Lundi 21 Avril 2025
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21.04.2025
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Une certification bio du domaine, de nouveaux habillages plus écoresponsables, un nouveau millésime très paradoxal dans son expression lorsqu’on connaît l’historique de la campagne viticole, les actualités chez Henriot ne manquent pas en ce printemps, aussi sommes-nous allés interviewer Alice Tétienne, cheffe de caves de la Maison.
Cela fait plusieurs années que l’on travaille sur nos packagings. Nous avons supprimé tout ce qui était éphémère pour se cantonner à l’offre fixe. Plus de coffret de fin d’année ni de coffret d’été. On est revenu sur des éléments naturels type caisse bois pour la cuvée Héméra alors qu’en Champagne les coffrets des cuvées spéciales sont souvent des mix de matériaux ce qui gêne la recyclabilité. Nous avons aussi uniformisé l’offre des étuis en carton en optant pour le carton craft, sans verni ni encre. Ils sont produits en France. Ce qui est intéressant, c’est que les Maisons de Champagne sont frileuses à effectuer cette transition, mais une fois en place, aucun vendeur ne s’en plaint. Côté habillages des bouteilles, nous avons voulu quitter les codes champenois un peu "bling bling", où il y avait autrefois force dorures et couleurs, pour revenir à quelque chose de plus sobre, plus près du vin. Il n’y a plus le sticker en plastique où était représenté le blason, les coiffes sont plus courtes et moins épaisses, moins foncées aussi, car plus elles sont colorées, plus elles sont polluantes. Le papier de l’étiquette est texturé, strié pour rappeler que nous sommes une maison à vignoble...
C’est le retour à son nom initial. Le Blanc souverain a été lancé dans les années 1880, quand la famille, à la suite du mariage de Paul Henriot (quatrième génération), s’est unie avec la dynastie des Marguet et a récupéré un vignoble dans la Côte des Blancs. Nous avons voulu aussi revenir à ce nom, parce qu’entre le Brut Souverain, notre brut sans année classique, et le Blanc Souverain, la philosophie est exactement la même. Dans les deux cas, ces cuvées sont construites pour représenter l’ensemble de nos crus (29 pour le Brut Souverain, et 12 pour le Blanc Souverain) avec également à chaque fois un jeu sur les vins de réserve et l’utilisation de réserves perpétuelles débutées en 1969.
Oui ! Nous l’avons payé assez cher cette année, avec un rendement d’à peine 3500 kilos en moyenne sur nos 37 hectares de vignes, contre 8500 pour la Champagne. Nous n’en faisons pas un dogme et nous ne l’imposons pas à nos vignerons partenaires, mais pour nous, une fois les certifications HVE et VDC obtenues, c’était la marche d’après logique. Il y a également la problématique santé pour nos salariés. Il est vrai que la différence entre bio et conventionnel est de plus en plus ténue, car l’offre de produits phytos autorisés fond comme neige au soleil. Toutefois, nous sommes heureux de ne pas utiliser ces quelques cartouches dont disposent encore les vignerons. Lorsque l’on regarde le vignoble champenois, il n’y a jamais eu autant d’insectes et d’oiseaux, et c’est encore plus flagrant sur les parcelles où il n’y a ni CMR ni herbicides. Si en 2024, l’approche bio nous a plutôt coûté en matière de volume, en 2023, elle nous avait en revanche beaucoup servi d’un point de vue qualitatif. Nous n’avions eu qu’une seule cuve un peu tendancieuse. Les rendements plus faibles autour de 12.000 kilos contre 21.000 ailleurs en moyenne, nous ont évité d’avoir ces grappes mastodontes qui sont des foyers pour la pourriture. Nous avons même pu millésimer alors que très peu de confrères l’ont fait, à cause de la dilution. Chez nous, il y avait au contraire de l’expression, de la richesse, cela ressemblait d’ailleurs beaucoup à 2014.
C’est amusant, parce qu’il est chez nous aux antipodes de ce que l’on pourrait attendre d’un millésime solaire. Et cela ne vient pas d’un choix d’assemblage qui aurait cherché à corriger et prendre le contrepied de l’expression de l’année. C’est juste qu’en 2015, nous avons eu des vins très frais sur l’ensemble de notre vignoble. Il est vrai que nous avons une position très forte sur la Montagne Nord et la Côte des blancs, deux terroirs qui produisent des vins plus tendus qu’ailleurs. Mais cela tient aussi à la gestion de la vendange où en goûtant les raisins systématiquement, nous sommes devenus beaucoup plus précis. Ce qui est aussi contre-intuitif, c’est que la proportion de pinot noir est supérieure à d’habitude, 53%, alors que les autres maisons pour garder plus de fraîcheur et avoir moins d’épaule ont eu tendance à la réduire.
Oui, parce que sur notre vignoble, les premiers et les grands crus ont cette caractéristique d’avoir toujours une expression plus exacerbée, donc on ne peut pas trouver mieux lorsque l’on veut raconter l’année.
Sur cette édition, nous avons pour la Montagne Verzenay, Trépail, Avenay, Mutigny et uniquement Chouilly pour la Côte des Blancs. Ce choix de Chouilly, un cru connu pour ses notes de fruits exotiques, sa richesse et son velours, est encore un paradoxe. La chaleur du millésime aurait dû encore accentuer ce trait, or on avait quelque chose de très ciselé, avec un détail incroyable, aucune opulence mais un caractère acidulé et beaucoup de charisme. Si bien que lorsqu’on déguste cette cuvée, c’est du muscle fin, il n’y a rien à manger dessus ! Et quand on effectue une comparaison avec le millésime 2014, une année très différente, plus froide, plus classique, on s’étonne de trouver un vin au contraire plus généreux, avec de la gourmandise, du fruit jaune, de la vanille, un petit côté bois fumé et une acidité qui n’a rien de tranchante mais qui est très arienne avant d’arriver sur ces petits amers en finale. En le dégustant, on se dit qu’il est tellement généreux qu’il doit forcément y avoir du Chouilly et bien pas du tout : pour la Côte des Blancs on est sur Avize et Vertus, mais Vertus côté Mesnil, là où les chardonnays sont très tranchants d’habitude. Je trouve cela très intéressant que ces deux millésimes se côtoient pendant un certain temps sur le marché, parce qu’ils sont vraiment très différents et l’idée du millésime c’est justement d’avoir une expression unique, sinon on s’ennuierait !
Retrouvez la Maison Henriot à Champagne Tasting, le 24 mai à la Maison de la Mutualité à Paris à l'occasion d'une Master class exclusive : "La Champagne à travers les millésimes, de nos jours à 1970"
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