Samedi 21 Décembre 2024
Auteur
Date
14.09.2020
Partager
Depuis sa séparation de l’Union auboise, la coopérative Chassenay d’Arce a dû mener tout un travail pour redéployer ses ventes et gagner le pari de l’autonomie : digitalisation, nouvelle identité de la marque, renforcement de l’œnotourisme…
On parle parfois de la Champagne viticole comme d’un archipel. Il est vrai que lorsqu’on se rend dans l’Aube depuis Reims, on compte plus d’une centaine de kilomètres sans apercevoir un cep de vigne. Mais ne nous y trompons pas, si ce terroir a dû batailler pour intégrer l’appellation, comme souvent dans les marges, le sentiment d’appartenance, l’identité, et le dynamisme s’en sont trouvés renforcés et y sont peut-être même plus vivaces qu’au cœur du vignoble marnais. Ici, rien n’était gagné d’avance. Même après la reconnaissance de 1927, pendant longtemps le négoce n’est venu acheter dans l’Aube qu’en année de pénurie. Il a donc fallu faire preuve de créativité pour survivre. C’est ainsi qu’est née la coopérative Chassenay d’Arce en 1956 suivie de la marque de champagne en 1964. Aujourd’hui, elle regroupe 130 vignerons, répartis essentiellement sur la vallée de l’Arce.
Avec ses 315 hectares, Chassenay d’Arce est la coopérative champenoise qui jouit du plus vaste domaine. Ce qui explique sans doute sa décision de quitter en 2018 l’Union auboise (union de coopératives) pour vivre sa propre destinée : la nécessité de réaliser des économies d’échelle y était moins impérative. D’autant qu’elle dispose aussi depuis 2005 d’un outil industriel de pointe avec une cuverie d’une capacité spectaculaire de 40.000 hectolitres construite sous le contrôle étroit du chef de caves, Brice Bécard : « Nous avons conçu le bâtiment de telle sorte que le vin circule uniquement grâce à la gravité naturelle entre le pressoir et les cuves de débourbage pour éviter le pompage. L’action mécanique de la pompe provoque en effet des échauffements et des frottements qui peuvent triturer certaines particules dans le vin, et donner des arômes végétaux asséchants ».
Malgré son départ de l’Union, la coopérative n’a pas connu de changement identitaire dans ses vins. Il arrive en effet dans ce type d’organisation qu’on procède à des échanges de vins ce qui permet à une coopérative locale d’utiliser d’autres terroirs complémentaires. Mais Chassenay d’Arce travaillait déjà exclusivement avec les vins de son propre vignoble. Il faut dire que le terroir est remarquable. « Nous sommes ici sur une roche kimméridgienne et un sol à tendance argilo-calcaire un peu marné. Dans d’autres régions de la Côte des Bar, cela peut donner des vins larges avec beaucoup de matière si on les compare notamment aux sols crayeux de la Côte des blancs, mais ici, grâce à l’étroitesse de la vallée, l’altitude, et une exposition Sud-Est et non plein Sud, le climat permet de compenser et apporte un style plus fin, plus tendu et plus élégant ».
Gagner en agilité
Pour la coopérative, l’émancipation de l’Union doit permettre de gagner en agilité par rapport aux grosses structures souvent plus lentes à manœuvrer. Chassenay d’Arce cultive ainsi l’ambition d’être « la plus grande des petites maisons » et a développé une politique commerciale audacieuse. Celle-ci met l’accent sur la digitalisation à travers la création d’un nouveau site internet et le renforcement de sa présence sur les réseaux sociaux qui doit rajeunir sa clientèle. Parfois, cela passe par des détails : sur Waze, Chassenay d’Arce est l’une des rares marques de champagne à s’afficher lorsqu’on passe en voiture à proximité : « On a plein de touristes anglais qui transitent par ici, ils sortent à Magnant, ils prennent quelques cartons avant de redescendre vers les Alpes, vous cliquez sur le logo qui tourne, vous avez les horaires d’ouverture qui s’affichent » explique Manuel Henon, le nouveau directeur général.
Une réflexion sur la logistique a aussi été menée. Chassenay d’Arce, distribué sur le circuit traditionnel (grossistes, cavistes, CHR), a cherché à donner la possibilité à ses clients professionnels de réaliser des achats panachés, grâce à la société Lutèce Wine lancée avec deux autres maisons de vins en début d’année : « on a une quinzaine de partenaires, sur tous les secteurs viticoles français, et nos clients cavistes ont la possibilité à partir de 36 bouteilles de faire du panachage, prendre trois bouteilles de Bordeaux, trois bouteilles de champagne… Jusqu’à aujourd’hui, vous étiez une brasserie parisienne, vous vouliez commander, c’était dix cartons ». Avec l’incertitude de la crise sanitaire où les commerçants ne veulent pas se charger de gros volumes qu’ils ne sont par certains de vendre, le système est rassurant. Sur Paris, la présence d’un stock déporté permet une livraison rapide grâce à laquelle les commerçants peuvent fonctionner à flux tendus. Les commandes des professionnels peuvent être passées via une plateforme digitale, qui s’est avérée salutaire pendant le confinement.
Enfin, sous le pilotage d’Elise Dinquel, la coopérative a affiné l’identité de la marque avec un nouvel habillage : « L’idée était de mettre en avant l’essence même de la maison, montrer son caractère de ‘maison de vigneron’, qu’on a pu retranscrire à travers ce logo qu’on a appelé ‘le lien’, on a voulu qu’il soit à la fois concentrique pour exprimer la solidarité qui unit les hommes de la maison, et excentrique pour traduire notre ouverture. Il symbolise aussi tout ce qui est cycle : cycle de la vigne, cycle des générations. Sur l’étiquette, le nom ‘Chassenay d’Arce’ se cachait un peu, là il s’assume avec une écriture plus carrée… On a voulu enfin être davantage concret sur notre situation sur la Côte des Bars, une région de Champagne qui doit se faire connaître comme un terroir aussi légitime que la vallée de la Marne, la Côte des Blancs… »
Dans toutes ces décisions, Manuel Henon peut compter sur un conseil d’administration très impliqué : « plus de 50% a moins de 35 ans avec une autre formation que leurs parents, autour de la table on a par exemple une responsable des achats chez Petit bateau avec un cursus international. On a de plus en plus de doubles actifs, et c’est une vraie richesse. En tant que Directeur général vous êtes challengé mais c’est stimulant » L’implication des vignerons ne s’arrête pas là. Alors qu’ailleurs, on redistribue souvent une partie des bouteilles aux adhérents qui les commercialisent sous leurs marques, Chassenay d’Arce exclut cette possibilité, ce qui permet d’avoir des vignerons ambassadeurs à 100%. La coopérative leur confie ainsi les visites : « Quand c’est vos vignes, quand c’est vous qui les travaillez, il y a une authenticité. Le client a envie de parler avec un vrai viticulteur ». Les résultats sont là : au cours des huit premiers mois de l’année 2020, malgré la Covid, les performances de l’année dernière ont été dépassées !
Articles liés