourd’hui dans l’imaginaire collectif, une région de grands vins blancs et rouges. Après-guerre, dans les années 1950 et 1960, on désignait les effervescents de Bourgogne en des termes peu élogieux comme « mousseux », ou en argot « roteux ». Finalement, on a oublié ce qui s’est passé aux XVIIIème, XIXème et au début du XXème siècle pour ne voir la Bourgogne viticole qu’à travers les vins tranquilles. Ainsi, en 1975 la bulle de Bourgogne prend un nouveau départ sous l’appellation « crémant de Bourgogne ». Il y a 50 ans, il y a eu une volonté forte de la filière de renforcer l’exigence de production des vins à fines bulles d’où la naissance des AOC Crémant d’Alsace, de Loire et de Bourgogne en quelques années. Aujourd’hui, les distributeurs commencent à prendre conscience des exigences de ces cahiers des charges. Petit à petit les bulles de Bourgogne, mais pas seulement, les crémants des autres régions sont aussi concernés, regagnent leurs lettres de noblesses.
Avec cet ouvrage, nous avons non seulement apporté une légitimité historique aux crémants de Bourgogne, qui trouvent leurs origines dans une histoire séculaire, mais aussi contribué l’histoire viticole de toute la Bourgogne. Avec le prisme des bulles, on s’aperçoit que cette histoire est beaucoup moins monolithique qu’on veut le croire. Ainsi, beaucoup de préjugés ne résistent pas à la lecture de ce livre.
La prééminence du champagne a associé l’effervescence à l’assemblage, tandis qu’en Bourgogne l’effervescence concerne également les vins de terroirs. Les étiquettes qu’on découvre dans le livre en témoignent…
Pour se défaire d’autres idées préconçues, une lecture de « Bulles » s’impose…
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