Lundi 3 Mars 2025
D.R. Champagne Gonet-Sulcova
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03.03.2025
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Lorsque Davy Sulcova, jeune hôtesse de l’air tchèque, prend le train en 1966 depuis Prague pour aller visiter une tante à Rouen, elle ignore encore que ce voyage va changer sa vie et donner naissance à l’une des marques les plus originales de la Champagne…
Pour qui connaît la Champagne, il y a quelques dynasties incontournables sur la Côte des blancs : les Gimonnet, les Peters, les Bonville, les Legras… Au gré des successions, elles ont souvent donné naissance à plusieurs marques. L’un des cas les plus emblématiques est celui de la famille Gonet. Au XVIIIe siècle, ces agriculteurs installés à Baye sont d’abord tournés vers la plaine, la céréaliculture et l’élevage. Les vignes qu’ils possèdent ne servent qu’à abreuver les manouvriers. Mais à la fin du XIXe siècle, pendant la crise phylloxérique, pour soutenir des amis vignerons en difficulté, Charles Gonet leur prête de l’argent et certains préfèreront le rembourser en parcelles de vignes. Son mariage aussi avec Marie-Louise Gardien lui apporte aussi quelques vignes supplémentaires, si bien qu’il possède désormais au Mesnil-sur-Oger près de 17 hectares et que sa production devient conséquente. En 1908, Charles Gonet décide donc de lancer sa marque de champagne Gonet Père & Fils.
Montgueux à l’époque des pionniers
En 1959, alors que son fils Jacques Gonet passe aux abords de Montgueux, dans l’Aube, il découvre, stupéfait, que le village est planté en vignes. Il s’en est fallu de peu en effet, quelques années plus tôt, pour que le cru ne connaisse le même sort que son voisin Bouilly, écarté de l’appellation, parce qu’aucun agriculteur ne l’avait revendiqué, jugeant la viticulture trop peu rentable. À Montgueux, au contraire, la famille Beaugrand, la dernière à maintenir la tradition viticole, avait alors sauvé in extremis le cru. Jacques Gonet pressent tout de suite le potentiel de cette butte de craie que l'on surnommera plus tard le Montrachet de la Champagne. Il contacte la famille Poron, des industriels de Troyes qui possédaient la marque de textile Petit Bateau et qui avaient là un domaine viticole dont ils ne savaient que faire, n’étant ni vigneron, ni négociant. Les Gonet récupèrent alors la ferme et les vignes et étendent les plantations.
Jacques Gonet a lui-même cinq enfants : Michel qui créera la marque « Michel Gonet », Marie-Laure qui épouse le courtier Guy Heidsieck, Philippe Gonet qui fonde aussi un domaine auquel deux de ses enfants resteront associés tandis qu’un troisième créera Gonet-Médeville, François Gonet qui créera la marque « François Gonet » et dont la fille Anne, suite à son mariage, lancera « Gimonnet-Gonet » et enfin Vincent Gonet, à l’origine de la marque Gonet-Sulcova.
Les vendanges de l’amour
Cette dernière histoire, peu académique, débute dans les années 1960, par une véritable romance. Karla Gonet raconte : « Ma mère avait pris un train depuis la Tchécoslovaquie pour se rendre à Rouen où elle voulait faire la connaissance d’une tante Tchèque déjà expatriée. Dans le compartiment, elle a fait la connaissance d’une jeune fille slovaque qui voulait faire les vendanges en Champagne mais qui ne parlait pas Français. Or ma mère, qui était hôtesse de l’air, maîtrisait cinq langues. Elle a donc décidé de s’arrêter en Champagne pour aider la jeune fille et en profiter pour gagner elle aussi un peu d’argent de poche, ce qui devait lui permettre de financer le reste de son voyage. Elle est tombée sur Jacques Gonet. Le vigneron a envoyé les deux ravissantes demoiselles cueillir le raisin à Montgueux. Et comme ma mère ne manquait pas de charme, elle a été prise en photo dans les vignes pour servir d’égérie à la marque dans une campagne publicitaire. Mon père Vincent évidemment s'est épris de ma mère, qui, la vendange achevée, est repartie à Prague. Mon père lui a écrit et ils ont décidé de se marier. » Sauf qu’entre temps, le Printemps de Prague éclate, puis en France la révolution de Mai 1968. Tous les trains sont à l’arrêt. Il part donc en 2CV pour un voyage de 13 heures. Et le mariage a lieu le 29 juin à la Cathédrale Saint-Pierre Saint-Paul, juste avant que le rideau de fer ne s’abatte sur le pays, avec l’arrivée des chars russes le 21 août.
Gonet-Sulcova, une marque à part
Davy Sulcova s’installe donc avec Vincent sur la Côte des blancs. C’est pour elle une vraie acculturation, n’étant pas du tout issue du milieu viticole. Son père était en effet champion national de motocross et arrondissait ses fins de mois en roulant dans les fameuses boules de la mort. Au départ, ils restent sur l'exploitation de Jacques Gonet. En 1972, les deux tourtereaux fondent cependant leur propre domaine, qui deviendra en 1985 Gonet-Sulcova lorsqu’ils déménagent à Epernay où ils s’installent dans les anciens locaux de la Maison Pierlot, juste à côté du Comité Champagne. Ces caves magnifiques, longues d’un kilomètre deux, s’étendent sur deux étages et sont creusées à même la craie. On y pénètre par un étonnant portail hindou du XVe siècle provenant d’un temple du Rajasthan, racheté à un ancien officier britannique de l’armée coloniale, ce qui donne un petit côté Indiana Jones.
Un style ciselé
Côté vins, Vincent épaulé par ses deux enfants, ne tarde pas à trouver son propre style. Les habillages sont dessinés par Davy elle-même. Son coup de crayon est remarquable et rappelle les étiquettes Art Nouveau créées par Mucha pour le champagne au début du XXe siècle. Evidemment, le chardonnay est à l’honneur : des différents partages, Vincent a en effet hérité de 3,20 hectares au Mesnil, et de 80 ares à Oger, tandis qu’à Montgueux, les vignes s’étendent sur 12 hectares. Et si on trouve quelques larmes de pinot noir, fort utiles pour le rosé, elles viennent de Loches-sur-Ource où il a acheté 5,25 hectares.
Les vins sont ciselés, peu dosés. Son Montgueux Brut (2019, 29,50€) surprend par son caractère assez atypique. Sur ce terroir solaire, le chardonnay offre d’habitude un profil plutôt charnu et généreux, mais le choix de bloquer les fermentations malolactiques, et de vendanger assez tôt, lui donne beaucoup de fraîcheur et de croquant, même si on reconnaît bien les notes exotiques propres à ce terroir. En le laissant se réchauffer, on verra aussi poindre quelques notes de fleur d’acacia et d’épices.
Le Millésime Grand Cru Brut 2015 (39€) issu du Mesnil-sur-Oger et d’Oger, offre un profil encore plus ciselé, davantage sur les agrumes avec une belle trame crayeuse. Il est vrai qu’on est sur les plus beaux terroirs du Mesnil, les Chétillons, les Hautes Mottes, les Champrins, et que la partie sur Oger se situe juste à la frontière du Mesnil et n’a pas les sols épais que l’on trouve habituellement à Oger, mais une craie aussi affleurante qu’au Mesnil. 2015, marqué par un printemps sec et un été caniculaire, a pu donner des champagnes parfois trop lourds, mais la minéralité et la tension propres au terroir du Mesnil qui peut parfois friser l’austérité, viennent justement ramener un équilibre.
Arrive enfin la cuvée Gaïa, un 100 % Mesnil-sur-Oger, principalement issu du terroir des Chétillons, et vinifié en fût. Le millésime 2011 (56€), marqué par de fortes pluies, n’avait rien d’évident. Et pourtant, ce champagne ne manque pas de charme. Yan-Alexandre Gonet explique : « L’avantage de la vinification sous bois lorsque les vins sont un peu dilués, c’est qu’elle permet une évaporation partielle de l’eau et de regagner ainsi de la concentration ». Le choix des tonneaux est particulièrement original, puisqu’une partie sont en chêne américain. « Cela amène des goûts très différents de coco et de mangue, davantage aussi de sucrosité ce qui nous permet de réduire les dosages. Par contre, comme c’est assez marqué, cela ne représente qu’un dixième de nos fûts. » Le résultat, c’est un vin avec une très jolie touche de vanille, des notes florales d’aubépine et une superbe finale sur des amers zestés. On notera enfin qu’une partie du vieillissement sur lie s’est déroulé sous l’eau ! « En 2024, il a tellement plu que les caves ont été inondées pendant 10 mois. Nul besoin donc d’emmener les bouteilles à Ouessan. L’apport peut être intéressant, car l’eau de la nappe phréatique est à douze degrés, et sa température est très constante à la différence de celle de la cave qui oscille entre 9 et 15 degrés selon la saison. » Sur quatorze ans de vieillissement sur lie, l’impact n’a pas dû être si grand, mais cela reste une piste de travail intéressante…
Boutique en ligne : https://www.champagne-gonet-sulcova.fr/fr/champagnes/
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