Jeudi 21 Novembre 2024
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07.11.2017
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Cultivant une identité résolument singulière en Champagne, la maison Henri Giraud peaufine à pas de loup sa science des terroirs et son expertise de l’élevage en fûts. Pour signer des vins prisés dans le monde entier, qui ont les pieds bien ancrés dans le sol pour mieux viser les étoiles.
A l’heure où certains misent sur le marketing du luxe ou le packaging tapageur, ils cultivent un style minimaliste ; à l’heure où le vignoble champenois est scruté de près sur ses positions en faveur du développement durable, ils sortent leurs premières bouteilles garanties « zéro résidu de pesticide » ; à l’heure où d’autres focalisent leurs efforts sur le dosage ou l’assemblage, eux parient sur l’expression des terroirs et la science complexe de l’élevage. C’est incontestable, Claude Giraud et ses équipes cultivent une identité à part dans le paysage champenois. Claude, douzième génération de la famille Giraud-Hémart dont les racines champenoises remontent au moins au 17ème siècle, a réussi avec l’aide de son gendre Sébastien Le Golvet (chef de cave depuis le milieu des années 2000), à installer les champagnes Henri Giraud comme une référence auprès des collectionneurs et amateurs du monde entier, notamment au Japon et aux États-Unis.
De quel bois je me chauffe
La signature de la maison Henri Giraud est, au-delà de la vinification et de l’élevage des vins en fûts (« nous nous sommes juste remis à travailler une matière artisanale qui existait en Champagne jusque dans les années 1960 », souligne Sébastien Le Golvet), la recherche scrupuleuse de la meilleure adéquation entre les terroirs d’Aÿ – où la maison possède 10 hectares de vignes en propre et s’approvisionne sur une quinzaine d’hectares supplémentaires auprès de partenaires exclusifs – et les terroirs de la forêt d’Argonne, matrice ancestrale des grands chênes champenois située à 70 kilomètres à l’Est.
Tout en s’engageant dans une connaissance chirurgicale des terroirs de son vignoble, l’équipe s’est ainsi consacrée, depuis une quinzaine d’années, à des expérimentations très poussées sur les différents terroirs de chênes d’Argonne afin de trouver les meilleures concordances entre vin et bois. « Argonne signifie ‘terre humide’ en vieux français », explique Sébastien Le Golvet. « La forêt se distingue par son sol de gaize, très réfractaire, sur lequel les chênes poussent lentement : ils en tirent une maille très serrée, qui servit jadis à faire des navires de guerre notamment sur l’impulsion de Colbert, mais qui apportent à l’élevage des vins une précision incroyable ». Impliquée auprès de l’ONF dans la préservation et la connaissance de la forêt d’Argonne, la maison Henri Giraud a fait de la traçabilité de ses bois un véritable credo. Chaque année, un mois avant la vendange, Sébastien Le Golvet entame un contrôle drastique des maturités ; lorsqu’il commence à bien sentir le profil du millésime, il commande alors ses bois en conséquence et conduit lui-même les chauffes avec les tonneliers. Chaque fût (il en fait entrer une centaine par an et en « sort » environ 80, qui seront réutilisés pour fabriquer des accessoires maison ou encore revendus à des maisons de whisky) est adapté, selon sa provenance et sa chauffe, à un jus particulier, où le vin de champagne va patiemment développer son profil très aromatique, intense, plein, charnu. C’est la signature Henri Giraud : des vins avant tout, qui sont sublimés par la bulle – ici, l’effervescence tout en douceur fait office de soutien, de support « pixelisé » à la matière première.
Argonne with the Wind
Pour autant, les équipes n’en négligent pas de faire des essais de vinification dans d’autres contenants, notamment des ogives en terre cuite ou en grès. Mais c’est vraiment le fût d’Argonne qui est le fil conducteur de la maison. L’illustration probante en est bien entendu la cuvée millésimée Argonne. Après le succès du 2004, Argonne 2008 a fait récemment son apparition sur le marché. « Nous approchons enfin l’excellence », s’enthousiasme Sébastien Le Golvet. Ce mariage entre quatre terroirs de bois et huit parcelles de vignes, 90% pinot noir 10% chardonnay, élevé un an en fût puis attendu huit ans en bouteille, est un champagne de gastronomie produit à seulement 4000 unités (prix indicatif 330 €). Une robe d’un doré profond tirant sur le bronze, un nez intense de fruit rouge, de cerise mûre, évoluant sur les agrumes confits, le coing, l’ananas, des touches réglissées. Une matière dense et charnue, des notes de curry et d’épices orientales, une incroyable longueur et beaucoup de finesse derrière le côté opulent, voilà le profil de cet Argonne 2008 que déjà les amateurs s’arrachent. Même le coffret, en carton recyclable inventé par le designer japonais Shigeru Ban, est d’une irrésistible originalité.
Toute la gamme Henri Giraud est à l’avenant. Du plus accessible, la cuvée Esprit Nature (bouquet de fruits rouges et blancs, 80% pinot noir, 20% chardonnay ; 50% de vin de réserve ; vinifié à 20% en fût neuf ; dosé à 7g ; 30 € environ), au plus complexe, la cuvée MV10 (un « petit Argonne » 70% base de millésime 2010 ; 70% pinot, 30% chardonnay ; vinifié intégralement en fût ; 110 € environ), en passant par les frères opposés que sont Blanc de Craie, un 100% chardonnay incroyablement frais et digeste, et Code Noir, un 100% pinot noir d’une élégance folle. Sans oublier le rare et impressionnant MV Rosé (MV pour « Multi Vintage »), couleur corail et ambre, nez de griotte et jus de viande, des touches de noisette, un rosé grandiose à servir sur un carpaccio de bœuf ou un tartare le plus épuré possible.
De la terre à l’assiette
Même lorsqu’ils sont si équilibrés et « buvables » (terme en vigueur) qu’on pourrait les savourer sans soif, les champagnes Giraud sont avant tout des vins de gastronomie. Ce n’est pas pour rien que la maison a signé récemment un partenariat avec l’éleveur-boucher Alexandre Polmard, qui élève des Blondes d’Aquitaine dans son Domaine de Saint Mihiel et a ouvert une boutique de luxe dans le 6ème arrondissement de Paris. C’est là d’ailleurs que la maison Giraud a choisi d’organiser son événement « When Champagne Meets Meat » le 23 novembre prochain. C’est un fait, les champagnes Giraud sont davantage taillés pour un jambon de Reims, un foie gras mi-cuit, une joue de bœuf lentement braisée ou un lièvre à la royale que pour le plateau d’huîtres du dimanche midi.
Terroir, gastronomie et… environnement, les champagnes Henri Giraud sont sur tous les fronts. La maison, engagée dans une viticulture durable (pas de désherbants, ni d’insecticides, certification HVE, élaboration d’une cuvée bio en projet), a ainsi annoncé que dès le 1er janvier 2018 sortiront les premières bouteilles affichant le résultat de l’analyse moléculaire du vin (portant sur 217 molécules) avec la mention « ZÉRO RÉSIDU DE PESTICIDE ». Cette initiative démarrera avec la cuvée Esprit Nature et s’étendra ensuite à l’ensemble de la gamme Henri Giraud. Avoir les pieds bien ancrés dans la terre pour mieux viser les étoiles, voilà un beau résumé de la philosophie maison.
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