Jeudi 26 Décembre 2024
(Photos @lestudioalma ©alexisjacquin)
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07.10.2021
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A travers les jardins ouvriers, le potager au début du XXe siècle était devenu un instrument patronal pour éloigner le prolétariat des bistrots et des révoltes sociales. Symbole d’une culture populaire snobée par l’intelligentsia urbaine, on avait fini par oublier qu’il s’agit aussi d’un art. On en redécouvre aujourd’hui la subtilité mais surtout les réponses qu’il peut apporter à la crise environnementale et à l’isolement lorsque le jardin prend une dimension communautaire. C’est l’expérience extraordinaire que vit la Maison Veuve Clicquot à travers le lancement d’un immense potager cultivé en permaculture au Manoir de Verzy.
Verzy appartient aux crus historiques de la Maison Veuve Clicquot à partir desquels Philippe Clicquot a fondé la Maison en 1772. Ses fins pinots noirs, célèbres par leurs beaux amers, alimentent la cuvée La Grande Dame. La Maison y possède aussi un Manoir cerné d’un parc à l’intérieur duquel elle vient de lancer un projet d’envergure présenté à la presse le 28 septembre dernier : un potager de 2000 mètres carrés planté en suivant les principes de la permaculture, grâce à la collaboration de deux éminents spécialistes, Eve Gaignard et Xavier Mathias, et d’un jeune ingénieur agronome de la Maison, Robin Darlavoix. Véritable collection, il réunit déjà plus de 300 espèces et de jolies curiosités. Savez-vous par exemple qu’il existe des choux vivaces ? Avez-vous déjà entendu parler de l’armoise, cette plante herbacée au curieux parfum de coca cola éventé ? Le monde des potagers est un univers à part, une véritable communauté composée de passionnés, où on s’échange les graines et les variétés rares. La Maison a pu faire de belles rencontres comme celle de Denis Retournard, ancien responsable du Jardin du Luxembourg qui travaille à l’inscription des savoir-faire de l’arboriculture fruitière au patrimoine de l’UNESCO, ou encore l’entreprise Brochet-Lanvin, une famille de pépiniéristes qui connaît les conditions climatiques rudes de la Champagne.
Un dialogue fécond entre viticulture et permaculture
Le projet a aussi permis de créer des passerelles à l’intérieur même de l’entreprise. La Maison fait ainsi appel pour l’entretien quotidien à des vignerons volontaires, qui ont souvent leurs propres potagers. Ils apportent parfois eux-mêmes des variétés intéressantes et bénéficient en retour de l’expertise d’Eve et Xavier. Ce jardin est pour eux une source d’inspiration qui pourrait accompagner l’évolution des pratiques culturales de la Maison, laquelle vient d’entamer depuis un an la certification en bio d’une partie de son vignoble : « Pour les jardiniers spécialisés en légumes, la viticulture est aberrante dans la mesure où il s’agit d’une monoculture. C’est extrêmement dangereux et cela va demander par conséquent une haute technicité. Pour notre part, nous sommes dans une vision plus permaculturelle, qui s’appuie sur la diversité pour limiter les risques. Par contre, nous n’avons pas le degré de technicité que peuvent avoir les vignerons. » confie Xavier Mathias.
Le chef de vignes de la Maison, Romain Le Guillou, confirme cet intérêt, en soulignant les limites actuelles auxquelles se heurtent ceux qui veulent respecter davantage l’environnement dans leurs vignes. La maison par exemple n’utilise plus d’herbicides, mais en raison des pluies abondantes cette année, elle a dû labourer jusqu’à sept fois ce qui détruit la vie des sols et se traduit par un bilan carbone catastrophique. L’école permacole préconise au contraire le non labour, et l’objectif de la Maison serait d’y parvenir grâce à un enherbement total. Sur cette problématique, on a pu assister d’ailleurs en direct lors de la présentation à un échange entre Xavier Mathias et Romain Le Guillou, le premier soulignant l’intérêt d’une présence animale qui manque encore au potager (des poules…), le second confirmant sa vertu dans les vignes : la Maison a expérimenté il y a deux ans sur 15 hectares l’éco-pâturage des moutons, à la fois pour tondre l’herbe et apporter un complément d’engrais naturel : « lorsque nous reprenons le travail du sol derrière, en une fois vous avez l’équivalent de trois ou quatre passages ».
La Maison destine la production du potager aux cuisines de l’hôtel du Marc, sa guest-house rémoise, et le surplus aux Restos du cœur. Pour le chef Christophe Pannetier qui ne rechigne pas à donner lui aussi de temps en temps un coup de pioche, c’est un gage extraordinaire de fraîcheur. Tout comme en viticulture, choisir la maturité et le moment de la cueillette, permet de maîtriser davantage les saveurs que l’on souhaite exprimer. Sans parler de la diversité et des découvertes occasionnées : « nous avons 17 variétés de menthes, dont certaines ont même un goût de chewing-gum Hollywood, on s’amuse à se les approprier en cuisine avec des préparations différentes, c’est un terrain de jeu formidable ! On cuisine aussi autrement, on vit les choses un peu plus intensément encore. Quand on saisit le légume, on a toute son histoire et on pense aux personnes qui ont fait pousser ces plants. »
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