Dimanche 17 Novembre 2024
(photos M. Boudot)
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28.02.2020
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Champagne Tasting, l’événement 100% champagne organisé à Paris par Terre de Vins, c’est dans un mois exactement. La maison Taittinger fera partie des exposants. Rencontre avec Vitalie Taittinger, qui a pris officiellement les rênes du groupe le 1er janvier 2020.
Coup de tonnerre dans la Champagne lorsque, dans un monde viticole qui a souvent du mal à transmettre, le charismatique Pierre-Emmanuel Taittinger a annoncé son retrait de la présidence et la nomination de sa fille Vitalie, qui a pris officiellement les rênes du groupe le 1er janvier 2020.
Avec un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros, 250 collaborateurs, 6 millions de bouteilles vendues chaque année dans le monde, 288 hectares en propre, Taittinger fait partie des très grandes maisons champenoises. Taittinger possède également le domaine Carneros en Napa Valley (USA), fort de 80 hectares, et produit un sparkling dans le Kent (Angleterre), où 30 hectares sont déjà plantés. Mère de trois enfants (son mari a également un fils), Vitalie Taittinger occupait jusqu’alors le poste de directrice marketing au sein de la maison, qu’elle a intégrée en 2007, après avoir créé sa propre entreprise de travaux d’illustration et de design.
Elle succède aujourd’hui à un père flamboyant dont on retiendra qu’il a racheté avec panache la maison familiale à l’américain Starwood. Vitalie Taittinger, qui perpétue ainsi l’épopée familiale, se confie à « Terre de vins ».
Tu viens d’être nommée présidente de Champagne Taittinger. Qu’est-ce que cela suscite immédiatement en toi ? De la joie, de l’ambition, de la peur ?
Comme c’est une décision qui arrive au terme d’un processus assez long – car cette transmission est présente depuis le début dans la tête de papa –, il fallait construire quelque chose de solide dans quoi tout le monde se sente bien. Ce n’est pas une personne qui est choisie, c’est un principe de fonctionnement quand papa ne sera plus président. Ce statut de président n’occupe pas plus de place que la place du directeur général. Nous sommes tous au service de ce dispositif, et j’endosse cette place particulière. J’ai beaucoup d’optimisme et j’avoue que c‘est une valeur que j’avais avant.
Tu seras épaulée par deux directeurs généraux, Damien Lesueur et Clovis Taittinger, ton frère. Comment s’est nouée cette passation ? Raconte-nous les coulisses…
C’est un long cheminement, c’est un accouchement naturel qui se dénoue en dehors de tout affect. La problématique est « comment faire au mieux pour servir la maison ? » et « qui sera le plus utile et au meilleur endroit pour servir cette maison ? ». Les choses ont été mûrement réfléchies. Qu’est-ce que ça veut dire, être président ? Papa a pris cette présidence de façon spectaculaire, mais il fallait ensuite rebattre les cartes dans un contexte plus normal. Lui, c’est une reconquête de la maison, et c’est un fait extrêmement marquant et structurant. Il est le guerrier numéro un de la maison. Ce qui est chouette, c’est qu’on l’a accompagné depuis le premier jour. On continue ce projet qu’on a débuté ensemble. Enfin, tous les trois, papa, Clovis et moi, la chose importante, c’est qu’on s’aime. On est tous les trois très heureux de travailler ensemble, mais on s‘aime. Ce qui fait que cela fonctionne, c’est vraiment ça.
Comment en avez-vous parlé en famille ? Avec ton frère ? Avec ton autre sœur, Clémence, qui est actionnaire ? Quel a été le rôle de ta mère, que l’on voit peu ?
Ce qui se passe chez Taittinger concerne beaucoup papa, Clovis et moi. Clémence et maman, elles, sont davantage dans la sphère privée. On en a parlé de façon très libre. Il était important que tout le monde soit bien avec cette nouvelle articulation.
Ta nomination gratifie aussi un parcours peu commun. Pas de business school mais une formation artistique…
J’ai toujours choisi de faire ce que j’aimais. Sortie d’un cursus de bac éco, j’ai voulu étudier l’art. Dans la famille, il y a trois piliers : l’art, la politique et les affaires. Moi, je voulais être peintre. J’ai passé trois années à Lyon à étudier intensément toutes les techniques. À Paris, j’ai travaillé avec un ami de papa dans un projet d’édition. J’ai produit un livre sur Alfred Courmes aux éditions du Cherche midi. J’ai porté le projet. Nous avons composé le livre, préfacé par Michel Onfray. J’avais 24 ans…
Clovis, prénom de ton frère, marque l’attachement au roi des Francs de ton père, qui est aussi un homme d’histoire et de culture…
C’est fondamental. Déjà, c’est une richesse, et c’est ce qui nous permet aujourd’hui d’être assez légers dans la façon de faire les choses. Mon père nous a toujours dit une chose : nous sommes des passeurs. On travaille à Saint-Nicaise, sur des caves gallo-romaines. C’est un patrimoine qui est à nous aujourd’hui mais sera à quelqu’un d’autre demain. Cela nous détache de toute tentation d’ego. On est là pour travailler, construire, créer de la valeur en termes d’engagement, de sens et d’histoire.
Tu as échappé aux prénoms Alboflède, Lantide et Audoflède, qui étaient les sœurs de Clovis…
Vitalie, cela vient des Ardennes, cela vient de la sœur d’Arthur Rimbaud. La mère de mon père est ardennaise. Elle est artiste, et nous avons ces origines ardennaises depuis très longtemps. Nous avons vécu avec la poésie d’Arthur Rimbaud.
Quelle trace laissera justement Pierre-Emmanuel Taittinger ? Que devra-t-on garder de lui ?
Il laisse une trace formidable dans cette entreprise. En douze ans, il en a fait un projet de vie pour tous ceux qui y travaillent. Nous sommes 250 à aller travailler avec le sourire aux lèvres en étant convaincus que ce que l’on fait a un sens. La deuxième chose, en plus de ce que l’on sait déjà, est qu’il donne à cette entreprise une valeur qui est très forte et qu’il incarne. Dans le monde d’aujourd’hui, il peut se battre avec ses forces personnelles et parvenir à des choses extraordinaires. Quand il a racheté la maison, il aurait pu le faire de 10 000 façons différentes, mais il l’a fait avec beaucoup d’humilité. C’est un homme de courage. Il a du courage, il a des rêves, il ose. Il a la foi. C’est un personnage flamboyant. Il a un truc incroyable : il est sérieux mais ne se prend jamais au sérieux. Il a mille qualités. Et il fait confiance.
Quel sera son rôle demain ?
Il sera toujours chez lui. Il nous aidera toujours dans la représentation de l’entreprise. Il sera l’ambassadeur de notre propriété du Kent et continuera de porter cette aventure. Il en sera également le président d’honneur.
Quel cap désormais ? Quelle feuille de route ? Quels objectifs ?
Nous allons vers un point auquel on n’est pas encore arrivés… On construit les chemins pour y arriver. J’aimerais que Taittinger, dans dix ans, soit reconnu comme un bijou champenois, comme la Romanée-Conti de la Champagne. En termes de sens, de vin, de générosité, il faut que Taittinger soit unique en Champagne.
Ta nomination enrichit l’histoire de ces grandes femmes de la Champagne…
Dans l’histoire de la Champagne il y a aussi beaucoup de veuves ! J’espère que je n’en ferai pas partie… Mais c’est une région, en effet, où les femmes ont une place particulière avec une Lily Bollinger qui était particulièrement éclatante. J’ai appelé ma fille Lily. Je fais également partie d’une association de femmes qui s’appelle La Transmission, avec une belle représentation de toute la diversité de la Champagne.
Quelles évolutions en termes de gouvernance, au sujet également des relations avec le Crédit agricole Nord-Est ?
Toute cette réorganisation a été réfléchie avec le Crédit agricole. Tout le monde est content que l’entreprise soit portée par la famille. Le rôle que je vais jouer sera aussi déterminant que celui de Damien ou Clovis. Mais dans ces relations avec nos actionnaires, mon père gardera un œil, et aussi une main.
Taittinger dans vingt-cinq ans, quand tu passeras le relais à une autre génération ?
Mon grand-oncle Claude a pris le relais de 1960 à 2006. C’est dur de se projeter. Se projeter, c’est figer les choses, et je n’ai pas envie de les figer. La force de Taittinger est de savoir rester totalement vivant et de saisir aussi les opportunités, être à la fois raccroché au passé mais pétrir le présent. Il faut enrichir ce que l’on a reçu, le consolider.
Tu es intelligente, ambitieuse et belle. Un mot sur la séduction et les rapports hommes-femmes dans l’entreprise ? Cela sera-t-il simple d’être une femme et de diriger ?
Cela ne peut pas être différent de ce que j’ai vécu depuis treize ans. Les choses ne sont pas faites sur la séduction, même si la séduction fait partie du jeu. Le champagne est le vin de la joie, du bonheur, de la séduction, mais, ce qui porte les choses, c’est le projet.
« Balance ton porc », cela t’inspire quoi ? Quel est ton regard sur ces paroles qui se libèrent ?
Je n’ai pas été touchée par ça. Je touche du bois, mais c’est comme dans tout : je me méfie toujours des excès. Tout le monde n’est pas en capacité de se défendre. Moi, j’ai cette chance. C’est une question difficile. J’ai l’impression que cela ne peut pas m’arriver, jusqu’au jour où cela m’arrivera. Sur toutes ces questions, il faut apprécier les choses avec justesse. Et je me méfie des caricatures.
Ton père fut engagé en politique, comme le fut ton grand-père. La politique, c’est un sujet pour toi ?
L’engagement en général est un sujet pour moi. Papa, dans les trois domaines art, politique, affaires, s’est toujours engagé. On a un peu ça dans les gènes. Mais on ne surfe pas sur un courant, on est libres. On a toujours eu beaucoup de mal avec l’idée des partis. On est inspirés par la trajectoire politique de mon grand-père. Aujourd’hui encore, à Reims, il n’y a pas un jour sans que quelqu’un nous dise : « Jean Taittinger a été un maire formidable. » Il était au-delà de toute idée de caste. Il était là pour le bien commun. C’est ce qui nous intéresse.
Des grandes abbayes bénédictines qui possédaient le vignoble à l’abbaye Saint-Nicaise, où vous avez installé vos caves, la religion catholique habite l’histoire du champagne Taittinger. Un mot sur Dieu ?
Je suis profondément croyante, mais cela n’est pas lié à la religion catholique, c’est quelque chose d’intime. Notre éducation n’a pas été rigoureuse à ce sujet. Aujourd’hui, je déteste les règles, je déteste les carcans, je déteste les jugements. On oublie que le fondement de la religion c’est l’amour. C’est ce que j’ai envie de retenir. Le reste est toujours personnel. J’ai du mal avec les cadres.
Une émotion inoubliable liée au vin ?
Il y en a beaucoup… La première émotion, c’est grâce à papa. Quand on était petits, il nous emmenait en voyage dans un pays qu’il avait visité auparavant. Une année, il nous a emmenés en Guyane, pendant trois jours, il nous a emmenés dans la forêt amazonienne en pirogue. On était en milieu sauvage. Là, ils avaient préparé un poulet boucané. J’avais 12 ans et il y avait une petite bouteille de champagne, un brut réserve de Taittinger, bu dans des gobelets. C’était une sensation de joie et d’émotion infinies.
Ta grande passion ? Ce qui te bouleverse ?
Ce qui me bouleverse, c’est la nature. L’art oui, mais la nature, les forêts, les paysages, les arbres, l’air, les fruits, les légumes, cette richesse de formes et de goûts. La nature, c’est tout ça…
Un mot sur l’art, qui t’est si cher…
Nous continuons avec la maison de porter le projet de collection qui exprime à merveille le rapport que la famille Taittinger entretient avec l’art. Cette collection a été constituée par des artistes qui sont aujourd’hui de grands sages, qui ont marqué l’écriture artistique. De mon côté, je me suis engagée au sein des fonds régionaux d’art contemporain, en tant que présidente du Frac Champagne-Ardenne et présidente du réseau de tous les Frac. Cela me donne un regard sur toute la création contemporaine. Personne mieux qu’un artiste ne peut exprimer ce fait de se mettre à nu, de s’accepter tel que l’on est, d’ouvrir des voies et de trouver une place.
Un coup de gueule ?
Je n’aime pas les gens qui ne prennent pas leurs responsabilités. Je déteste le système du parapluie. C’est terrible. Cela signifie la peur. On doit tous travailler sur la peur. Il faut savoir dire : « Oui, je me suis trompé. » Ne pas reconnaître ses fautes, c’est fuir la réalité.
Que boira-t-on le jour de tes obsèques ?
Si on boit ce que j’ai aimé boire, on boira beaucoup de choses différentes ! Il y a aura aussi bien de la bière que des vins variés, du champagne, des champagnes. Je serais heureuse que toutes les familles qui sont aussi à l’origine de ces vins soient représentées.
Entretien publié dans Terre de Vins hors-série Champagne, décembre 2019.
Propos recueillis par Rodolphe Wartel. Photos Michael Boudot.
Infos pratiques CHAMPAGNE TASTING
28 mars 2020
Première session de 11h à 15h.
Deuxième session de 16h à 20h.
Hôtel Salomon de Rothschild
11 Rue Berryer, 75008 Paris
METRO
Station Charles de Gaulle Étoile lignes 1-2-6
Station Ternes ligne 2
Station Georges V ligne 1
RER
Ligne A station Charles de Gaulle Étoile
BUS
Lignes 43-83-93, station Friedland-Haussmann,
Lignes 22-52, station Balzac
ATTENTION, TOUTE SORTIE EST DÉFINITIVE (même fumeurs)
Tarifs
Tarifs en prévente
Pass Première Session (11h-15h) : 23 €, 25 € avec abonnement. Tarif Early Bird 19 €.
Pass Deuxième Session (16h-10H) : 23 €, 25 € avec abonnement.
Pass Gold + Abonnement : 39 €.
Tarif sur place
32 € pour Première Session
32 € pour Deuxième Session
Pas de remboursement ni d’échange.
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