Samedi 29 Mars 2025
Champagne Nicolas Feuillatte, assemblage des vins clairs ©DR
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26.03.2025
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Le champagne rosé n’est pas seulement plus glamour et plus fruité, il est aussi beaucoup plus technique. Le chef de caves de Nicolas Feuillatte, Guillaume Roffiaen, nous emmène dans ses caves à la découverte des secrets d’élaboration de sa gamme de rosés.
Les champagnes rosés ont le vent en poupe. Chez Nicolas Feuillatte, en l’espace de dix ans, ils sont passés d’environ 5,5 % des volumes commercialisés à près de 12 %, avec un succès particulier sur le marché américain, profitant, il faut le dire, de la brèche ouverte par les rosés de Provence. Même si ce volume est considérable, la quantité de vin rouge qu’il faut élaborer pour cela reste minime, puisque dans un champagne rosé, la Maison incorpore en général moins de 12% de vin rouge. Au total, cela représente donc au maximum 1,44 % des vins. Leur qualité n’en demeure pas moins stratégique.
Les Champenois le savent, ils ont beau avoir le privilège de pouvoir assembler du rouge avec du blanc pour élaborer du rosé, ce qui est interdit dans les autres appellations, ce vin rouge qu’ils utilisent ne peut être élaboré comme un vin rouge classique. « Ce que l’on recherche, c’est le fruit, l’aromatique, mais surtout pas la structure et les tannins » explique Guillaume Roffiaen, le chef de caves. « En réalité, dans cet assemblage, la structure doit plutôt venir des blancs ! » Cela signifie l’emploi de macérations bien spécifiques pour élaborer les rouges.
Il y a tout d’abord la macération classique, sur raisin éraflé. Elle produit un peu de structure, mais si on se contente de pratiquer des remontages en excluant le pigeage, on atténue déjà l’extraction. Lorsque le terroir est un peu trop structurant, la Maison pratique juste avant une prémacération avec une levure qui ne produit pas d’alcool mais du glycérol. L’intérêt ? « Le glycérol est responsable du gras dans le vin, et cela va venir envelopper un peu le côté tannique obtenu dans la macération classique. Cela ramène de l’onctuosité. 50 % de nos vins rouges sont élaborés avec cette prémacération. »
Une autre particularité de Nicolas Feuillatte est de pratiquer aussi des macérations carboniques (15 à 20% des rouges). « C’est notre ancien chef de caves Jean-Pierre Vincent qui l’a introduite en Champagne à la fin des années 1970. Aujourd’hui encore elle est peu pratiquée dans la région. On laisse la fermentation se faire à l’intérieur de la pellicule de la baie dans une cuve saturée de CO2. Le résultat, c’est un peu le Beaujolais nouveau, on obtient du fruit, du fruit et du fruit… » Les vins sont alors tout en délicatesse, en fraîcheur et la couleur peut être assez soutenue. Par contre, dans le temps, on ne conservera ni la couleur, ni l’aromatique, c’est pourquoi ces vins ont besoin d’être soutenus par d’autres à l’assemblage.
Enfin, dernier point central : la séparation des jus de goutte et des jus de presse. « Alors que la Champagne a inventé le fractionnement au pressurage, entrée cuvée et tailles, pour les rouges, pendant longtemps, il n’y avait pas de séparation entre jus de goutte (le vin issu directement de la cuve juste après la macération) et jus de presse (le jus issu du reste du marc que l’on a envoyé au pressoir). Comme il s’agissait de très petites quantités, on trouvait compliqué de les vinifier à part. » Cette séparation des jus de goutte et des jus de presse est pourtant très utile pour élaborer du rosé. En effet, les rouges issus du jus de goutte peuvent immédiatement intégrer l’assemblage, parce qu’ils sont déjà suffisamment souples et élégants. A contrario, les jus de presse trop tanniques iront dans 99 % des cas rejoindre les vins de réserve, et ne pourront être incorporés qu’après plusieurs années de vieillissement indispensables pour arrondir leurs tanins. Comme ces vins sont plus chargés en matière colorante, ils tiennent aussi mieux dans le temps.
Cette séparation des jus de goutte et des jus de presse se pratique de manière un peu différente qu’en Bourgogne. « Pour nous le jus de goutte n’est pas juste ce qui coule de la cuve, parce que sur la fin de la cuve il y a de l’autopressurage et trop d’extraction. Il est donc très important que nous dégustions en même temps pour arrêter au bon moment la saignée et le reste ira avec le jus de presse. » Inversement, lorsqu’il s’agit de macération carbonique, l’extraction étant très faible, on peut aller jusqu’au bout et même conserver le tout début de la presse avec le jus de goutte.
Chez Nicolas Feuillatte, on n’assemble pas seulement le vin blanc avec des rouges, mais aussi avec des rosés de macération, ce qui est encore le meilleur moyen pour obtenir le moins possible de structure. Ces rosés sont obtenus de deux manières. La première s’inspire de la méthode traditionnelle de macération pour obtenir du vin rouge, puisqu’on procède à une macération sur éraflage. La différence, c’est que l’on pratiquera une saignée totale. « On ne va pas faire de saignée partielle comme le font les Bordelais, qui ne retiennent que les éléments restants de la cuve à destination d’un vin rouge plus concentré. Cette saignée se fait par ailleurs très rapidement, pour ne pas laisser le temps aux peaux de colorer trop le jus. A Bouzy, cette année, elle a été lancée sept heures seulement après le début de la macération, même si on peut attendre parfois jusqu’à 72 heures, selon la maturité des raisins de l’année. »
Enfin, dernier type de rosé de macération, celui obtenu par une « pseudo carbonique ». « La différence avec une macération carbonique classique, c’est qu’on érafle une partie des raisins placés au fond de la cuve. Ils donnent ainsi un peu de jus pour démarrer la fermentation tout de suite et qu’elle gagne ensuite le reste de la cuve complétée par de raisins entiers. Et comme il y a du jus, on peut procéder à des remontages. L’intérêt, c’est que l’on va avoir une macération moins rapide qu’une macération carbonique classique, on aura donc encore moins de structure. »
On insistera sur la diversité des approvisionnements de la Maison, avec pas moins de vingt centres de pressurages et de vinification répartis sur toutes les régions de la Champagne. Un point fondamental qui permet à la marque, même dans les années difficiles d’un point de vue climatique, de parvenir toujours à dénicher des raisins de qualité, en sachant que pour élaborer des vins rouges, les standards sont encore plus élevés que pour les blancs, le moindre défaut du raisin étant encore plus perceptible dans la mesure où on pratique des macérations.
Nicolas Feuillatte Cuvée spéciale Rosé. Ce qui fait un grand champagne ? Le bon équilibre entre structure, finesse et fraîcheur. Nous y sommes indubitablement. Sur une texture délicieusement crémeuse, se déploient ainsi des arômes de fraise des bois et de cerise noire, portés par une jolie tension qui garde l’ensemble vif et élégant. Prix recommandé: 34 €
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